Sinoue a écrit :Merci Plestin, as-tu des informations sur la façon dont le gouvernement anticipe la prolongation de l'épidémie à moyen terme ? Y a-t-il déjà eu des embauches dans le secteur hospitalier ? Dans quels secteurs ? En quelle mesure de nouvelles embauches se feraient au détriment de la qualité de leurs compétences? Mon médecin me dit qu'il faut plus de 5 ans pour former quelqu'un qui travaille en service de réanimation. Comment expliques-tu les licenciements chez Sanofi ?
Je ne suis pas compétent pour parler des hôpitaux, je n'ai que les mêmes informations accessibles à chacun via la presse.
Concernant les licenciements chez Sanofi, à la R&D en l'occurrence, si j'intègre les suppressions d'emplois de l'année dernière en plus des actuelles (c'est le même processus), il y a un aspect visant à réduire les coûts de fonctionnement pour toutes les fonctions support de la R&D, mais aussi arrêter certains types de tâches "de laboratoire" considérées comme banalisées (présentées comme "sans valeur ajoutée par rapport à la sous-traitance" et donc confiées à la sous-traitance), une diminution du nombre d'animaleries, et un redéploiement des sujets de recherche autour d'un moins grand nombre d'axes thérapeutiques.
Ainsi, la R&D cardiovasculaire a été stoppée, les projets en cours ont été soit arrêtés, soit cédés à d'autres entreprises intéressées, soit restitués à certains partenaires, notamment la biotech américaine Myokardia qui a récupéré, début 2020, ses projets en partenariat avec Sanofi dans l'insuffisance cardiaque. Ces projets Myokardia étaient présentés comme pas suffisamment prometteurs par Sanofi en termes de perspectives de ventes et de rentabilité. Ce n'est visiblement pas l'avis d'autres laboratoires : l'Américain Bristol-Myers Squibb a jugé bon de racheter Myokardia fin 2020 pour la modique somme de 13,1 milliards de dollars... En tout cas, l'arrêt dans le cardiovasculaire a beaucoup de conséquences sur la dimension de certaines activités (ex. : plus besoin de modèles animaux en cardiovasculaire donc arrêt des activités d'animalerie correspondantes qui étaient assez importantes).
Sanofi a aussi stoppé sa recherche dans le diabète (cela concerne davantage les sites du groupe en Allemagne) où il est devenu très difficile d'innover et de démontrer qu'un produit nouveau est supérieur à ce qui existe déjà.
La R&D sur les maladies neurologiques a été réorganisée et focalisée sur des niches plutôt que sur des axes vastes de type "maladie d'Alzheimer", "maladie de Parkinson" etc. qui recouvrent en réalité chacune un ensemble de maladies variées. Sanofi a choisi de se spécialiser sur les maladies neurologiques rares, dont certaines formes de Parkinson et certaines maladies ressemblant à Alzheimer, avec l'espoir que les connaissances acquises aideront à mieux défricher et comprendre ces sujets très complexes et éventuellement à revenir demain dans Alzheimer et Parkinson "par la grande porte". Sur un plan purement scientifique, ce n'est pas absurde. Par ailleurs, Sanofi a fait des acquisitions dans les maladies rares ces dernières années et c'est un domaine très rentable, peu d'infrastructures industrielles engagées, pas de vastes et coûteux essais cliniques sur des milliers de patients (contrairement à cardio / diabète), et des produits vendus à prix d'or.
Enfin, il y a deux domaines en nette expansion, mais cela ne se traduit pas par beaucoup de recréations de postes : l'immunologie (maladies auto-immunes) et l'oncologie (cancers). Il y a aussi les vaccins de la filiale Sanofi Pasteur. Par contre, le sujet "maladies infectieuses" approché sous l'angle du médicament (antibiotiques, antiviraux) a été externalisé auprès de l'entreprise Evotec et Sanofi a stoppé toute recherche là-dessus.
Sanofi est un grand groupe issu de fusions multiples et qui a hérité de nombreuses activités, à l'importance et à la rentabilité diverses ; il est en cours de transformation vers un profil plus "lisible" pour les boursicoteurs, autour des axes les plus prometteurs et notamment des biotechnologies. Cela signifie l'arrêt ou la cession de multiples activités. Les génériques en Europe ont été cédés récemment à un fonds d'investissement. L'activité de fabrication de principes actifs pour les tiers est en train de sortir du groupe avec 6 usines (dont Saint-Aubin-lès-Elbeuf et Vertolaye en France) et s'appellera EuroAPI. La santé grand public est en cours de filialisation dans le monde entier sous le nom d'Opella et il est évident que cela prépare une cession dans un, deux ou trois ans, qui fera sortir par exemple les usines de Lisieux et Compiègne en France ainsi que le centre de distribution d'Amilly. Régulièrement des usines sont fermées dans le monde ou, plus souvent, vendues. Les fonctions support du groupe ont été toutes rassemblées, filialisées, en partie externalisées et ont connu des réductions d'effectifs drastiques. Les restructurations à la production se multiplient, notamment dans la chimie de synthèse et les usines de comprimés, gélules, sirops, crèmes etc. Mais certains sites orientés vers les biotechnologies et la fabrication de formes injectables (seringues, flacons...) sont au contraire en expansion car ils collent parfaitement avec l'objectif de transformation du groupe.
Sinoue a écrit :Pourquoi ce groupe est autant "en retard" dans le traitement du vaccin ?
Les restructurations en R&D ont aussi touché la filiale Sanofi Pasteur, mais ce n'est pas forcément l'aspect principal. Je crois plutôt que Sanofi a trop tardé avant de se (re)lancer dans la recherche de vaccins contre la Covid-19, cherchant d'abord à apercevoir du côté des pouvoirs publics des signaux de garantie en matière de soutien et d'achat de doses, avant de muscler vraiment ses moyens sur le sujet. Le premier projet de Sanofi (celui qui a pris du retard) relève d'une technologie vaccinale plus traditionnelle (à protéine virale) qui nécessite un processus de production plus long que les vaccins à ARNm ou à ADN ; il est donc normal que ce type de projet aboutisse après les précédents. Mais Sanofi a mal estimé le dosage, trop faible pour induire une immunité suffisante chez les sujets âgés (alors qu'il induit une bonne immunité chez les autres) ce qui l'a conduit à reprendre les essais avec un dosage plus élevé. Il est possible que ce retard-là (6 mois de plus dans la vue et un vaccin pour fin 2021-début 2022 au lieu de mi-2021) soit consécutif à un problème d'organisation découlant des restructurations antérieures, sans certitude. Ce retard est d'autant plus préjudiciable pour la collectivité que, si quelqu'un a de très grosses capacités de production et a la possibilité de monter considérablement en puissance pour répondre aux besoins dans les vaccins, c'est bien Sanofi, acteur historique des vaccins (alors que Pfizer, Moderna, Johnson & Johnson et AstraZeneca sont des acteurs récents dans les vaccins, encore obligés de rechercher et superviser de multiples sous-traitants pour pouvoir produire et tenter de fournir la demande) ! Il existe un deuxième vaccin en développement chez Sanofi, de type ARNm, en partenariat avec une société dont les projets étaient moins avancés et l'expérience moins grande que BioNTech ou Moderna, d'où une arrivée plus tardive, fin 2021 également.