Concernant les multiples études cliniques qui ont porté sur les statines, La Revue Prescrire fait régulièrement le point sur l'état des connaissances et sur les meilleures pratiques à adopter pour les médecins.
Dans ces analyses, une différence nette est apparue entre les statines en prévention primaire (c'est-à-dire, chez des patients dont le taux de cholestérol est jugé élevé mais qui n'ont jamais fait ni d'infarctus ni d'AVC ni d'angor ni d'artérite des jambes) et en prévention secondaire (c'est-à-dire, chez ceux qui ont déjà fait un infarctus ou un AVC etc.)
Selon Prescrire, l'intérêt des statines (du moins, les mieux évaluées d'entre elles) semble avéré en prévention secondaire ("une place limitée mais pas nulle") et faible voire nul en prévention primaire.
Par ailleurs, lorsqu'une prescription de statine est décidée, Prescrire recommande la pravastatine ou la simvastatine, avec une préférence pour la première car la seconde a quelques risques d'interagir avec d'autres médicaments ou même le jus de pamplemousse (qui ferait que la dose nécessaire pour être efficace et sans danger ne serait plus la même).
Concernant la prévention secondaire, voici ce qu'écrivait Prescrire en mai 2017 :
Prévention cardiovasculaire secondaire : place des statines
En prévention cardiovasculaire secondaire, toutes les statines ne se valent pas. Certaines statines ont une place, limitée mais pas nulle, selon des essais cliniques de haut niveau de preuves.
Les statines, des hypocholestérolémiants, sont souvent proposées pour réduire la mortalité chez les patients qui ont déjà eu un accident cardiovasculaire, ou qui ont un angor stable ou une artériopathie oblitérante des membres inférieurs (prévention dite secondaire).
Prescrire a réalisé une synthèse des essais cliniques randomisés menés avec les médicaments hypocholestérolémiants de la famille des statines chez au moins 1 000 patients pendant au moins 2 ans et qui ont étudié la mortalité totale ou la mortalité cardiovasculaire. Cette synthèse a pris en compte, entre autres, les analyses et critiques méthodologiques de ces essais par les experts de l'agence étatsunienne du médicament (FDA).
Parmi les résultats de cette synthèse, on peut retenir que, chez les patients coronariens sans insuffisance cardiaque, la pravastatine et la simvastatine, à des doses quotidiennes de 40 mg, permettent d'éviter environ 2 morts pour 100 patients traités pendant 5 ans.
La pravastatine a l'avantage d'exposer à moins d'interactions que la simvastatine.
Les statines sont d'intérêt incertain ou trop à risque d'effets indésirables et donc à éviter, en cas : de LDL-cholestérolémie spontanément très basse ; d'effets indésirables musculaires ; d'interactions avec des médicaments qui augmentent le risque musculaire ; de risque élevé de diabète de type 2 ; d'insuffisance cardiaque.
Si la LDLcholestérolémie reste élevée sous pravastatine ou simvastatine à la dose quotidienne de 40 mg, mieux vaut renoncer à la baisser davantage, que d'utiliser l'atorvastatine à forte dose qui expose à un surcroît de risque.
"Mieux vaut renoncer à la baisser davantage" !
Une précision : Prescrire a suivi certaines recommandations de la FDA sur les essais cliniques et retenu uniquement ceux qui étaient de "haut niveau de preuve", autrement dit, l'étude écossaise critiquée dans l'émission d'Arte n'en fait plus partie. (A l'époque, à son propos, Prescrire parlait d'un résultat positif mais sur un effectif trop petit "à la limite de la signification statistique").
Concernant la prévention primaire, donc chez des gens pas malades, il faut prendre beaucoup de précautions, car la durée des études cliniques peut être très variable et aucune n'a étudié les statines sur le long terme (10 ans), le maximum étant 6 ans et beaucoup d'études se contentant de 2 ans ce qui est très insuffisant pour décider d'une prescription d'un médicament "à vie", même si quelques labos s'en contenteraient bien...
Sur ces bases, voici ce qu'écrivait Prescrire en avril 2018 concernant la prévention primaire :
Prévention cardiovasculaire primaire par statine : beaucoup d'incertitudes à long terme
Partager les données sur la balance bénéfices-risques et les nombreuses incertitudes sur la prévention cardiovasculaire primaire par statine aide les patients à faire un choix éclairé.
L'arrêt du tabac, la pratique d'une activité physique, la perte de poids en cas d'obésité, une alimentation dite méditerranéenne et le traitement d'une hypertension artérielle ou d'un diabète réduisent le risque d'accident cardiovasculaire.
L'analyse des essais cliniques ayant évalué l'efficacité des médicaments hypocholestérolémiants de la famille des statines en prévention cardiovasculaire primaire, c'est-à-dire en l'absence de maladie cardiovasculaire ischémique clinique (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, etc.), montre qu'un traitement préventif par statine a permis d'éviter une mort pour environ 250 personnes âgées de 40 ans à 70 ans traitées pendant 2 ans à 6 ans.
Aucun essai n'a évalué les bénéfices apportés par 10 ans ou plus de traitement par statine, et les risques auxquels un tel traitement expose ne sont pas connus. Les effets indésirables graves notamment diabète et accidents vasculaires cérébraux hémorragiques, et les fréquents effets indésirables musculaires qui altèrent la qualité de vie, rendent la balance bénéfices-risques incertaine en prévention primaire.
En pratique, étant donné les incertitudes et le coût de cette prévention, il est le plus souvent préférable de ne pas utiliser de statine en prévention primaire. Il y a tant à faire par ailleurs vis-à-vis du tabagisme, pour favoriser l'activité physique chez les personnes à risques, pour inciter à une alimentation moins délétère.
Quand un traitement par statine est néanmoins décidé, la pravastatine, à la dose quotidienne de 40 mg, est à privilégier.
Autrement dit, les études mettent en évidence, sur une durée limitée, un mort de moins pour 250 personnes traitées pendant 2 à 6 ans (c'est-à-dire, 0,5 à 0,17 morts de moins par an sur 250), mais ne précisent pas si, du fait du traitement, trois, cinq ou dix personnes de plus souffrent du diabète ou sont réduites à l'état de légume quoique toujours vivantes.
A noter que La Revue Prescrire se fait incendier et même insulter par Michel de Lorgeril et son petit groupe (ceux interrogés dans l'émission d'Arte) pour ne pas avoir rejeté en bloc les statines et pour accorder du crédit aux études américaines validées par la FDA (l'administration américaine). D'un autre côté, les articles de La Revue Prescrire ne font pas vraiment l'affaire des laboratoires qui vendent des statines et aimeraient en vendre à tout le monde...
Quoique, aujourd'hui, toutes les statines sont tombées dans le domaine public (il y a des génériques pour toutes) et le débat pourrait se dépassionner un peu.
Les articles de Prescrire ne font pas davantage l'affaire des vendeurs de compléments alimentaires puisque, comme la revue l'écrivait en 2013 dans sa liste des "Médicaments et compléments alimentaires à écarter" (les passages en gras sont de moi) :
En l'absence de données cliniques favorables, la consommation d'aliments enrichis en phytostérols ou phytostanols n'a pas sa place parmi les mesures non médicamenteuses de prévention cardiovasculaire, même en cas de risque cardiovasculaire élevé. (...)
Les données concernant les bénéfices mais aussi les risques, en particulier sur le long terme (toxicité des polluants contenus dans les poissons, peroxydation des acides gras polyinsaturés à longue chaîne, augmentation modérée de la LDL-cholestérolémie), sont insuffisantes pour recommander les acides gras oméga-3, même en cas de risque cardiovasculaire élevé. (...)
Les compléments alimentaires à base de levure de riz rouge exposent à des rhabdomyolyses, comme les statines, sans preuve d'efficacité sur les accidents cardiovasculaires. (...)
De quoi, certainement, énerver Michel de Lorgeril, grand promoteur de "l'effet protecteur cardiovasculaire des oméga-3"...
La suite au prochain numéro.