Allez pour la NUPES et LFI de Mélenchon, c'est main basse sur le 87...
Le Parti Ouvrier Indépendant (POI), héritier de la formation trotskiste lambertiste de l'Organisation Communiste Internationaliste (OCI), a investi des candidats au premier tour des élections législatives sous le sigle de la Nouvelle Union Populaire et elle héberge les réunions du parlement populaire dans ses locaux historiques parisiens, un moyen pour Jean-Luc Mélenchon de renouer avec sa jeunesse militante.
Jean-Luc Mélenchon aime les clins d’œil historiques. Le 23 janvier 2022, lors de son intervention pour clôturer la première audition du Parlement de l’Union Populaire (PUP), structure réunissant les soutiens à sa candidature à l’Elysée, issus des mouvements politiques partenaires et de la société civile, il ne peut s’empêcher de faire une petite digression qui amuse les militants réunis, « il y a pour moi une sorte d’humour de situation. J’étais, il y a un nombre d’années sur lequel il n’est pas besoin de revenir, assis au fond de cette salle, dans l’organisation à laquelle j’appartenais à l’époque, qui était l’ancêtre du POI qui nous accueille aujourd’hui ».
Jean Luc Mélenchon faisait allusion à l’OCI, formation historique du trotskisme lambertiste, du pseudonyme de son fondateur et dirigeant Pierre Lambert, aile orthodoxe de cette famille politique, pratiquant l’entrisme et aux multiples obédiences. Le POI en est aujourd’hui l’un des héritiers, avec le Parti Ouvrier Indépendant Démocratique (POID), séparation issue d’une scission en 2015.
Mais, surtout, le POI est un partenaire historique du mélenchonisme. Les militants du POI soutiennent le Mouvement de la France Insoumise (MFI) depuis le début de son histoire en 2017 et ils sont partie prenante de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (Nupes) au premier tour des élections législatives, contrairement aux autres trotskistes du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Ce compagnonnage n’a rien d’étonnant, Jean-Luc Mélenchon, qui n’a pas donné suite à nos demandes, et Alexis Corbière, l’un de ses plus proches lieutenants, sont d’anciens lambertistes, un héritage politique qu’ils n’ont jamais caché. Certains fondamentaux du mélenchonisme sont d’ailleurs partagés avec le lambertisme, comme le combat contre les institutions de la cinquième république, un certain euroscepticisme et, plus largement, la mise en avant de l’identité républicaine et laïque du mouvement ouvrier français, ou encore la référence permanente à la révolution française de 1789.
Ce cheminement commun apparaît au grand jour pour les élections législatives du Dimanche 12 Juin et du Dimanche 19 Juin 2022. Toute petite organisation politique mais très implantée dans la Confédération Générale du Travail (CGT) Force ouvrière, le POI voit l’un de ses dirigeants, Jérôme Legavre, contacté, il n’a pas répondu à nos sollicitations, investi dans la douzième circonscription de Seine-Saint-Denis, au départ prévue pour Europe Ecologie-Les Verts (EELV).
Officiellement, c’est le seul membre du POI investi à ce titre, mais au moins trois autres militants sont aussi candidats, en tant que titulaires ou suppléants, dans le Pays de Retz, dans le Var et dans les Yvelines.
Paul Vannier, responsable électoral du MFI, botte en touche, « je ne les connais pas. Beaucoup de militants du MFI ou de l’Union Populaire sont aussi des militants d’un autre parti politique. Le POI est engagé dans l’Union Populaire depuis sa fondation. Certains de ses membres ont été proposés comme candidats par les militants du MFI lors d’assemblées de circonscription dès le mois de décembre 2021. Jérôme Legavre a été investi dans le cadre d’un accord politique passé entre le MFI et le POI au lendemain du premier tour des élections présidentielles ».
Pour le MFI, le POI, qui n’a pas non plus donné suite à nos demandes d’entretien, en plus d’être un allié loyal, a un avantage, il a un patrimoine immobilier impressionnant qui s’avère bien utile. En effet, le MFI n’a jamais eu de local à la mesure d’un mouvement voulant incarner le premier opposant de gauche à Emmanuel Macron. D’abord installé rue de Dunkerque, dans le dixième arrondissement de Paris, le siège était trop petit. Pour les élections présidentielles, les mélenchonistes ont emménagé dans le même arrondissement, passage Dubail, dans des locaux biscornus, clairement insuffisants pour organiser de grandes réunions avec tous les soutiens.
Or, après la scission de 2015, le POI a conservé un trésor de guerre, le bâtiment historique des lambertistes. C’est là que se sont déroulées les sessions du parlement populaire. « Les quatre ou cinq réunions en présentiel étaient au siège du POI, cela nous permettait d’avoir un espace suffisant, trois cent personnes dans le même lieu, avec des ateliers en haut. Le POI fait partie du parlement, c’est l’une de ses très nombreuses composantes. Le lieu, c’est simplement parce que c’était le plus pratique, il ne faut y voir aucune intention », minimise Aurélie Trouvé, présidente du PUP. Trois des membres du PUP apparaissent en tant que représentants du POI, d’autres lambertistes, comme l’historien Jean-Marc Schiappa, le père de Marlène Schiappa, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien, sont présentés comme issus de la société civile.
Le lieu n’a rien d’anodin et il a une forte charge symbolique que Jean-Luc Mélenchon ne peut ignorer. Un peu comme si le leader de la Nouvelle Union Populaire bouclait son histoire militante. Situé au 87 Rue du Faubourg-Saint-Denis, toujours dans le dixième arrondissement de Paris, c’est presque aussi grand qu’un pâté de maisons. Plusieurs bâtiments sont distribués autour d’une cour intérieure. Le 87 Rue du Faubourg Saint Denis abrite également une librairie, la Société d’Edition et Librairie d’Informations Ouvrières (SELIO), où l’on peut trouver les classiques du marxisme, du léninisme et du trotskisme, mais qui propose également les ouvrages de Jean-Luc Mélenchon, d’Alexis Corbière et d’autres militants du MFI de premier plan, comme Eric Coquerel ou Adrien Quatennens.
L’entrée du 87 Rue du Faubourg Saint Denis est dotée d’une discrète caméra de vidéosurveillance et on y pénètre après avoir sonné à un interphone. Il arrive aussi que le visiteur soit gentiment éconduit, même lorsque l’on veut aller à la librairie pour acheter un exemplaire du programme de transition de Léon Trotsky. « Pour entrer au 87 Rue du Faubourg Saint Denis, il ne faut pas y aller seul mais, si l’on est identifié comme militant ou sympathisant, il n’y a pas de problème », explique Philippe Campinchi, ancien lambertiste et ancien président du syndicat étudiant de l’Union Nationale des Etudiants de France Indépendant et Démocratique (UNEF-ID) dans les années 1990, contrôlé alors par ces trotskistes un peu particuliers. Il décrit une ambiance un rien paranoïaque. « L’immeuble était sécurisé sur les toits », se remémore-t-il encore.
A l’époque, l’activité du local atteignait son acmé entre le mercredi et le samedi. Le premier jour du week-end, les militants passaient prendre le journal et les tracts pour les marchés du dimanche, ainsi que les affiches ou les pétitions pour la campagne en cours. Le mercredi, leur efficacité était mesurée et les résultats étaient centralisés et dépouillés. Les cotisations étaient centralisées, payées en liquide, évidemment, pour ne pas pouvoir tracer l’origine et dans un souci de garder tout clandestin.
Dans son livre dont le titre est « les lambertistes, un courant trotskiste français », aux éditions Balland en 2000, Philippe Campinchi décrit une intense activité militante, où les militants se croisent pour assister aux réunions qui se succèdent. Une équipe de militants franciliens, la garde de nuit, est même quotidiennement mobilisée pour surveiller le local entre 19 heures et 7 heures du matin, « c’est la ruche centrale, propriété foncière du mouvement, centre intellectuel, stratégique, tactique et militant. Parler du 87 Rue du Faubourg Saint Denis est devenu un signal de reconnaissance et un code entre militants. Aller au 87 Rue du Faubourg Saint Denis signifie aller au local, au saint des saints. C’est dire si la mise à disposition de la grande salle du 87 Rue du Faubourg Saint Denis pour les sessions du PUP est un symbole politique fort.
Le 87 Rue du Faubourg Saint Denis est connu de tous les militants de gauche. Les lambertistes y ont emménagé en 1969. Dans son livre retraçant ses années lambertistes, « la dernière génération d’octobre », en 2003, l’historien Benjamin Stora écrit que « pendant plusieurs mois, à partir du mois de septembre 1969, je m’y suis rendu régulièrement pour y accomplir des tâches de maçonnerie, de nettoyage et de réfection. Je faisais partie des brigades bénévoles des jeunes que l’organisation appelait de ses vœux. Après toutes ces heures, ces journées et ces week-ends à suer et à verser tant d’argent pour bâtir ce local, je me suis parfois demandé, en plaisantant, si je n’étais pas, avec beaucoup d’autres, un peu propriétaire de cet immeuble de la rue du Faubourg-Saint-Denis », un sentiment de copropriété morale, notamment parce que le local a été acquis grâce aux dons et aux cotisations des militants, encore largement partagé dans ces milieux.
Le fait que l’Union Populaire se réunisse dans la salle historique qui a vu les interventions de Pierre Boussel, le vrai nom de Pierre Lambert, de Stéphane Just ou de Pierre Broué, en a ainsi ulcéré quelques-uns. Daniel Gluckstein, dirigeant des rivaux du POID, s’est fendu d’un long texte s’offusquant de voir le drapeau français mis en avant par le PUP. De même, entendre les militants du MFI entonner le chant des Gilets Jaunes dans la cour du 87 Rue du Faubourg Saint Denis relève quasiment du crime de lèse-trotskisme pour le POID, « Pierre Lambert se retournerait dans sa tombe en voyant comment sont trahis les extraordinaires efforts militants qui avaient permis d’acquérir ce local. Cette grande salle du 87 Rue du Faubourg-Saint-Denis, hier pavoisée de drapeaux rouges et de portraits de Karl Marx, de Vladimir Lénine et de Léon Trotsky, est aujourd’hui pavoisée de tricolore et d’affiches à la gloire du nouveau Front Populaire ».
Pour Daniel Gluckstein, le drapeau tricolore est le drapeau des Versaillais de la répression de la Commune de Paris en 1871 et le dirigeant rappelle que Léon Trotsky a vertement critiqué la stratégie de Front Populaire dans plusieurs textes réunis notamment dans le recueil Où va la France en 1938.
Certains militants trotskistes lambertistes craignent que cet usage du 87 Rue du Faubourg Saint Denis ne cache un autre dessein, celui du rachat, partiel ou total, du siège du POI par l’Union Populaire en pleine dynamique politique et qui est devenue le premier parti de la gauche française, un soupçon démenti, au début du mois de mai 2022, par des cadres mélenchonistes.