Livre : Le sablier d'Olitskaïa

Livre : Le sablier d'Olitskaïa

Message par Zorglub » 19 Juil 2025, 21:47

Le sablier d'Ekaterina Olitskaïa (éd° Les éditions du bout de la ville) est une autobiographie dont le temps passé dans les prisons, les isolateurs et les camps durant la guerre civile puis le stalinisme en fait principalement un témoignage de cela. Le titre fait d'ailleurs référence au sablier mesurant la durée de la promenade.

Le livre était présent à la Fête 2025 mais je l'avais lu avant.

Olitskaïa est issue d'une famille engagée, son père est un ancien narodniki. Tolstoïen et agronome, il veut se rapprocher de la paysannerie et l'éduquer en ayant une exploitation agricole, certes différentes, mais non dénuée de paternalisme. La bibliothèque parentale comprend Herzen, Tchernytchevsky (l'auteur de Que faire ? dont Lénine reprendra le titre).

L'auteure est vite révoltée dans cette Russie autocratique arriérée, antisémite, notamment par la misère paysanne qu'elle côtoie. Il y avait un quota de Juifs par capitales, obligeant les fratries à être parfois séparée pour les études.

Trop jeune pour la révolution de 1905, elle participa rapidement à un cercle proche des SR pendant la guerre. Elle raconte un ouï-dire de l'époque : un convoi de prisonniers de guerre traverse une ville. Parmi eux, Otto Bauer, futur co-fondateur de l'austro-« marxisme », fût reconnu et acclamé.

Elle participe à la révolution, surtout dans des tâches pratiques. Comme son père, elle sympathise avec les SR, sa mère, avec les SD, et sa sœur aînée, les bolchéviks.

Elle expose les positions SR.
Une des prises de positions le s plus fondamentales du PSR était celle concernant la socialisation des terres. Les SR considéraient qu'il était possible de promouvoir cette socialisation, même dans les cadres d'une société capitaliste. La revendication de la socialisation des terres faisait partie du programme minimal.
Mais [...] ils estimaient que la socialisation des terres provoquerait l'effondrement du front, qu'aucune force ne pourrait empêcher les soldats de déserter, s'ils apprenaient qu'on prenait et qu'on distribuait les propriétés de l'Etat et celles de l'Eglise.
[...]
Et c'est ainsi que les SR, qui étaient les seuls socialistes dont le parti avait inscrit, en tête de son programme, la question agraire, étaient obligés, dans toutes les assemblées paysannes, de retenir lespaysans, de les empêcher de s'emparer des terres. Le slogan « la terre aux paysans », ils devaient le ranger dans un tiroir, en attendant la constituante, mettre en quelque sorte des œillères à l'élan révolutionnaire.


Pour dire, un paragraphe plus loin :
Le slogan le plus populaire des bolchéviks, à l'époque, était « la paix sans conditions ». Il était facile de le lancer dans la foule mais il était plus difficile de le faire passer dans les faits. Les paysans, les ouvriers, les soldats ne voulaient plus de la guerre mais aucun des alliés ne voulait entendre parler de paix. Il ne restait pour la Russie, qu'une seule possibilité - une paix séparée avec l'Allemagne de Guillaume II, avec le pouvoir le plus réactionnaire de toute l'Europe.


Enthousiasme et désorientation :
Au début de la révolution, je me trouvais utile, je trouvais en moi les forces et les possibilités de contribuer à la révolution. Maintenant, lorsque surgissaient les problèmes nouveaux, lorsqu'ils s'agissait de nouvelles formes de vies sociales, lorsque le mouvement ouvrier se divisait sur des questions de fond, je ressentais l'impossibilité de jeter mes forces dans l'un ou l'autre plateau de la balance. Je ne savais pas où était la vérité, mais il y avait une chose dont j'étais sûre - la révolution avait gagné, le vieux monde était brisé et brisé à jamais. Et notre génération était une génération privilégiée à qui incombait la tâche de bâtir une nouvelle société. La Russie n'avait pas besoin de gens comme moi - ne sachant rien ou à moitié, elle avait besoin de gens honnêtes, compétents et sachant travailler. Et je pris la décision d'étudier, afin de pouvoir par la suie, consacrer toutes mes forces à l'édification de la vie nouvelle.


Je compléterai par la suite par des passages éclairants.

Son témoignage montre beaucoup de confusion, dont une bonne partie vient de la politique des SR. Les prochains passages confirmeront.

Et la période ne fera évidemment qu'en ajouter. Car, du communisme de guerre à la NEP puis la stalinisation, Olitskaïa n'en verra qu'une évolution graduelle d'un pouvoir qui l'avait déjà arrêtée.
Surtout elle omet un point capital, la tentative de coup d'état des SR de gauche est totalement absente du livre. Si l'ignorance n'est guère pertinente, elle aurait pu au contraire revendiquer ce coup. Ne reste que l'omission volontaire qui explique pourtant le pourquoi de beaucoup de choses par la suite et que les SR de gauche furent interdits. Alors même qu'elle évoque l'attentat de Kaplan contre Lénine.

Je reviendrai là-dessus mais le témoignage est bien sûr poignant à plein d'égards mais il montre des militants, à commencer par elle, d'une grande rigueur morale et politique et d'un énorme courage.
Zorglub
 
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Re: Livre : Le sablier d'Olitskaïa

Message par com_71 » 20 Juil 2025, 07:08

Zorglub a écrit :Le sablier d'Ekaterina Olitskaïa (éd° Les éditions du bout de la ville) est une autobiographie dont le temps passé dans les prisons, les isolateurs et les camps durant la guerre civile puis le stalinisme en fait principalement un témoignage de cela. Le titre fait d'ailleurs référence au sablier mesurant la durée de la promenade.

Le livre était présent à la Fête 2025 mais je l'avais lu avant.

Olitskaïa est issue d'une famille engagée, son père est un ancien narodniki. Tolstoïen et agronome, il veut se rapprocher de la paysannerie et l'éduquer en ayant une exploitation agricole, certes différentes, mais non dénuée de paternalisme. La bibliothèque parentale comprend Herzen, Tchernytchevsky (l'auteur de Que faire ? dont Lénine reprendra le titre).

L'auteure est vite révoltée dans cette Russie autocratique arriérée, antisémite, notamment par la misère paysanne qu'elle côtoie. Il y avait un quota de Juifs par capitales, obligeant les fratries à être parfois séparée pour les études.

Trop jeune pour la révolution de 1905, elle participa rapidement à un cercle proche des SR pendant la guerre. Elle raconte un ouï-dire de l'époque : un convoi de prisonniers de guerre traverse une ville. Parmi eux, Otto Bauer, futur co-fondateur de l'austro-« marxisme », fût reconnu et acclamé.

Elle participe à la révolution, surtout dans des tâches pratiques. Comme son père, elle sympathise avec les SR, sa mère, avec les SD, et sa sœur aînée, les bolchéviks.

Elle expose les positions SR.
Une des prises de positions le s plus fondamentales du PSR était celle concernant la socialisation des terres. Les SR considéraient qu'il était possible de promouvoir cette socialisation, même dans les cadres d'une société capitaliste. La revendication de la socialisation des terres faisait partie du programme minimal.
Mais [...] ils estimaient que la socialisation des terres provoquerait l'effondrement du front, qu'aucune force ne pourrait empêcher les soldats de déserter, s'ils apprenaient qu'on prenait et qu'on distribuait les propriétés de l'Etat et celles de l'Eglise.
[...]
Et c'est ainsi que les SR, qui étaient les seuls socialistes dont le parti avait inscrit, en tête de son programme, la question agraire, étaient obligés, dans toutes les assemblées paysannes, de retenir les paysans, de les empêcher de s'emparer des terres. Le slogan « la terre aux paysans », ils devaient le ranger dans un tiroir, en attendant la constituante, mettre en quelque sorte des œillères à l'élan révolutionnaire.


Pour dire, un paragraphe plus loin :
Le slogan le plus populaire des bolchéviks, à l'époque, était « la paix sans conditions ». Il était facile de le lancer dans la foule mais il était plus difficile de le faire passer dans les faits. Les paysans, les ouvriers, les soldats ne voulaient plus de la guerre mais aucun des alliés ne voulait entendre parler de paix. Il ne restait pour la Russie, qu'une seule possibilité - une paix séparée avec l'Allemagne de Guillaume II, avec le pouvoir le plus réactionnaire de toute l'Europe.


Enthousiasme et désorientation :
Au début de la révolution, je me trouvais utile, je trouvais en moi les forces et les possibilités de contribuer à la révolution. Maintenant, lorsque surgissaient les problèmes nouveaux, lorsqu'ils s'agissait de nouvelles formes de vies sociales, lorsque le mouvement ouvrier se divisait sur des questions de fond, je ressentais l'impossibilité de jeter mes forces dans l'un ou l'autre plateau de la balance. Je ne savais pas où était la vérité, mais il y avait une chose dont j'étais sûre - la révolution avait gagné, le vieux monde était brisé et brisé à jamais. Et notre génération était une génération privilégiée à qui incombait la tâche de bâtir une nouvelle société. La Russie n'avait pas besoin de gens comme moi - ne sachant rien ou à moitié, elle avait besoin de gens honnêtes, compétents et sachant travailler. Et je pris la décision d'étudier, afin de pouvoir par la suite, consacrer toutes mes forces à l'édification de la vie nouvelle.


Je compléterai par la suite par des passages éclairants.

Son témoignage montre beaucoup de confusion, dont une bonne partie vient de la politique des SR. Les prochains passages confirmeront.

Et la période ne fera évidemment qu'en ajouter. Car, du communisme de guerre à la NEP puis la stalinisation, Olitskaïa n'en verra qu'une évolution graduelle d'un pouvoir qui l'avait déjà arrêtée.
Surtout elle omet un point capital, la tentative de coup d'état des SR de gauche est totalement absente du livre. Si l'ignorance n'est guère pertinente, elle aurait pu au contraire revendiquer ce coup. Ne reste que l'omission volontaire qui explique pourtant le pourquoi de beaucoup de choses par la suite et que les SR de gauche furent interdits. Alors même qu'elle évoque l'attentat de Kaplan contre Lénine.

Je reviendrai là-dessus mais le témoignage est bien sûr poignant à plein d'égards mais il montre des militants, à commencer par elle, d'une grande rigueur morale et politique et d'un énorme courage.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Livre : Le sablier d'Olitskaïa

Message par Zorglub » 20 Juil 2025, 13:45

Merci pour les corrections, com.

L'écart entre l'ampleur des événements et l'étroitesse, l'incompréhension, et même parfois la naïveté, de ce qu'elle en tire montre la différence entre la politique des SR et la politique révolutionnaire des bolchéviks. Entre un débat métaphysique et la réalisation pratique à partir des évènements et de leur potentialités.

Elle relate le procès des SR en 1922 dans un paragraphe sans parler de ses raisons et de mettre en parallèle la situation. Exit, les attentats organisés dès 1918, la tentative de coup d'état à partir d'éléments de la Tcheka, la rébellion de Tambov.

Là encore, elle ne voit que les effets du communisme de guerre mais pas ses raisons, l'arriération, la guerre civile et la trahison des SR de gauche.

Au passage, elle évoque que des SR de droite exclus ont participé à un gouvernement dans la partie anglaise.

Un paragraphe évoque le procès des SR

Le procès de 1922 des SR
A Moscou, en 1922, eut lieu le procès des SR. Tous les journaux étaient remplis de commentaires, accusant les SR de tous les péchés de la terre, les couvrant des insultes les plus ordurières. Vandervelde, qui était venu pour défendre les accusés, fut reçu avec de telles démonstrations d'hostilité qu'il repartit, renonçant à assurer la défense. La présence de noms comme Gotz ou Vedeniapine, auréolés de la lutte que ces hommes avaient mené contre le tsarisme pour la cause du peuple, me suffisait pour vénérer les inculpés.

Le court article Wikipedia ne mentionne pas ce départ de Vandervelde.

Les menchéviks furent interdits à partir de 1919, les anarchistes en 1921. Mais Bertrand Russell, le grand logicien et philosophe britannique, très critique contre les bolchéviks, écrira dans sa relation de son voyage en Russie en 1920, La pratique et la théorie du bolchévisme :

On nous accordait liberté entière de fréquenter les hommes politiques des partis de l’opposition, liberté dont, il va de soi, nous avons profité largement. Nous avons interviewé des mencheviks, des socialistes révolutionnaires appartenant à divers groupes et des anarchistes ; nous leur avons parlé sans que les bolcheviques fussent présents à nos entretiens, et ils nous ont parlé librement, une fois surmontée leur appréhension première.

(source Wikirouge)

Pour revenir au livre, sur la NEP :
Il fallut admettre l'entreprise privée, il fallut faire des concessions au capital étranger. Il apparut possible de trouver des points d'accord avec sa propre bourgeoisie et la bourgeoisie internationale. Mais trouver un compromis avec son propre mouvement socialiste et le mouvement socialiste d'Europe occidentale, cela, les communistes ne le pouvaient pas. L'intolérance idéologique grandissait et se renforçait.

Voilà l'une des « contradictions » qui montrerait la duplicité bolchévique. Mais il fallait trouver un compromis, selon elle, avec des « socialistes » vitupérant contre la révolution et dynamitant ceux qui avaient empêché sa défaite.

Continuant ses activités, elle est arrêtée en 1924.

Elle raconte ses détentions, les conditions de vie, le statut de prisonniers politiques plus favorable qui concernait tous les militants socialistes (menchéviks, SR, anarchistes). Les « KR », les contre-révolutionnaires, étant avec les droits commun.

On voit le durcissement des conditions avec la stalinisation. Il y aura la lutte par la grève de la faim pour garder le régime politique lorsqu'il sera contesté. L'une des grèves montre que les plus radicaux politiquement (anar', SR de gauche) ne sont pas forcément les plus fiables.

A côté de conditions difficiles, isolement, froid, il y a une vie intellectuelle intense, conférences, discussion, lectures, les livres sont mis en commun, l'argent et les colis également, du moins pour les organisés SR et anar, pas chez les SD (menchéviks ?).

Il y a des débats, parfois âpres entre SR de deux bords, sur la politique passée des SR, sur leurs erreurs.

Elle est emprisonnée sur les îles Solovski, dans un monastère.
A suivre...
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Re: Livre : Le sablier d'Olitskaïa

Message par Zorglub » 21 Juil 2025, 21:41

Elle raconte l'arrivée des oppositionnels à Verkhneouralsk. Les trotskistes étaient dans des cellules séparées, des promenades séparées et d'ailleurs ne communiquaient pas avec les autres politiques dont beaucoup étaient considérés comme ennemis de la révolution contre lesquels ils avaient lutté. Ils refusaient de transmettre les messages et colis.

Les premiers zeks communistes
Depuis longtemps nous étions persuadés que, tôt ou tard, nous allions nous retrouver en prison avec des bolchéviks. Cela était écrit dans la logique des évènements.

(zek : vient de ZK abréviation de détenu.)

Ainsi, l'arrivée des oppositionnels ne fait que conforter sa logique : la dictature contre les démocrates puis la révolution mangeant ses enfants. Les raisonnements de classe sont absents.
Personnellement -et je n'étais pas la seule -, je n'éprouvais aucun sentiment de joie méchante envers les nouveaux arrivants, mais plutôt un mépris amusé : « Ne creuse pas la fosse d'autrui, tu y tomberas toi-même. »

Elle tombe enceinte dans l'isolateur bien qu'elle et son mari, militant SR également, ne s'estimaient en situation d'avoir un enfant.
Mais ils projettent, qu'une fois la relégation effectuée, ils, au moins son mari, repartiraient en clandestinité !

Nous étions au courant de l'anéantissement de toutes les organisations de parti encore à l'air libre, de la dureté du régime, de la terreur, des conditions incroyablement difficiles de la clandestinité. Nous savions qu'il fallait tout recommencer à zéro. Nous savions aussi combien la majorité de nos camarades étaient pessimistes, et combien ils ne croyaient pas aux possibilités d'un travail clandestin. Ils disaient qu'il fallait attendre que les communistes se retrouvent dans l'impasse où leur politique allait les conduire. Nous n'étions pas d'accord avec eux. Nous considérions qu'il n'était pas possible de rester là et d'attendre.

Mais sur quelles bases...
[...] Nous rêvions d'un socialisme véritable, d'un socialisme qui permettrait aux forces sociales d'échapper aux logiques des pouvoirs, dans tous les domaines. Nous ne faisions pas qu'en rêver, nous étudions avec acharnement, nous lisions, nous discutions.

Cette absence de raisonnement sur les classes, ils ne l'ont pas perdu avec la répression. Les camps étaient pleins de ceux qui y étaient déjà sous le tsar. Ce n'est pas non plus cette situation inédite dans l'histoire, cette confusion, cela a seulement révélé plus clairement qu'ils ne l'ont jamais eu :
A cette époque, nous nous étions éloignés d'une conception idéaliste de la démocratie. Elle nous paraissait vague et imprécise. Le merveilleux proverbe russe : « Vis et laisse vivre les autres », nous le paraphrasions en disant : « Est permis à l'homme tout ce qui ne porte pas atteinte à la liberté d'autrui ».
Tout le monde parlait de démocratie - la bourgeoisie, les communistes... - Nous n'en pouvions plus. [...]
Nous voulions la démocratie pour la démocratie. Dans la société, la démocratie doit être garantie à tous ceux qui ne lui porte pas atteinte. La coercition et la violence ne peuvent être appliquées qu'à celui qui, lui-même, les applique ou les prône pour les autres.

Si ce n'est pas une théoricienne, une sacrée militante assurément. Et son niveau politique n'est que le reflet de son organisation et cela tranche avec les carnets des nôtres dans ce même isolateur, Verkhneouralsk.

A suivre.
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Re: Livre : Le sablier d'Olitskaïa

Message par Zorglub » 25 Juil 2025, 20:32

En relégation, elle aura cette réflexion sur la collectivisation stalinienne en 1928 :
« La collectivisation des campagnes », c'était notre slogan (nota : au PSR), c'était notre solution au problème rural : inventer un socialisme à travers l'organisation de coopératives paysannes de production.
Les sociaux-démocrates de toutes tendances s'étaient toujours opposés aux coopératives de production. Et maintenant ils clamaient le slogan « collectivisation » !


Plus loin :
Les marxistes n'avaient jamais fait confiance aux capacités révolutionnaires de la paysannerie, ils n'avaient jamais cru au rôle que pouvait jouer les coopératives de production. Seule la nécessité avait poussé les bolcheviks à lancer des slogans propres à toucher le monde rural. Ils réservaient aux paysans un rôle insignifiant, alors que la classe paysanne représentait la plus grande partie de la population.


Alors qu'elle est en détention avant le stalinisme, les détenus ont parfois faim, mais qu'ils ne protestaient guère alors sachant une bonne partie du pays pas mieux loti.
Mais ensuite, elle souligne la mise en place d'hôpitaux, de crèches mais l'arriération d'un personnel pas encore formé et surtout la misère font qu'ils en sont à voler leur nourriture pour leur propres enfants.

Dans le chapitre Se réconcilier avec une vie pareille est impossible :
Fallait-il croire ou non ce que l'on racontait ? Pour ma part, je n'ai eu à subir aucun acte illégal à l'intérieur des murs de la GPU, ni pendant l'enquête ni pendant les interrogatoires.

Ce ne fût plus pareil pour les suivants, notamment quand ce fût les trotskystes et les purgés pourtant fidèles. La torture est systématique, et pour les femmes, parmi les tortures, le viol. Aucune n'en parle dans les convois car c'est unanime.

Choura écrit à un groupe d'opposants de Léningrad.
[...] Nous ne pouvions marcher main dans la main avec n'importe quel opposant au régime soviétique. Le slogan « A bas les communistes ! » ne nous intéressait pas et il ne pouvait nous rendre proche des gens. « En avant pour le socialisme ! » était notre slogan.

Il critique plus loin l'opportunisme des socialistes occidentaux, Kautsky et Bauer dont il fût question au début du fil.

Vient le choix de la clandestinité.
Pour moi, c'était différent. Je ne me sentais pas la force d'apporter ma contribution, de soulever de nouveaux problèmes ni de convaincre d'autres gens à me suivre. Je n'avais pas, en moi, ces motivations qui poussaient Choura. Les raisons d'agir chez moi étaient d'un autre ordre, même si Choura les prenait, bien sûr, en considération. Nous assistions à une collectivisation conduite de manière terrifiante...


En 1924, lorsque je suis entrée dans la lutte, j'ai abandonné mon vieux père invalide. Comment aujourd'hui puis-je oser ne pas abandonner ma petite fille ? Comment puis-je demander aux gens de faire acte d'insoumission, de se montrer intransigeants, d'avoir du courage et de se sacrifier si moi-même je ne suis pas résolue à engager le combat ?

Elle laissera finalement sa fille à sa belle-mère bigote.

Ils sont arrêtés au bout de quelques mois alors qu'ils commençaient à imprimer des tracts.

De retour en camp, l'une des détenues dira, en substance : « tu as eu bien raison, car au moins tu sais pourquoi tu es là ».

Elle croise un cadre SR :
Liberov avait personnellement connu Fanny Kaplan, qui avait tiré sur Lénine. Il l'avait vue, lorsqu'elle était arrivée du Sud à Moscou, décidée à commettre un acte terroriste. Liberov me disait que la direction du Parti n'avait pas accepté sa proposition de tuer Lénine, qu'elle l'avait rejetée. Liberov considérait néanmoins qu'on n'avait pas pris des mesures suffisamment efficaces pour empêcher Kaplan d'agir. Selon lui, c'était un nature enthousiaste, honnête et dévouée.
« Je ne deviendrai jamais bolchévik », disait Liberov. Je resterai toujours, pour eux, un adversaire déterminé, mais on ne peut nier qu'ils savent ce qu'ils veulent. On ne peut leur dénier un activisme débordant, une capacité de vivre et de faire aboutir leurs objectifs.


Peu étonnant finalement, le terrorisme fût constitutif du PSR et ils avaient déjà sévit contre la Russie révolutionnaire.
Au moment de la guerre d'Espagne, certains détenus firent une demande pour aller combattre le fascisme là-bas...

Sur le Front Populaire :
Comment les socialistes français pouvaient-ils engager de telles négociations avec les communistes, sachant qu'en Russie tous les socialistes étaient en prison ? La position de Romain Rolland et de Gorki était pour nous incompréhensibles.
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Re: Livre : Le sablier d'Olitskaïa

Message par Zorglub » 26 Juil 2025, 17:43

Après l'assassinat de Kirov, le procès, et l'un des accusés est un Smirnov qui était dans l'isolateur d'Olitskaïa.

A la lecture des condamnations et des militants s'accusant :
Pourquoi ne s'était-il pas trouvé un homme pour décider de mourirla tête haute comme les révolutionnaires allaient jadis à leur exécution ? Pourquoi les accusés avaient trouvé en eux la force de rester des années enfermés sans se reconnaître criminels alors que ce procès avait suffi à les faire fléchir ? Pourquoi étaient-ils allés à la mort en se calomniant eux-mêmes, et en calomniant leurs camarades et leurs causes ? Avait-on amené uniquement au procès ceux que l'on avait réussi à briser pendant le déroulement de l'instruction ? Quelles méthodes avait-on utilisées, pour briser la volonté de membres du Parti aussi anciens et aussi expérimentés ? Des tortures ? Les avait-on menacés de la peine de mort ? Leur avait-on promis qu'ils seraient graciés ?
Quelqu'un parla d'hypnose, quelqu'un d'autre de mascarade, de prêtes-nom. Nous nous perdions en conjecture mais nous étions sûrs d'une chose - cela ne s'était pas passé comme on nous le présentait.


A la centrale de Iaroslav, les détenus se lancent dans une grève de la faim :
Notre grève de la faim lui [Tassia sa co-détenue] paraissait un effrayant non-sens qui ne justifiait pas qu'on y laisse la vie. Elle pensait qu'il aurait mieux valu supporter n'importe quelles conditions carcérales, consacrer nos forces à survivre quelles que soient les conditions, plutôt que de mourir de faim sans aucune perspective.
Mon opinion était autre. Mourir en prison pour le droit à la vie n'était déjà pas si mal. Bien plus grave était de mourir sans lutter pour obtenir des conditions permettant notre survie. Dans les conditions de l'isolateur politique, les gens perdaient des forces, s'affaiblissaient, tombaient malades, mais ils pouvaient tout de même se maintenir en vie. Dans les conditions imposées par ce durcissement du régime, beaucoup allait périr. Tassia elle-même y survivrait-elle ? Mais je pensais également que nous ne gagnerions rien par cette grève, que la collectivité n'irait pas jusqu'au bout. Si les bolchéviks [les staliniens] instituaient ce régime dans le but de nous anéantir, tous ceux qui n'étaient pas morts pendant leur grève de la faim mourraient ensuite, les uns après les autres. Pourquoi serait-il pire de mourir en combattant, en gardant foi dans la victoire ? Bref, notre mort serait justifiée par notre combat.
Tassia hochait la tête négativement.
« Notre mort n'aura aucune signification, aucune portée, nous mourrons en vain.
« Pourquoi jeûnez-vous, Tassia ?
« Comment ne pas jeûner quand tous les camarades le font ? Je n'ai pas le choix. Je ne peux que mourir, bien que tout mon être proteste contre cette mort.
Tassia, à sa manière, avait raison. Mais c'était précisément lorsque les gens faisaient la grève de la faim dans cet état d'esprit que la grève était vouée à l'échec.
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Re: Livre : Le sablier d'Olitskaïa

Message par Zorglub » 26 Juil 2025, 22:20

Aujourd'hui justement, on mettait sur un piédestal Pierre Ier, Ivan le terrible...
[...]
Si quelque chose de bon parvenait à émerger, à demeurer intact de la révolution russe (je gardais une foi profonde dans le triomphe final de la révolution, dans la victoire du socialisme), on le devrait à ce que notre peuple arriverait à édifier dans les tourments et les souffrances...


Elle raconte comme plusieurs détenues, dont elle, furent aveugles pendant quelques heures ou jours du fait de la sous-alimentation.

Elle sont en route pour la Kolyma par convoi ferroviaire et dans des conditions abominables. Le convoi s'arrête en pleine campagne car des paysannes vendent des oignons verts. Etant l'un des doyennes on lui confie l'argent pour en acheter. Alors que plusieurs s'apprêtent à partager équitablement, sans égard au montant donné, plusieurs des staliniennes s'insurgent et veulent leur part au pro rata de leur contribution.

Mais elle est estomaquée, outrée, elle n'avait jamais vu cela avec des politiques qui, auparavant, mettaient tout en commun, au moins par organisations politiques. Elle en pleure.
Elle décriera ainsi la déliquescence morale de ces gens venus sur le tard au PC, affairistes, opportunistes, délateurs mais qui se retrouvent pris dans la répression à laquelle ils ont contribué.
C'en est au point qu'elle constate que les droits communs se comportent désormais plus humainement.

On racontait des horreurs. Je n'avais pas peur des horreurs de la Kolyma. C'était de vivre parmi ces gens qui me faisait peur.

Elles applaudissaient des deux mains les condamnations à morts de ceux qui les avaient guidées auparavant.


Elle mentionne plusieurs fois le déni de certains de ces staliniens, ainsi une militante torturée au point qu'elle ne veut pas en parler mais qui justifiait son usage.

Lors du transfert à la Kolyma
Pour faire passer le temps plus vite, les femmes récitaient des poèmes. Genia Guinzbourg était une remarquable conteuse. [...] elle était douée d'une mémoire étonnante. Du premier au dernier mot, avec grand talent, elle nous récitait Eugène Onéguine, Poltava, La cavalier de bronze, Le malheur d'avoir trop d'esprit. Un jour, le gardien entendit ses déclamations. Il entra dans le wagon pour exiger qu'on lui rende le livre. Nous lui affirmions que nous n'avions pas de livres, mais il n'en crut rien. En nous insultant grossièrement, il fouilla tout le wagon et, bien sûr, ne trouva rien.


La Kolyma : pendant douze mois c'est l'hiver, les autres c'est l'été.

Dans la postface par une historienne, Luba Jurgenson à l'orientation bien orthodoxe, il est toutefois noté :
La fidélité inconditionnelle à ses convictions manifestée par Olitskaïa, son mari Alexandre Fedodeev et un groupe d'amis témoigne, en ce sens, non seulement d'un grand esprit de sacrifice et d'une volonté sans faille, mais également d'une forme de lucidité politique : se renoncer ne procurerait qu'un sursis momentané mais briserait la personne ; mieux valait endurer la persécution plus tôt, mais aussi garder ses forces morales pour l'affronter.

J'apprends dans cette postface que Varlam Chalamov était également SR, ce que ne dit pas l'article Wikipedia.

Voilà, c'est fini, le récit d'une militante emprisonnée, de 1924 à 1947. Les circonstances ont fait qu'elle ne fût pas bolchévique mais d'une force morale impressionnante.
La relation des événements historique est sélective, biaisée, ce qui peut étonner avec les passages montrant une grande naïveté, et qui plus est avec le courage dont elle fait preuve.
Reste à lire Récits de la Kolyma et Les cahiers de Verkhneouralsk.
Zorglub
 
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