La réflexion sur le rapport avec la lutte des classes m'a fait immédiatement penser à un livre que j'avais aimé. Je vous en cite un tout p'tit bout. Y a-t-il un rapport avec la lutte des classes? La problématique est bien du même genre que ce qu'on trouve dans le quartier de Luna et Lina.
Dans un livre, "La gloire sans maillot jaune", Raymond Poulidor raconte sa vie. Mon exemplaire date de 1968, une époque où ce cher Poupou est loin d'avoir terminé sa carrière. Il sera coureur professionnel jusqu'en 1977.
Raymond Poulidor est né en 1936. Ses parents sont des domestiques agricoles, dans le Limousin. Il passe son certif' en 1950. C'était un excellent élève. Mais…
L'École? Ces trois petites syllabes rendent pour moi un son bien particulier. C'est à la fois un mot merveilleux et un peu triste, un mot qui pour le petit paysan que j'étais n'a pas tenu toutes ses promesses.
Lorsque j'y pense, je ne sais trop quels sentiments surnagent : la reconnaissance envers monsieur Vialleville, mon maître, la satisfaction d'avoir été un bon élève ou le regret tenace de n'avoir pu, par manque d'argent, «pousser plus loin», au moins jusqu'au brevet. Dans ma tête, cela fait un drôle de mélange.
Huit années heureuses et une longue journée triste qui n'en finit pas, tel apparaît aujourd'hui le bilan de ma scolarité. Jamais je n'oublierai le 1er octobre 1950.
Ce matin-là, sachant que je dois désormais travailler à la ferme, je retourne quand même en classe. L'instituteur est aussi ému que moi. « Alors m'sieur, lui dis-je, vous ne me gardez pas? » Il me répond doucement qu'il ne peut plus rien pour moi, que j'ai déjà fait le programme, donc que je perdrais mon temps, et que mon père compte sur moi. Charitablement, il me dissimule qu'il a parlé de tout cela avec ma mère, qui s'est mise à pleurer quand il lui a affirmé que, si elle pouvait faire l'effort financier de m'envoyer au collège, il se portait garant de ma réussite. Visiblement, elle ne le pouvait pas...
A l'époque, ce fut un véritable déchirement, le premier grand chagrin de ma vie. Cela explique une entrée sans joie dans le monde du travail. J'étais d'autant plus désorienté que, M. Vialleville excepté, personne ne pouvait comprendre ma détresse.
Malgré cette détresse, Raymond n'en veut pas à son père:
Je ne lui en veux pas. Comment aurait-il pu avoir une autre attitude, lui qui fut « placé ›› à sept ans et n'alla en classe que durant quelques mois d'hiver, lorsque l'ouvrage ne pressait pas?
Raymond est donc aussi domestique agricole, employé par ses parents, en somme.
Nous nous échinons pour un bien maigre profit. Jusqu'au service militaire, je ne recevrai par exemple aucun salaire. Parfois ma mère me donne cinq francs le dimanche; c'est tout et encore, il y a bien des semaines que l'on saute.
Pour cela je n'aime pas le jour de repos. Avec mes copains, je me rends dans les villages où il y a bal, mais nous restons à la porte, car après avoir payé l'entrée nous ne pourrions plus rien faire. Alors nous jouons à la belote ou au baby-foot. Nous buvons deux demis de bière et nous errons comme des âmes en peine en regardant les autres s'amuser. Ce jour-là, j'ai un peu honte de ce que je suis. Je me dis que c'est injuste, et puis dès le lundi matin, j'oublie les pensées un peu mélancoliques du dimanche soir.
Et alors?
On m'a demandé, et c'est un peu indiscret, ce que je pense de la politique. J'admire beaucoup le général de Gaulle, en tant qu'homme, […]. Mais je conserve les opinions politiques de mes origines. I1 y a encore trop de misère dans les campagnes pour qu'i1 en soit autrement.
Le limousin, une drôle de région. Je ne sais pas quelles étaient les opinions d'origine de Raymond. Peut être ça:
"Le communisme rural en Limousin : de l’héritage protestataire à la résistance sociale (de la fin du 19e siècle aux années 1960)"
https://journals.openedition.org/ruralia/1077