Xénophobie administrative

Xénophobie administrative

Message par com_71 » 08 Août 2021, 17:37

Santiago Amigorena, Le Monde, 8.8.2021 a écrit :« Qui fixe des règles administratives comme celle-ci : si un Français est né à l’étranger, traitez-le un peu moins bien qu’un Français né en France ? »
Les mots qui suivent peuvent sembler inoffensifs : ils décrivent une mésaventure qui n’a provoqué aucune blessure profonde, qui n’aura aucune conséquence douloureuse. Pourtant, quelque chose me donne envie de vous la raconter.

Lorsque notre fille est née, ma compagne Marion et moi avons fait la demande d’un livret de famille. En allant chercher le document, Marion s’est rendu compte qu’il avait une particularité : seul le nom de la mère figurait dans les pages destinées à établir l’identité des parents. Etonnée, elle a demandé des explications. Laissant entendre que « ça arrivait souvent », l’employée de la mairie lui a conseillé de vérifier que j’avais bien obtenu ma naturalisation.

Peu après, je me suis rendu moi-même à la mairie pour demander pour quelles raisons on doutait de mon état civil. On m’a répondu que c’était « Nantes » (c’est-à-dire le service central d’état civil) qui avait refusé de confirmer ma naturalisation et que je devais obtenir moi-même un extrait d’acte de naissance où figurerait la date à laquelle je suis devenu français.

Traitement spécial


J’ai demandé si ce n’était qu’auprès de « Nantes » qu’ils forçaient des citoyens à faire eux-mêmes cette démarche ou si des Français nés dans d’autres contrées à la réputation douteuse – Metz, Perpignan, Châteauroux, que sais-je ? – avaient, eux aussi, droit à un traitement spécial. Personne n’a jugé nécessaire de me répondre.

Ayant obtenu le document requis, je suis retourné à la mairie où j’ai vu une autre employée qui m’a dit qu’il fallait que j’envoie moi-même le livret de famille à Nantes pour qu’ils y ajoutent mon nom. Ne comprenant pas dans quel but on m’avait demandé d’apporter la preuve, déjà nantaise, de ma naturalisation, pour me demander ensuite de faire cette nouvelle démarche, j’ai demandé si cette manière de traiter les étrangers lui semblait correcte. Elle m’a répondu, à raison, que je n’étais pas étranger : juste un Français né à l’étranger.

Insistant un peu pour savoir pourquoi, alors qu’ils avaient envoyé le livret de famille à Dijon pour que soit confirmée l’identité de la mère, ils refusaient de l’envoyer à Nantes pour confirmer la mienne, elle m’a répondu, je cite : « On a eu une directive qui nous demande de ne plus adresser de demandes à Nantes. »

Qui peut formuler de telles recommandations ?


Troublé, j’ai accepté, comme elle me le proposait, de voir son directeur. Après quelques minutes d’attente, l’homme est arrivé et m’a expliqué que ce n’était pas leur faute si Nantes ne leur répondait pas. Je lui ai demandé si la directive dont on m’avait parlé avait été émise par le gouvernement ou par la Mairie de Paris. Jamais il n’a accepté de confirmer ou d’infirmer l’existence de cette directive mentionnée par sa subordonnée qui se trouvait à peine quelques mètres plus loin.

Ne sachant que faire pour se débarrasser de moi, l’homme s’est décidé à me faire remplir un formulaire afin qu’il puisse, non pas rajouter mon nom, ce qui lui semblait impossible, mais établir un nouveau livret de famille.

Je suis un étranger – pardon, un Français né à l’étranger – extrêmement favorisé. Dans des situations telles que celle-ci, je ne perds jamais complètement mon sang-froid. Et mon bonheur ne dépend, heureusement pour moi, d’aucune administration. Mais cette « directive » m’intrigue. Qui peut formuler de telles recommandations ? Quels êtres humains discutent, décident, et finalement écrivent ces conseils donnés à l’administration ? Qui, et dans quel but, fixe des règles comme celle-ci : si un Français est né à l’étranger, traitez-le un peu moins bien qu’un Français né en France ?

Banalité du mal

En sortant de la mairie, je me suis rappelé une autre situation semblable : il y a longtemps, accompagnant quelqu’un pour l’aider à obtenir un titre de séjour, je me suis retrouvé, à la Préfecture de Paris, devant un employé qui ne semblait parler aucun mot d’aucune autre langue que le français. Après avoir aidé la personne que j’accompagnais, je me suis pris au jeu d’aider d’autres immigrés. J’ai traduit ainsi, de l’espagnol, l’anglais ou l’italien, les propos qu’adressaient des étrangers à peine arrivés en France à cet employé, point désagréable, chargé de délivrer des numéros pour les faire attendre afin qu’ils voient d’autres employés. Au bout d’un moment, comme je traduisais les dires d’un homme africain qui parlait anglais, l’employé a précisé le sens d’une phrase. Comprenant soudain qu’il parlait l’anglais aussi bien que moi, je lui ai demandé pourquoi il m’avait laissé traduire ce que disait la douzaine d’immigrés précédents que j’avais aidés.

Sa réponse avait été aussi définitive que celle donnée par l’employée de la mairie : une directive demandait de ne pas aider les étrangers dans leurs démarches.

Comme la dizaine d’employés de la mairie qui avaient suivi mes différentes discussions sans intervenir, cet homme, dont le travail consistait à aider des étrangers dans leurs démarches, avait accepté, sans réfléchir, une directive qui lui recommandait de ne pas le faire.

Je ne saurais jamais qui pense, décide et rédige ces directives absurdes et xénophobes. Mais que faire devant ces hommes et ces femmes, employés municipaux, gendarmes, policiers, dont les visages parfois n’inspirent aucune antipathie, aucune crainte, et qui pourtant appliquent ces ordres monstrueux ?

Santiago Amigorena est un écrivain et réalisateur argentin établi en France et naturalisé français. Il a notamment publié Le Ghetto intérieur (P.O.L, 2019)
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Xénophobie administrative

Message par yannalan » 10 Août 2021, 10:16

Etant né au Maroc de parents français en 52, j'ai eu quelques aventures de ce genre:
je vais faire refaire une carte d'identité au commissariat du 13e, qui se vantait à l'époque de les faire dans la journée. Je remplis la demande, le gars la lit :
"-- Ah vous êtes né au Maroc ? On ne pourra pas le faire, il vous faut une preuve de nationalité française !
-- Et mon passeport ?
-- Non, ça ne marche pas, passez voir à la Préfecture de Police.
Je prends le métro, je débarque dans un couloir sombre, j'attends sur un banc devant le bureau indiqué, j'attends un moment. Une dame sort :
--Vous faites quoi, là ?
-- Ben au commissariat du 13e, ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas refaire la CNI parce que je suis né au Maroc...
-- Vous vous appelez comment ?
-- XXXX.
-- Ben c'est pas arabe, ça, je vais vous la faire, votre carte..."
Soulagé mais un peu scié de la réflexion....
yannalan
 
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Re: Xénophobie administrative

Message par Zorglub » 10 Août 2021, 20:27

Que je connais, une personne âgée, née en Afrique noire, Oubangi-chari, quand c'était une colonie, et qui est maintenant la RCA. Bien que de parents français, et blancs (les seuls blancs Africains que je connaisse sont les Leakey, hormis les descendants d'Afrikaans), et colons, elle a eu du mal à faire reconnaître sa nationalité et obtenir sa CNI, idem pour le droit de vote.

Autre exemple, une Anglaise installée en France depuis des années, qui raconte la file interminable à la Préfecture de Bobigny pour renouveler sa carte. Et elle, une fois entrée, ça allait, blanche, européenne, les formalités n'en étaient que, justement.
Zorglub
 
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Re: Xénophobie administrative

Message par Ottokar » 11 Août 2021, 08:14

On se raconte nos vies...
Né en France de parents nés à l'étranger, j'ai eu droit à 50 ans passés à la même question lors d'un renouvellement de carte d'identité dans ce même 13e : qu'est ce qui prouve que vous êtes français ? Né en France, résidence ininterrompue, service militaire, inscrit sur listes électorales, candidat à de multiples reprises... Rien n'était convainquant. C'est quand j'ai demandé ce qu'ils allaient faire de moi, prof titulaire de plus de 50 ans que l'employé a dit immédiatement : "ah vous êtes fonctionnaire, il fallait le dire" , et zou, j'ai eu le bon tampon. Cherchez pas la logique, si j'étais français à tort, j'aurais pu être fonctionnaire à tort également.
Il y a quelques années le Monde racontait l'histoire d'une mamie qui voulait un passeport pour voir ses petits enfants aux usa, mais avait eu le malheur de naître en Alsace sous annexion allemande avant 1918. 80 ans aux fraises mais même question : qu'est ce qui nous prouve que vous êtes bien française, madame...
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