Livre : Richard Müller, révolution allemande

Livre : Richard Müller, révolution allemande

Message par Zorglub » 02 Mars 2025, 15:09

Richard Müller, l'homme de la révolution de novembre 1918 de Ralf Hoffrogge, aux éditions Les nuits rouges.

Ce livre est une première biographie sur celui qui fût, l'un des dirigeants des Délégués révolutionnaires et également, bien formellement, en tant que président du Conseil exécutif des conseils de travailleurs et de soldat de Berlin, le dirigeant de la République socialiste d'Allemagne, plus connue comme République de Weimar.
Une biographie surtout sur sa période militante puisque l'on sait peu de choses avant et l'après n'étant pas glorieux.
La quatrième de couverture en dit autant sur l'auteur ou son éditeur :
Richard Müller n’était ni un théoricien ou un  politicien comme Rosa Luxemburg ou Karl Liebknecht, mais un ouvrier tourneur, simple adhérent du SPD d’avant 1914, l’un de ces héros obscurs que l’Histoire tire de l’ombre avant de l’y replonger, une fois sa tâche accomplie. A la tête du réseau des Délégués révolutionnaires d’atelier, créé en 1916 pour résister au militarisme, il fut, plus que le groupe Spartakus, « l’homme de la Révolution de novembre 1918 ». A travers son action, nous découvrons les ressorts prosaïques de l’événement, souvent plus décisifs que les discours enflammés et les postures héroïques. Modéré – il s’opposera au soulèvement spartakiste prématuré de janvier 1919 à Berlin et à l’aventureuse « Action de mars » de 1921, lancée par le Parti
communiste et encouragée par le Komintern –, il était aussi courageux et déterminé quand il le fallait. Partisan d’un « socialisme des conseils », adhérant finalement au KPD en 1920, comme la majorité des socialistes oppositionnels, il en sera pratiquement écarté dès 1924 par la «bolchévisation». Après la publication de précieuses Mémoires au milieu de la décennie, il abandonnera toute activité politique pour se lancer dans les affaires.

Taxer de K & R de politiciens... Et pour le terme « bolchévisation », il aurait été plus clair de parler de la stalinisation plutôt que de participer au marronnier de la confusion pas innocente.
Le livre est très documenté et sourcé et c'est un travail d'historien militant. Il y a de nombreuses citations utiles permettant d'en juger. Travail honnête mais avec un regard conseilliste.
Il nous permet de suivre l'évolution de Müller, à l'image de la classe ouvrière, d'un social-démocrate qui va devenir un militant révolutionnaire avec la guerre. C'est l'orientation du KPD, à l'instar d'autres jeunes PC, passant du gauchisme au stalinisme, qui empêchera d'achever cette évolution de Müller en révolutionnaire achevé, notamment avec l'assassinat de K & R. Il admirait cette dernière.
Il est militant ouvrier, tourneur, et donc de l'aristocratie ouvrière, très SPD. Aristocratie toute relative pendant la guerre car si leur rôle était indispensable à l'industrie de guerre, le front pouvait ne pas être loin et Müller en fera d'ailleurs l'expérience. Mais, surtout, le sentiment d'appartenir à une élite professionnelle dans le prolétariat, à l'opposé du corporatisme, renforce le sentiment d'en être le fer de lance également pour la lutte de classe.
En suivant son parcours, on verra une nouvelle démonstration du rôle aussi inique qu'attendu du SPD et des Scheidemann, Noske, les sauveurs de la bourgeoisie. Ils auraient voulu même garder le kaiser, mais entre bourgeoisie et kaiser, l'insurrection les a obligé à choisir, d'en perdre un pour ne pas perdre les deux et eux avec.
De son expérience, Müller tirera une histoire de la révolution qui fît référence et aussi des écrits qui, selon l'auteur, inspireront Korsch.
L'auteur montre l'attitude des bureaucrates syndicaux. La Commission générale des syndicats soutint un texte qui pouvait obliger les ouvriers à travailler pour l'industrie d'armement. En récompense, les syndicats furent reconnus comme contribuant à l'effort de guerre et, à ce titre, les fonctionnaires syndicaux furent exemptés de mobilisation... Zélés, certains bureaucrates dénoncèrent aussi des militants comme les DR.
Intéressant, le livre explique le fonctionnement de cette organisation ouvrière, bien structurée, constituée d' « Hommes de confiance » et ayant un prestige et qui montreront leur grande capacité d'entraînement. Mais il fallait travailler dans une entreprise de > 1000 ouvriers pour en faire partie.
L'auteur veut montrer que face à aux DR, qui serait plus ancrés dans la classe ouvrière, les Spartakistes seraient d'un aventurisme hasardeux. Mais vision d'auteur ou aussi effet d'une influence SPD encore grande chez les travailleurs ?
L'auteur nous montre à plusieurs reprises les errements et l'indécision de Müller et des DR.
Lors de la journée du 9 novembre :
Le récit de Müller colle sans doute plus au déroulement réel des événements quand il affirme « qu'on avait pas besoin de direction ; de toute façon celle-ci n'aurait pu techniquement se mettre en place. Chacun agissait selon son tempérament, selon les situations qui se présentaient à lui. »


Paul Blumenthal [DR] nous narre un autre épisode qui s'est joué lors des pourparlers entre l'USPD et le SPD au Reichstag : « Je revins dans le bureau de la fraction de l'USPD et u trouvai son secrétaire, le camarade Vogtherr, en grand désarroi. Un groupe de soldats avaient mis la main sur un camion chargé de billets et était venus les remettre au bureau du groupe. Le camarade Vogtherr me demandait ce que qu'on devait faire de ça.Comme ni moi ni les autres ne le savions pas non plus, nous décidâmes de transférer tout cet argent dans un coffre-fort de la Reichsbank. [...] Je veux dire aujourd'hui que nous avons été de sacrées andouilles de rendre ce splendide pactole aux capitalistes. Mais, à l'époque, nous pensions avoir le pouvoir, et donc que la Reichsbank nous appartenait. Nous nous trompions complètement. Rien ne nous appartenait, et le pouvoir, les capitalistes l'avaient toujours. »


Il est également fait état des errements du KPD entre gauchisme et autoritarisme, sans même parler de l'opportunisme/suivisme de l'USPD. Müller ne restera que quelques mois au KPD, exclut pour avoir critiqué, en interne et a posteriori, l'insurrection de l'action de mars 1921.
Lors de l'insurrection des 5 & 6 janvier 1919, citation du sinistre Noske :
Si la foule avait eu des chefs déterminés et lucides à la place de hâbleurs , ce jour-là [6 janvier], à midi, elle aurait été maîtresse de Berlin.


A l'énergie du prolétariat et au dévouement de ses militants les plus conscients a manqué une politique, un parti plus aguerri. La révolution allemande est l'exemple du rôle fondamental de la social-démocratie et des impasses du gauchisme, au sens premier du terme.
Que ce soit l'auteur mais aussi des militants d'une autre trempe comme Pannekoek ou Müller, ils réclamaient tout le pouvoir aux conseils... que le parti bolchévik et la révolution russe avaient réalisé. Ainsi, seuls les Spartakistes réclamaient que les conseils prennent tout le pouvoir. Les DR, l'USPD ne les voyaient que comme des organismes de contrôle...

L'occasion de relire Le gauchisme, maladie infantile du communisme. L'auteur cite d'ailleurs Zetkin témoignant que Lénine avait trouvé ces « gars formidables » en évoquant une entrevue en 1921 avec Müller et deux autres DR.
La suite dans un prochain post.
Zorglub
 
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Re: Livre : Richard Müller, révolution allemande

Message par Gayraud de Mazars » 02 Mars 2025, 15:57

Salut camarade Zorglub,

Propos passionnant, ton long post détaillé et motivé donne envie de lire ce livre Richard Müller, l'homme de la révolution de novembre 1918 de Ralf Hoffrogge, rapidement.

Je connais un peu la Révolution allemande de 1918, mais assurément pas assez, cela va compléter mes impressions et mes connaissances à l'aulne aussi, de ce que tu écris, sur le bouquin !

Merci et à lire ta suite !

Juste un point sur la "bolchévisation" du Parti allemand en 1924, cela était de la part de Zinoviev et Kamenev au commande du Komintern comme en France et ailleurs, de mettre des militants à eux, dans les directions des partis communistes, avant la stalinisation forcée sous Staline mais plus tard !

Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Re: Livre : Richard Müller, révolution allemande

Message par Zorglub » 04 Mars 2025, 21:15

Le Vörwarts appelle au meurtre de Luxembourg et Liebknecht...
Le 15 janvier, R.L. et K.L. furent arrêtés. Alors qu'Emil Eichhorn avait fui à Brunswick, les deux chefs spartakistes avaient refusé de quitter Berlin et étaient entrés dans la clandestinité. Cela causa leur perte. Le 13 janvier, le _Vörwarts_ avait déjà appelé à leur assassinat sous le couvert d'un poème « humoristique », et c'est volontiers que des soldats de la Garde à cheval se chargèrent de cette mission.

Eichhorn, dirigeant USPD, avait acquis un certain prestige en tant que chef de la police de Berlin. Et sa révocation en janvier 1919 est un déclencheur du soulèvement de ce mois. Ancien SPD passé à l'USPD puis rejoindra le VKPD (Vereinigung, KPD unifié avec la gauche des Indépendants) puis le KAG (Kommunistiche Arbeitsgemeinschaft, Communauté de travail communiste)... qui rejoindra le SPD.
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Re: Livre : Richard Müller, révolution allemande

Message par Zorglub » 04 Mars 2025, 21:51

Sur les débats sur ce que doivent être les conseils, d'organismes de contrôle à instruments de socialisation (et le pouvoir ?). Après l'échec de la vague de 1919 :
Müller et Däumig s'attachèrent à approfondir la théorie des conseils ouvriers. Jusque-là, le programme du mouvement se limitait au contrôle ouvrier dans l'entreprise et à la socialisation des industries-clés, tout le reste demeurant dans le flou. [...]ni les débats sur la grève de masse de 1905, ni les écrits de Marx sur la Commune de Paris n'avaient produit par le passé une véritable théorie des conseils. Même la tendance anarcho-syndicaliste, favorable à la démocratie directe, n'avait, elle aussi, qu'une vague idée de ce à quoi pouvait ressembler un mode de production non capitaliste.

Pas une mention des soviets de 1917... Soviets qui se sont créés, dès 1905, sans approfondissement de la « théorie des conseils ouvriers ».


Une vague de grèves mais aussi de réarmement du prolétariat mettent en échec le putsch de Kapp (mars 1920). Il y a notamment la formation de la Rote-Ruhr-Armee, forte de dizaines de milliers d'ouvriers qui resteront sur le pied de guerre après l'échec du putsch en occupant les mines et les usines en en revendiquant la socialisation.
Zorglub
 
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Re: Livre : Richard Müller, révolution allemande

Message par Ottokar » 05 Mars 2025, 10:18

Ce qui est intéressant dans la période, c'est que dans l'ambiance révolutionnaire, quantité de choses se font, plus ou moins spontanément, et que des tas de gens viennent à l'activité. Un auteur (peut-être Broué je ne sais plus) avait estimé qu'au départ, en 18, les nouveaux qui n'y connaissaient rien, allaient plutôt vers le parti socialiste, la vieille maison, qui avait pignon sur rue, tandis que des anciens adhérents (pas les cadres) d'avant 14 rejoignaient plutôt le PC ou les Indépendants qui leur semblaient plus conformes à leur idéal socialiste, la transformation de la société. Les choses changent rapidement ensuite, au cours de l'année 19 et après la mort des leaders du PC (Rosa Luxemburg, Liebknecht, Leo Jogishes en mars), le seuls qui avaient de l'expérience et qui sont remplacés par des jeunes inexpérimentés.

La création du PC (DKP) puis la fusion avec les Indépendants amalgame des militants, des groupes locaux, de isolés, des nouveaux adhérents, sur la base de l'action révolutionnaire, et renforcent un parti qui se crée dans le feu des évènements, et en faisant beaucoup, beaucoup de bêtises. L'évolution des "délégués révolutionnaires" se place dans ce cadre, avec un PC absent au moment du putsch de Kapp ou gauchiste lors de "l'action de mars" (21), etc. L'Internationale l'aide mais pas toujours, car les Russes ont leurs propres problèmes (la guerre !). Ils envoient Radek qui prend à certains moments des positions pour le moins bizarres. A partir de l'été 23, le triumvirat (Zinoviev-Kamenev-Staline) s'est installé en Russie, Trotsky est écarté, Zinoviev est à la manœuvre et cela n'aide pas non plus pour apprendre et dégager une direction qui apprenne de ses erreurs et de l'expérience des autres.

L'action de militants radicaux comme Daumig, Müller, ou d'autres doit être appréciée dans ce cadre. Il ne s'agit pas de débats théoriques sur la place et le rôle des conseils, contrôler ou pas les usines, etc. Il s'agit de gens soulevés par la période, cherchant sincèrement comme ils peuvent, avec leur classe, à contrôler la société et la faire tourner dans l'intérêt de la majorité. Et le drame est qu'au lieu de trouver un parti avec une direction qui leur donne un cadre clair, des objectifs, une direction comme en Russie, ils tombent dans un bordel où on dit tout et l'inverse, où on fait parfois n'importe quoi, mais avec beaucoup de bonne volonté et d'esprit révolutionnaire, mais où rapidement, la bureaucratisation de l'Internationale empêche d'apprendre réellement. Et le tout sous le feu de l'ennemi, en devant résister à des attaques ou en se posant même la question de balayer le pouvoir en place !

C'est là que l'on mesure l'importance de la perte de Rosa Luxemburg.
Ottokar
 
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Re: Livre : Richard Müller, révolution allemande

Message par Zorglub » 05 Mars 2025, 21:19

Que dire après une telle synthèse, sinon continuer de citer quelques passages notoires du livre ?
Zorglub
 
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