Ce livre est une première biographie sur celui qui fût, l'un des dirigeants des Délégués révolutionnaires et également, bien formellement, en tant que président du Conseil exécutif des conseils de travailleurs et de soldat de Berlin, le dirigeant de la République socialiste d'Allemagne, plus connue comme République de Weimar.
Une biographie surtout sur sa période militante puisque l'on sait peu de choses avant et l'après n'étant pas glorieux.
La quatrième de couverture en dit autant sur l'auteur ou son éditeur :
Richard Müller n’était ni un théoricien ou un politicien comme Rosa Luxemburg ou Karl Liebknecht, mais un ouvrier tourneur, simple adhérent du SPD d’avant 1914, l’un de ces héros obscurs que l’Histoire tire de l’ombre avant de l’y replonger, une fois sa tâche accomplie. A la tête du réseau des Délégués révolutionnaires d’atelier, créé en 1916 pour résister au militarisme, il fut, plus que le groupe Spartakus, « l’homme de la Révolution de novembre 1918 ». A travers son action, nous découvrons les ressorts prosaïques de l’événement, souvent plus décisifs que les discours enflammés et les postures héroïques. Modéré – il s’opposera au soulèvement spartakiste prématuré de janvier 1919 à Berlin et à l’aventureuse « Action de mars » de 1921, lancée par le Parti
communiste et encouragée par le Komintern –, il était aussi courageux et déterminé quand il le fallait. Partisan d’un « socialisme des conseils », adhérant finalement au KPD en 1920, comme la majorité des socialistes oppositionnels, il en sera pratiquement écarté dès 1924 par la «bolchévisation». Après la publication de précieuses Mémoires au milieu de la décennie, il abandonnera toute activité politique pour se lancer dans les affaires.
Taxer de K & R de politiciens... Et pour le terme « bolchévisation », il aurait été plus clair de parler de la stalinisation plutôt que de participer au marronnier de la confusion pas innocente.
Le livre est très documenté et sourcé et c'est un travail d'historien militant. Il y a de nombreuses citations utiles permettant d'en juger. Travail honnête mais avec un regard conseilliste.
Il nous permet de suivre l'évolution de Müller, à l'image de la classe ouvrière, d'un social-démocrate qui va devenir un militant révolutionnaire avec la guerre. C'est l'orientation du KPD, à l'instar d'autres jeunes PC, passant du gauchisme au stalinisme, qui empêchera d'achever cette évolution de Müller en révolutionnaire achevé, notamment avec l'assassinat de K & R. Il admirait cette dernière.
Il est militant ouvrier, tourneur, et donc de l'aristocratie ouvrière, très SPD. Aristocratie toute relative pendant la guerre car si leur rôle était indispensable à l'industrie de guerre, le front pouvait ne pas être loin et Müller en fera d'ailleurs l'expérience. Mais, surtout, le sentiment d'appartenir à une élite professionnelle dans le prolétariat, à l'opposé du corporatisme, renforce le sentiment d'en être le fer de lance également pour la lutte de classe.
En suivant son parcours, on verra une nouvelle démonstration du rôle aussi inique qu'attendu du SPD et des Scheidemann, Noske, les sauveurs de la bourgeoisie. Ils auraient voulu même garder le kaiser, mais entre bourgeoisie et kaiser, l'insurrection les a obligé à choisir, d'en perdre un pour ne pas perdre les deux et eux avec.
De son expérience, Müller tirera une histoire de la révolution qui fît référence et aussi des écrits qui, selon l'auteur, inspireront Korsch.
L'auteur montre l'attitude des bureaucrates syndicaux. La Commission générale des syndicats soutint un texte qui pouvait obliger les ouvriers à travailler pour l'industrie d'armement. En récompense, les syndicats furent reconnus comme contribuant à l'effort de guerre et, à ce titre, les fonctionnaires syndicaux furent exemptés de mobilisation... Zélés, certains bureaucrates dénoncèrent aussi des militants comme les DR.
Intéressant, le livre explique le fonctionnement de cette organisation ouvrière, bien structurée, constituée d' « Hommes de confiance » et ayant un prestige et qui montreront leur grande capacité d'entraînement. Mais il fallait travailler dans une entreprise de > 1000 ouvriers pour en faire partie.
L'auteur veut montrer que face à aux DR, qui serait plus ancrés dans la classe ouvrière, les Spartakistes seraient d'un aventurisme hasardeux. Mais vision d'auteur ou aussi effet d'une influence SPD encore grande chez les travailleurs ?
L'auteur nous montre à plusieurs reprises les errements et l'indécision de Müller et des DR.
Lors de la journée du 9 novembre :
Le récit de Müller colle sans doute plus au déroulement réel des événements quand il affirme « qu'on avait pas besoin de direction ; de toute façon celle-ci n'aurait pu techniquement se mettre en place. Chacun agissait selon son tempérament, selon les situations qui se présentaient à lui. »
Paul Blumenthal [DR] nous narre un autre épisode qui s'est joué lors des pourparlers entre l'USPD et le SPD au Reichstag : « Je revins dans le bureau de la fraction de l'USPD et u trouvai son secrétaire, le camarade Vogtherr, en grand désarroi. Un groupe de soldats avaient mis la main sur un camion chargé de billets et était venus les remettre au bureau du groupe. Le camarade Vogtherr me demandait ce que qu'on devait faire de ça.Comme ni moi ni les autres ne le savions pas non plus, nous décidâmes de transférer tout cet argent dans un coffre-fort de la Reichsbank. [...] Je veux dire aujourd'hui que nous avons été de sacrées andouilles de rendre ce splendide pactole aux capitalistes. Mais, à l'époque, nous pensions avoir le pouvoir, et donc que la Reichsbank nous appartenait. Nous nous trompions complètement. Rien ne nous appartenait, et le pouvoir, les capitalistes l'avaient toujours. »
Il est également fait état des errements du KPD entre gauchisme et autoritarisme, sans même parler de l'opportunisme/suivisme de l'USPD. Müller ne restera que quelques mois au KPD, exclut pour avoir critiqué, en interne et a posteriori, l'insurrection de l'action de mars 1921.
Lors de l'insurrection des 5 & 6 janvier 1919, citation du sinistre Noske :
Si la foule avait eu des chefs déterminés et lucides à la place de hâbleurs , ce jour-là [6 janvier], à midi, elle aurait été maîtresse de Berlin.
A l'énergie du prolétariat et au dévouement de ses militants les plus conscients a manqué une politique, un parti plus aguerri. La révolution allemande est l'exemple du rôle fondamental de la social-démocratie et des impasses du gauchisme, au sens premier du terme.
Que ce soit l'auteur mais aussi des militants d'une autre trempe comme Pannekoek ou Müller, ils réclamaient tout le pouvoir aux conseils... que le parti bolchévik et la révolution russe avaient réalisé. Ainsi, seuls les Spartakistes réclamaient que les conseils prennent tout le pouvoir. Les DR, l'USPD ne les voyaient que comme des organismes de contrôle...
L'occasion de relire Le gauchisme, maladie infantile du communisme. L'auteur cite d'ailleurs Zetkin témoignant que Lénine avait trouvé ces « gars formidables » en évoquant une entrevue en 1921 avec Müller et deux autres DR.
La suite dans un prochain post.