Médicament antirejet en pénurie !

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Médicament antirejet en pénurie !

Message par com_71 » 26 Déc 2022, 16:25

https://rmc.bfmtv.com/actualites/societ ... 60093.html

Les tenants et aboutissants ne sont pas clairs.
Il est question de labos respectant les lois des brevets et du marché.
Et de l'Etat qui pourrait suppléer aux défections, mais ne veut pas !
En cherchant, on trouve cités, outre BMS, Upsa et Roche !
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Médicament antirejet en pénurie !

Message par Plestin » 14 Jan 2023, 18:08

Les problèmes posés par la pénurie du médicament NULOJIX (belatacept) du laboratoire américain Bristol-Myers Squibb (BMS) sont encore mieux décrits par cet article de l'association de patients greffés du rein, Renaloo, qui montre que la pénurie date de 2017 et que rien ne dit qu'elle sera résorbée en mars 2023 comme le promettent le laboratoire et les autorités :

https://renaloo.com/belatacept-penurie- ... antirejet/

Les causes de la pénurie sont d'abord dans l'insuffisance des capacités de production et celle-ci est elle-même due à la rentabilité insuffisante de la fabrication de ce produit (selon les critères de BMS, qui vise une rentabilité de plus en plus élevée pour ses activités en général).

Le belatacept est une substance biologique qui est fabriquée dans des fermenteurs, par culture de cellules animales (modifiées pour excréter précisément cette molécule). Ensuite, les cellules sont tuées et la substance est isolée et récupérée. C'est la production du "principe actif". Ensuite, il faut faire la mise en forme pharmaceutique stérile pour aboutir à un médicament injectable administrable par perfusion ; le belatacept étant une substance fragile, on ne va pas le chauffer pour le stériliser, car cela le détruirait ; il y aura à la place une mise en solution, puis une filtration aseptique (passage à travers un filtre si fin qu'il élimine la plupart des bactéries et des virus) et une mise en flacon, suivie par une lyophilisation (où le produit, desséché sans avoir été chauffé, se retrouve sous forme de poudre au fond du flacon, le liquide devant être reconstitué au dernier moment par le personnel soignant). Toutes ces étapes sont très coûteuses, surtout pour un produit fabriqué en très petites quantités s'adressant à un marché (eh oui) restreint.

Nulojix a été autorisé à la commercialisation en 2011 aux Etats-Unis et en Europe. Mais aux Etats-Unis, l'autorisation aurait pu avoir lieu plus tôt sauf que l'administration américaine refusait d'accorder son feu vert tant qu'un certain nombre de problèmes de qualité n'étaient pas réglés dans l'usine de Porto Rico que BMS avait choisie comme lieu unique de fabrication de la substance biologique. Porto Rico est un Etat associé aux Etats-Unis, où il est certes avantageux de produire pour des raisons de fiscalité et de bas coûts de production mais où de multiples usines pharmaceutiques rencontrent régulièrement des gros problèmes de qualité.

Sans vouloir investir pour résoudre des problèmes de qualité juste pour un petit produit, BMS a donc préféré transférer ailleurs la production du belatacept, ce qui n'est pas simple (c'est toujours très compliqué de changer de site ou de valider plusieurs sites pour un produit biologique car les cellules cultivées doivent se comporter de manière identique dans deux endroits différents et souvent, elles finissent par diverger et ne plus faire exactement la même chose). Cela a été fait, en partie sur une usine d'un sous-traitant en Corée du Sud et en partie sur une usine américaine de BMS, à East Syracuse dans l'Etat de New York. Le feu vert de la commercialisation a ainsi pu avoir lieu en 2011. Quant à la mise en forme pharmaceutique (avec la lyophilisation), elle a été installée en Irlande, là aussi pour des raisons fiscales, dans l'usine de Cruiserath près de Dublin. Mais tout ceci a un peu contrecarré les plans de BMS, en faisant de Nulojix un médicament coûteux à fabriquer pour lequel il n'a pas été possible d'opter pour la solution la plus économique, portoricaine, qui aurait rendu la production bien plus rentable.

Le médicament n'était pas un grand produit stratégique pour BMS, il a néanmoins été lancé, au compte-gouttes, de manière presque confidentielle. Les données cliniques en sa faveur étaient assez limitées au départ et les indications très restreintes limitées à une minorité de patients greffés du rein. Sauf qu'assez rapidement, aussi bien les patients que les médecins hospitaliers ont réalisé que Nulojix avait un intérêt plus important que ce que les données officielles alors disponibles laissaient supposer. Par rapport à d'autres médicaments anti-rejet beaucoup plus souvent utilisés dans les greffes, celui-ci avait l'avantage de mieux préserver les reins, chose d'autant plus importante chez des greffés du rein ! Dès 2017, il était clair qu'un phénomène se dessinait, d'augmentation de la demande de Nulojix (dans tous les pays) alors que le modèle industriel derrière était incapable de suivre. (J'ai ainsi retrouvé dans mes archives une interview d'un responsable de BMS m'expliquant que pour Nulojix, la demande progressait alors que les capacités de production étaient très limitées et que le "coût des ventes", donc le coût de production, distribution et promotion, était élevé. En filigrane, on sentait qu'il n'y avait pas du tout d'envie d'investir dans des capacités supplémentaires). Et 2017, c'est précisément le début des pénuries de Nulojix.

Mais BMS avait bien d'autres produits biologiques dans son portefeuille, beaucoup plus stratégiques à produire que Nulojix et il s'est donc lancé dans un très gros investissement en Irlande (toujours à Cruiserath) pour y créer de grosses capacités de production de médicaments biologiques par culture cellulaire, sur le site qui accueillait déjà la mise en forme pharmaceutique finale. Ne serait-ce pas l'occasion, accessoirement, de régler définitivement le problème de manque de capacités de Nulojix ?

Eh bien, un peu, mais finalement pas tant que ça. Cet investissement qui vient de s'achever sert principalement à d'autres produits et il semble qu'un peu de Nulojix soit fait dans un coin de l'usine. BMS n'a plus tant que ça intérêt à augmenter ses capacités de production, car... les brevets de Nulojix expirent en 2023-2024 et le produit est susceptible d'être bientôt confronté à des copies moins chères, des biosimilaires ! (L'équivalent d'un générique, mais pour un produit biologique).

Par contre, sous prétexte d'augmenter sa capacité, BMS a modifié le procédé (sans doute pour réduire les coûts)... sauf que cela joue sur la vitesse à laquelle le belatacept une fois injecté est ensuite éliminé de l'organisme. L'élimination est plus rapide, ce qui nécessite... d'augmenter de 20% la dose administrée au patient pour maintenir la même efficacité, ce qui vient diminuer de 20% la nouvelle capacité créée... Et pour des raisons évidentes de risque de confusion, cela signifie que l'ancienne filière de fabrication doit s'arrêter et être entièrement remplacée par la nouvelle, puisqu'on ne va pas laisser se côtoyer pendant des années les deux versions de la même substance !

La capacité a donc peut-être augmenté un peu, mais reste très en-deçà de la demande qui continue d'augmenter et c'est pourquoi BMS accuse désormais les médecins de chercher à prescrire davantage de Nulojix alors qu'il n'y en a toujours pas assez et que les quantités sont restreintes, réservées à moins d'indications qu'au début ! De plus, l'épisode Covid-19 est passé par là, avant Nulojix était nécessairement administré à l'hôpital et désormais il peut l'être à domicile ce qui rend le produit encore moins contraignant et augmente le nombre de ses adeptes...

Bref, une production insuffisamment rentable malgré un prix de vente élevé, le manque d'intérêt pour investir, un changement de dosage problématique et enfin l'arrivée prochaine des biosimilaires qui, qu'elle soit réelle ou pas, va peser à la baisse sur les prix de vente et encore moins inciter BMS à résoudre le problème : j'ai bien peur qu'on n'en sorte pas. Et tant pis pour les patients !

BMS profite par ailleurs de son investissement en Irlande pour se désengager de l'usine américaine de East Syracuse, qu'il vient juste de céder à une société sud-coréenne, Lotte, qui deviendra son sous-traitant. Autrement dit, BMS a délocalisé des Etats-Unis vers l'Irlande.

com_71 a écrit :En cherchant, on trouve cités, outre BMS, Upsa et Roche !


Concernant Roche, le fait est qu'il y a des tensions d'approvisionnement pour un autre médicament anti-rejet de greffes important, le CellCept (mycophénolate mofétil) de Roche, qui s'utilise en même temps que le belatacept ! Celui-ci a déjà vu ses brevets expirer et Roche n'investira pas, l'idée étant que, puisqu'il y a des génériqueurs, ils n'ont qu'à le faire eux-mêmes. Je présume que c'est à cela que tu fais allusion ?

Concernant Upsa, je ne vois pas de rapport sauf peut-être de manière détournée : c'est une ancienne filiale de BMS, qui vend l'Efferalgan, le Dafalgan, la vitamine C, le citrate de bétaïne etc. BMS souhaitait la vendre mais elle a donc été un moment dans le même ensemble que les produits BMS, on parlait d'ailleurs de BMS-Upsa. Pour ce faire, il a autonomisé davantage Upsa et a réorganisé la distribution de ses produits en fermant en 2017-18 le site de Fontenay-sous-Bois (93), qui effectuait une distribution mixte des produits BMS et Upsa en France (y compris le Nulojix). Les produits Upsa ont alors basculé à 100% vers les centres de distribution d'Upsa à Agen (qui en distribuaient déjà 75%), mais les produits BMS ont dû passer par un centre de distribution hors de France (en Allemagne ou en Belgique, je ne sais plus). Cela n'a sans doute pas arrangé les choses, mais à ma connaissance ce n'est pas la raison des difficultés actuelles.
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Re: Médicament antirejet en pénurie !

Message par com_71 » 14 Jan 2023, 23:57

Merci. Pour ne rien cacher j'espérais une telle réponse argumentée.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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