Le livre était présent à la Fête 2025 mais je l'avais lu avant.
Olitskaïa est issue d'une famille engagée, son père est un ancien narodniki. Tolstoïen et agronome, il veut se rapprocher de la paysannerie et l'éduquer en ayant une exploitation agricole, certes différentes, mais non dénuée de paternalisme. La bibliothèque parentale comprend Herzen, Tchernytchevsky (l'auteur de Que faire ? dont Lénine reprendra le titre).
L'auteure est vite révoltée dans cette Russie autocratique arriérée, antisémite, notamment par la misère paysanne qu'elle côtoie. Il y avait un quota de Juifs par capitales, obligeant les fratries à être parfois séparée pour les études.
Trop jeune pour la révolution de 1905, elle participa rapidement à un cercle proche des SR pendant la guerre. Elle raconte un ouï-dire de l'époque : un convoi de prisonniers de guerre traverse une ville. Parmi eux, Otto Bauer, futur co-fondateur de l'austro-« marxisme », fût reconnu et acclamé.
Elle participe à la révolution, surtout dans des tâches pratiques. Comme son père, elle sympathise avec les SR, sa mère, avec les SD, et sa sœur aînée, les bolchéviks.
Elle expose les positions SR.
Une des prises de positions le s plus fondamentales du PSR était celle concernant la socialisation des terres. Les SR considéraient qu'il était possible de promouvoir cette socialisation, même dans les cadres d'une société capitaliste. La revendication de la socialisation des terres faisait partie du programme minimal.
Mais [...] ils estimaient que la socialisation des terres provoquerait l'effondrement du front, qu'aucune force ne pourrait empêcher les soldats de déserter, s'ils apprenaient qu'on prenait et qu'on distribuait les propriétés de l'Etat et celles de l'Eglise.
[...]
Et c'est ainsi que les SR, qui étaient les seuls socialistes dont le parti avait inscrit, en tête de son programme, la question agraire, étaient obligés, dans toutes les assemblées paysannes, de retenir lespaysans, de les empêcher de s'emparer des terres. Le slogan « la terre aux paysans », ils devaient le ranger dans un tiroir, en attendant la constituante, mettre en quelque sorte des œillères à l'élan révolutionnaire.
Pour dire, un paragraphe plus loin :
Le slogan le plus populaire des bolchéviks, à l'époque, était « la paix sans conditions ». Il était facile de le lancer dans la foule mais il était plus difficile de le faire passer dans les faits. Les paysans, les ouvriers, les soldats ne voulaient plus de la guerre mais aucun des alliés ne voulait entendre parler de paix. Il ne restait pour la Russie, qu'une seule possibilité - une paix séparée avec l'Allemagne de Guillaume II, avec le pouvoir le plus réactionnaire de toute l'Europe.
Enthousiasme et désorientation :
Au début de la révolution, je me trouvais utile, je trouvais en moi les forces et les possibilités de contribuer à la révolution. Maintenant, lorsque surgissaient les problèmes nouveaux, lorsqu'ils s'agissait de nouvelles formes de vies sociales, lorsque le mouvement ouvrier se divisait sur des questions de fond, je ressentais l'impossibilité de jeter mes forces dans l'un ou l'autre plateau de la balance. Je ne savais pas où était la vérité, mais il y avait une chose dont j'étais sûre - la révolution avait gagné, le vieux monde était brisé et brisé à jamais. Et notre génération était une génération privilégiée à qui incombait la tâche de bâtir une nouvelle société. La Russie n'avait pas besoin de gens comme moi - ne sachant rien ou à moitié, elle avait besoin de gens honnêtes, compétents et sachant travailler. Et je pris la décision d'étudier, afin de pouvoir par la suie, consacrer toutes mes forces à l'édification de la vie nouvelle.
Je compléterai par la suite par des passages éclairants.
Son témoignage montre beaucoup de confusion, dont une bonne partie vient de la politique des SR. Les prochains passages confirmeront.
Et la période ne fera évidemment qu'en ajouter. Car, du communisme de guerre à la NEP puis la stalinisation, Olitskaïa n'en verra qu'une évolution graduelle d'un pouvoir qui l'avait déjà arrêtée.
Surtout elle omet un point capital, la tentative de coup d'état des SR de gauche est totalement absente du livre. Si l'ignorance n'est guère pertinente, elle aurait pu au contraire revendiquer ce coup. Ne reste que l'omission volontaire qui explique pourtant le pourquoi de beaucoup de choses par la suite et que les SR de gauche furent interdits. Alors même qu'elle évoque l'attentat de Kaplan contre Lénine.
Je reviendrai là-dessus mais le témoignage est bien sûr poignant à plein d'égards mais il montre des militants, à commencer par elle, d'une grande rigueur morale et politique et d'un énorme courage.