Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par com_71 » 24 Avr 2020, 07:02

artza a écrit :Une remarque étonnante
"Hongrie 56...la dernière fois en Europe où on vit la classe ouvrière les armes à la main".


C'est bien la vérité. Et, pourquoi étonnante ? Ils ont fait quelques recherches, ils ont bien le droit d'être tombés - par hasard ? - sur de la bonne documentation. ;)
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par artza » 24 Avr 2020, 09:25

Ou j'ai peut-être voulut entendre ce qui me plaisait.
Pour un réalisateur ignorant tout de la capacité de la classe ouvrière à s'émanciper, cette formule n'a pas forcément le sens que je lui prêtais.
artza
 
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par Cyrano » 24 Avr 2020, 09:45

Le 28 avril, après la diffusion des 4 épisodes, à la suite, il y a un "Karl Marx, penseur visionnaire" de prévu vers 1 heure du matin.
Il doit être déjà disponible, I presume.
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par com_71 » 24 Avr 2020, 10:03

La parole à J. Attali, ça promet !
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par Gayraud de Mazars » 24 Avr 2020, 10:23

Salut mon cher Cyrano,

Oui, camarade Com, mais Attali apparait très peu...

Ce documentaire, je l'avais déjà vu, il est digne d'être vu... Il est des éléments à apprendre sur Marx ! C'est un documentaire grand public sur un média bourgeois, alors ne nous faisons pas d'illusions... C'est mieux que rien !

Karl Marx - Penseur visionnaire

https://www.arte.tv/fr/videos/074555-00 ... sionnaire/

Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par Cyrano » 24 Avr 2020, 10:35

Com:
La parole à J. Attali, ça promet !


Oui! Je viens de lire le texte de présentation sur Arte. :-)
Bon, Gé-dé-M nous dit qu'on le voit peu, heureusement, car c'est physique: envie de l'entarter avec une gamelle de ciment prise rapide.
Cyrano
 
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par Zorglub » 24 Avr 2020, 11:25

En parlant de la classe ouvrière, c'est émouvant, Le Monde l'a (re)découvre et c'est ici : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/04/24/ils-sont-soignants-livreurs-caissiers-voyage-dans-le-paris-des-travailleurs-non-confines_6037597_4500055.html
Ces professionnels souvent précaires ­bénéficient d’une visibilité soudaine qui redonne à la rue un parfum de lutte des classes.

C'est que ce journaliste s'encanaillerait !
A croire qu'ils ne travaillent que pendant les pandémies (les ouvriers et/ou le journaliste). Comme il n'y a plus que les prolos dans la rue, il les voit enfin. C'est beau, snirf!
On en parlait dans le LO précédent 2698 d'ailleurs.
Zineb Dryef le monde.mag 24-04 a écrit :Ils sont soignants, livreurs, caissiers… Voyage dans le Paris des travailleurs non confinés
En première ligne, ils continuent leur activité coûte que coûte malgré la peur et, souvent, le manque de moyens de protection ­suffisants. Ces professionnels souvent précaires ­bénéficient d’une visibilité soudaine qui redonne à la rue un parfum de lutte des classes.

Le silence est à peine troublé par des chants d’oiseaux que l’on ne reconnaît pas et par le bruit de nos pas qui résonnent comme dans une église. La gare du Nord a l’air abandonnée sans ses trains et ses voyageurs, ses commerces et ses files d’attente. Les rares passagers patientent sur des bancs, plongés dans l’ombre. Ils sont assis à distance les uns des autres, parfois masqués. Parmi eux, nombreux sont ceux que l’on nomme les « invisibles », ces travailleurs souvent précaires qui font vivre Paris malgré la crise et l’immense fatigue qu’entraîne leur activité « sous tension ». Ceux dont on sait qu’ils sont parmi les plus exposés à la maladie.

Une femme, la petite cinquantaine, assise un peu à l’écart, tient un gros sac sur ses genoux. Elle y a glissé ses chaussons rythmiques, ses gants et sa blouse. Elle n’a pas de masque. « Ma vie n’a pas beaucoup changé depuis le confinement », dit Françoise-Paule. Derrière ses lunettes fines, elle a l’air, comme la voix, grave. Une dame chez qui elle travaille au noir depuis six ans lui a bien demandé de ne plus venir, faute de pouvoir lui fournir une dérogation, mais même sans ça, la quinquagénaire travaille quatre jours par semaine. Salariée d’une société de nettoyage, elle fait ce qu’elle a l’habitude de faire dans plusieurs entreprises franciliennes, ­c’est-à-dire un peu de tout. Brosser, balayer, récurer, lessiver… Et, désormais, désinfecter, avec un peu plus de vigueur et d’alcool.

Son mari, manutentionnaire, la récupère le soir à la gare de Beauvais. Seuls leurs enfants sont confinés. Elle ne comprend pas son aînée, blanchisseuse à l’essai et baby-sitter, qui lui semble amère. Pour une fois, elle pourrait s’enrouler dans le confort de sa chambre et regarder ses séries toute la journée. « Mais elle est de mauvaise humeur. Je la laisse tranquille. » La femme de ménage ne se sent pas tout à fait « dans le même bateau » que les autres – les « essentiels », ces « docteurs qui sauvent des vies ». Elle a surtout le sentiment de ne pas avoir le choix.

Un vide confortable ou inquiétant

Tous les jours, Bartholomé Laplantine voyage en sens inverse. Il traverse lui aussi la gare déserte pour attraper le RER B, celui qui habituellement va jusqu’à l’aéroport Charles-de-Gaulle, pour rejoindre l’hôpital de Seine-Saint-Denis où il est interne en chirurgie. « J’ai un peu honte de le dire, mais c’est super agréable le RER en ce moment… C’est confortable de ne pas être dans des rames bondées, dit-il. Les gens ont l’air très inquiets, ils refusent d’ouvrir les portes et ils arborent des masques. »

Lui-même a été contaminé mais à 32 ans, ça ne l’a pas plus inquiété que ça. Après la quatorzaine réglementaire, confiné dans son petit appartement avec sa compagne et son bébé de 3 mois, il est retourné au travail. Beaucoup de ses patients ont disparu, ceux qui arrivaient aux urgences pour un ulcère ou une appendicite : « Mon chef, qui est libanais, nous a dit que pendant la guerre au Liban, c’était la même chose : les gens ne tombaient plus malades. » Bartholomé comprend que des médecins qui « suffoquent sous le virus » soient en colère, mais il n’arrive pas à en ­vouloir à ceux qu’ils voient dehors depuis sa fenêtre ou dans les rues de la ville du 93 où il travaille. Il n’ignore pas que beaucoup vivent dans des appartements où il manque le plus précieux : la possibilité d’une intimité.

A 300 mètres de la gare du Nord, un groupe de jeunes femmes s’élancent de l’hôpital Lariboisière, serrées les unes contre les autres, souriantes. Sophie Villois, infirmière aux urgences, se dépêche pour ne pas louper le RER B. Elle habite à une trentaine de kilomètres. « Je prends le train de 5 h 43 le matin… J’ai du mal ! Et le soir, je cours… Le RER est assez vide, ça n’est pas très rassurant et j’ai plusieurs collègues qui se sont fait agresser. » L’AP-HP met des taxis à leur disposition – sans avance de frais – mais Sophie préfère les laisser à d’autres. « Si je loupe mon train, je peux aller chez mon copain. » A 24 ans et avec trois ans et demi d’expérience, elle a connu « les insultes, les crachats, la violence verbale et physique » des patients, mais pas les remerciements. Alors les applaudissements de la population l’émeuvent, comme ces dons, importants, qui arrivent tous les jours à l’hôpital.

Elan de solidarité et nerfs à vif


Grégoire Peuvion est l’un de ces coursiers à vélo-cargo qui livrent des repas aux hôpitaux. Il a 32 ans et il adore son métier. Salarié dans une coopérative, il fait aussi partie du collectif Ibu Fighters, une petite communauté de bikers qu’il décrit comme « solidaire et engagée ». S’il continue, deux fois par semaine, à travailler comme coursier (« livrer c’est introduire des choses chez les gens qui peuvent être potentiellement pathogènes, on refuse tout ce qui n’est pas nécessaire »), le reste du temps, il fait du bénévolat.
Quand il a vu sur Instagram qu’un de ses copains, patron du Bistrot Rougemont, sur les Grands Boulevards, lançait un collectif pour livrer les hôpitaux, il a songé que ce serait super de les rejoindre. « Un soignant m’a raconté que les cuisines de beaucoup d’établissements sont fermées. Les repas offerts et livrés aux soignants viennent donc pallier des fonctions abandonnées par l’Etat... » Les premiers jours, il a été surpris par les regards des quelques passants, sortis marcher ou faire leurs courses. « Ça nous arrive de nous arrêter pour souffler ou pour attendre la livraison. On s’assoit sur nos vélos. Et là, le regard des gens peut être très inquisiteur. C’est pesant. »


Les soupirs dans les allées des supermarchés, les regards agacés jetés dans les files d’attente, les remarques sur les réseaux sociaux… Ça balance pas mal à Paris, confirme Frédéric Haristoy. Ce policier en police-secours, dans le 15e arrondissement de Paris, n’a jamais vu ça : « Les gens ne se supportent plus. Beaucoup dénoncent leurs voisins. On est appelé dans des zones privées, dans lesquelles on n’a pas l’habitude d’intervenir, comme des cours. On fait énormément d’interventions pour tapage dont beaucoup sont en réalité des bruits de la vie courante. Des agents de la RATP nous ont raconté que des usagers s’agressent en se crachant dessus. »

Ce qui l’inquiète, ce sont les femmes piégées chez elles avec des conjoints violents. « On a une recrudescence des interpellations à ce sujet-là. » Père de deux petites filles de 9 et 7 ans, il fait attention dès qu’il se trouve face à une « personne un peu souffreteuse » mais les mesures de distanciation sont impossibles à tenir : en patrouille, impossible à moins de 50 centimètres des camarades, et une interpellation à un mètre de distance, ça n’existe pas. Plusieurs collègues sont tombés malades. Ça lui rend plus agaçants encore ceux qui « sont persuadés qu’ils ne risquent rien », des dealeurs habitués de son commissariat aux promeneurs qui prennent le soleil sur les quais de Seine.

« Je suis bien obligée, sinon quoi ? »

Car la météo complique le confinement. A Creil (Oise), dans son F2 de 38 mètres carrés, sans terrasse, ni balcon, la famille Bakkari étouffe. Les deux enfants, qui ne supportent plus d’être privés de printemps, partagent l’unique chambre. Omar Bakkari et sa femme dorment dans le salon. Croisé en lisière du 2e arrondissement de Paris, ce chauffeur-livreur part de chez lui tous les matins à 3 h 30. Il met trente minutes en voiture pour arriver à Gonesse où il charge son camion. Sa tournée démarre toujours par les six supermarchés parisiens qu’il livre le matin puis se poursuit dans les Yvelines ou les Hauts-de-Seine. « Ma fille me dit : “Attention au corona !” Mais je n’ai pas le choix. »

Equipé depuis le premier jour, il ne s’inquiète pas beaucoup. Sans les bouchons, « les journées sont plus courtes, moins stressantes, dit-il. Le confinement, c’est parfait pour les chauffeurs. » Ce qui le ronge, c’est l’état d’épuisement de ses enfants. « Ils trouvent le temps long depuis le 14 février. » Sa fille de 8 ans et son garçon de 12 ans sont coincés à la maison depuis deux mois. Dans l’Oise où les premiers cas se sont déclarés au mois de février, les écoles n’ont pas rouvert leurs portes au retour des vacances d’hiver, le 2 mars.


A Paris, les murs donnent la vague impression de naviguer dans une ville anachronique. Ici, une affiche annonce la sortie d’un film que personne n’est allé voir au cinéma, là un concert auquel personne n’assistera jamais. D’autres sont inhabituelles, comme celles des commerces qui tout le long d’une rue ont placardé des photocopies détaillant leurs horaires d’ouverture. L’affichage est redevenu le moyen le plus pratique de communiquer avec des riverains coincés dans leur kilomètre réglementaire. Sans ça, comment peuvent-ils savoir que la crêperie vend des galettes à emporter ?

Dans certains quartiers, des longues files d’attente dessinent un paysage de ville assiégée. Avenue de Flandres, dans le 19e arrondissement, devant chaque établissement ouvert (supermarchés, bureau de poste, taxiphone…), des dizaines de personnes patientent. Rama (*), une jeune caissière, a accepté de venir deux jours de plus en semaine. « Je suis bien obligée, sinon quoi ? demande-t-elle. Je suis au chômage et les clients ne mangent plus. » Elle a un peu le sentiment de payer de sa vie pour les autres. Si les clients sont « plus polis » que d’habitude, elle voit bien que jour après jour, on lui dit moins merci. Le soir quand elle rentre à Sevran (Seine-Saint-Denis), en bus, elle se dit que ça ne vaut pas la peine mais elle y retourne.

La tournée des précaires

Sa ligne de bus, la 147, Florent Duviquet la connaît bien. Il la conduit. Machiniste-receveur au centre des Pavillons-sous-Bois, il a travaillé jusqu’à la fin du mois de mars. Sans masque. Ils ont été fournis aux agents de la RATP seulement au début du mois d’avril. Pendant deux semaines, il ne s’est pas senti suffisamment protégé. Il a levé la vitre anti-agressions mais dans un bus, « même grand, cinquante personnes, ça fait trop pour respecter les distanciations ». Il voit bien que les passagers sont massivement des travailleurs et des familles qui font leurs courses. Il n’a pas constaté plus d’incivilités que ça. Il note juste que les gens n’osent pas acheter de tickets, dire bonjour et appuyer sur le bouton d’arrêt du bus. Il dit que ceux qui travaillent sont ignorés par le gouvernement : « Une prime, c’est bien mais ça ne remplace pas un remerciement. »

Comme son collègue, Stéphane Arrachart, agent de station sur la ligne 8, constate que la plupart des gens dans le métro sont des précaires. « On ne voit pas les avocats ou les grands philosophes. Les salariés de sociétés de nettoyage sont toujours au boulot. Les jeunes filles qui travaillent dans l’alimentation aussi. Faut bien qu’on les transporte, c’est la moindre des choses. » Comme en écho, Elmitha Pierre dit : « Heureusement que les agents de la RATP sont là. Sans eux, je ne pourrais pas travailler. »
Pour faire la tournée de ses quatre patients, entre Nogent-sur-Marne et Fontenay-sous-Bois dans le Val-de-Marne, l’auxiliaire de vie de 62 ans passe deux heures dans les transports tous les jours. Métro et bus. Puis bus et métro. Puis métro jusqu’à son appartement parisien dans le 11e arrondissement. Elle ne voit plus sa cinquième patiente, les enfants lui ont demandé de ne plus venir. Tous sont âgés : 84, 85, 92 et 93 ans. « Ils ne savent pas tout ce qui se passe. Certains regardent la télé sans regarder... Mais ils en ont tous marre de rester à la maison. Ils ne comprennent pas pourquoi on ne peut pas aller dehors boire le café. Je m’y oppose mais le problème c’est comment aller à l’encontre des personnes âgées ? Si je dis non à la sortie à la boulangerie, ils font du bruit… Alors, je les accompagne. Alzheimer, ce n’est pas facile à gérer. » Elle n’a jamais songé à s’arrêter. « Ils ont besoin de compagnie. Et si je ne travaille pas, ils ne mangent pas. J’ai une dame qui habite au quatrième sans ascenseur… »

Elle utilise parfois le même masque trois jours, en le désinfectant du mieux qu’elle peut parce qu’il vaut mieux un masque usagé que pas de masque du tout. Comme les non-confinés, elle limite ses déplacements aux frontières des rues où elle travaille et où elle vit. Elle n’aime pas se plaindre mais elle relève qu’on parle peu de son métier. Ce qu’elle découvre à la télévision la choque : « Ce qui se passe dans les Ehpad, ça n’est pas normal. Il faut laisser les enfants voir leurs parents [les visites sont de nouveau autorisées depuis le 20 avril sous certaines conditions]. » Elle confesse une légère angoisse : « Je suis inquiète pour mes filles. Les deux travaillent avec des enfants. Je sais qu’elles sont prudentes. Moi aussi je suis prudente. Mais les gens malades, eux aussi, ont été prudents. »


Assurer la continuité du service public

Une des filles d’Elmitha, Linéda D’Haïty, est directrice d’un centre de loisirs dans le 6e arrondissement. Elle a 36 ans et habite à quelques rues de chez sa mère. Le 13 avril, son centre étant fermé, elle a repris le métro pour la première fois, direction le 14e pour encadrer des enfants dans une école qui accueille des enfants de soignants. La traversée de la ville où « rien ne bouge » a été « oppressante » mais elle était contente de reprendre le travail après trois semaines passées seule chez elle. « Je me suis déclarée ­volontaire parce que j’habite à Paris : il vaut mieux que ce soit moi plutôt que quelqu’un qui vient de loin. Une fois que les enfants sont présents, je pense à la journée qu’on va passer et pas du tout à la maladie. ».
Son responsable, Michael Alvarez, qui a commencé il y a dix-sept ans comme animateur, s’est aussi engagé pour plusieurs semaines : « La continuité est un principe fondateur du service public et quelle que soit la difficulté, on doit être là, on veut être là. » Pour Michael, même s’il court prendre une douche et mettre ses vêtements dans la machine à laver dès qu’il rentre le soir, l’angoisse est passée. Elle a commencé quand une collègue qui avait travaillé à Milan s’est mise à ne parler que de ça, tous les jours et à s’affoler à l’approche des élections.

« On a beaucoup de nouveaux clients qui ont réorganisé leur tour hebdomadaire et s’attachent aux commerces du quartier. »

Ça a alors commencé à travailler dans sa tête. Il a pensé à ses quatre enfants, dont l’un, asthmatique, vit avec sa mère. Sur place, les animateurs ont des masques, des gants et des blouses fournis par la ville. En les voyant équipés comme des chirurgiens, un père qui déposait son enfant leur a lancé : « Ça va les collègues ? » Michael Alvarez s’attendait pourtant à les trouver fatigués ces soignants héroïques : « Ils restent positifs, ils font des blagues. Et si on est reconnaissants du travail qu’ils font, eux aussi sont reconnaissants du nôtre et ils nous le disent. » À la direction des affaires scolaires de la Ville de Paris (Dasco), quatre personnes sont mortes en quatre semaines. « Forcément, c’est déstabilisant. »
« En ce moment, je ne travaille pas pour l’argent »


Grands-Boulevards. C’est là qu’on a rencontré Nabil Ketfi, au volant de son taxi. Il roule tous les jours depuis le 17 mars. Il est attentif à des signes presque imperceptibles : le petit japonais de la rue Montmartre qui a rouvert ses portes, des promeneurs moins nombreux que la première semaine… Dès le week-end qui a précédé le confinement, il a étendu une barrière en cellophane entre lui et ses clients sur laquelle il a écrit « Merci aux soignants ». Tous les jours, il brique sa voiture, ouvre et ferme lui-même les portes aux passagers. Il porte un masque lorsqu’il en trouve. Les clients sont rares, quatre ou cinq par jour.

A proximité d’Odéon, il désigne la file de taxis qui attendent : « C’est fou, ils attendent alors qu’aucun client ne va passer. Ils n’ont pas la radio G7, ils n’ont pas les commandes des hôpitaux pour leurs soignants. » Sur son compte Instagram, Parisians_Eyes, il documente ses rencontres comme un « taxi-­journaliste ». C’est comme ça qu’il s’informe, en discutant avec les aides-soignantes, les employés de pompes funèbres, les journalistes et les médecins qu’il transporte. « En ce moment, je ne travaille pas pour l’argent. Je me dis que je contribue à l’effort collectif. » Le soir, comme beaucoup de Parisiens à leurs balcons, il applaudit les soignants.



D’en haut, à l’abri, on ne voit qu’eux, les non-confinés. La corporation la plus visible est celle des livreurs. On les aperçoit dans chaque ruelle, chargés d’un énorme sac bleu ou jaune. On les croise par grappes lorsqu’ils sont à l’arrêt. Des garçons jeunes, souvent noirs. Assis sur un banc place de la République, Brahim Samani, en sweat à capuche et jeans gris, attend la prochaine commande. Sous un soleil accablant, il tente de maintenir le bandana noir autour de son visage. A 24 ans, il vient de décrocher son diplôme en électrotechnique. Il est coursier depuis janvier dernier pour la plateforme Stuart. « C’est un peu violent ce métier en ce moment, dit-il. Je ne me sens pas protégé. » La boîte qui l’emploie ne fournit ni masques, ni gants, ni gel mais s’engage à rembourser les frais engagés par les livreurs à hauteur de 25 euros « sur présentation d’une facture ».


Brahim estime gagner plus d’argent qu’avant le confinement : environ 300 euros par semaine contre 200 en temps normal. Bien sûr, il faut retirer les charges mais c’est une petite amélioration. Il livre surtout les 10e, 11e et 20e arrondissements. Des plats sortis des restaurants et surtout des commandes passées aux supermarchés. Plus loin, un livreur Amazon débordé s’impatiente devant une porte d’immeuble. Il a le regard égaré, le visage caché sous un morceau de tissu noir et les bras chargés. La cliente ne répond pas. Qu’est-ce qu’il va en faire de ces deux gros colis ? Il dit en livrer plus de 80 par jour, il s’excuse mais il n’a guère le temps de bavarder
.
Faire face à l’urgence

Mauro Gazzi a fini par enregistrer son restaurant sur Uber Eats. Le trentenaire, à la tête de Drogheria Italiana, une épicerie fine-pizzeria dans le 11e, se souvient que deux semaines avant le confinement, il a commencé à ressentir une « angoisse dans l’angoisse » : les nouvelles d’Italie étaient mauvaises. Sa famille, originaire du nord de Venise, l’avait prévenu : préparez-vous, ça va arriver chez vous. Après le choc de l’annonce du confinement, Mauro a rapidement décidé, avec ses deux associés, de ne pas fermer. « C’est notre première affaire, notre bébé. On a fait les travaux nous-mêmes. » Ouvert depuis cinq ans, l’établissement marchait si bien qu’il a été question d’embaucher un troisième employé. Mais dès la première semaine, le plongeur et le vendeur ont été mis au chômage technique. « Ils reviendront », promet-il.

Les trois associés viennent tous les jours. L’un continue à faire des pizzas. Les autres à gérer l’épicerie et les problèmes. Les premiers jours, l’urgence a été de s’équiper : fabriquer des masques avec les filtres à café, se réapprovisionner en alcool pour nettoyer les surfaces, réparer leurs mains râpées jusqu’au sang à force de les laver. Depuis quelques jours, ils ont des masques en tissu fournis gratuitement par des tapissiers du quartier. « On a beaucoup de nouveaux clients qui ont réorganisé leur tour hebdomadaire et s’attachent aux commerces du quartier. Les familles commandent les pizzas par téléphone et envoient leurs enfants les chercher. »


Dans certains quartiers très commerçants de Paris, le confinement donne à ces rues des airs rassurants de dimanche d’août. N’étaient les masques sur les visages et l’affluence moindre, la vie semble suivre son cours. Rue des Martyrs, dans le 9e arrondissement, les commerces de bouche, éloignés d’à peine quelques mètres les uns des autres, sont ouverts pour la plupart. On fait des achats dans les caves, les épiceries fines, les pâtisseries chic, les delicatessen, et les fromageries. D’ordinaire, l’arrondissement grouille de travailleurs, de touristes, de promeneurs…

« On n’a pas l’habitude de prendre des risques vitaux comme les médecins et les policiers. Et on n’est pas protégés. Mais je ne peux pas protester tout seul. » Fernando, ouvrier

Depuis le 17 mars, il n’y a plus que les habitants, et encore, beaucoup semblent avoir quitté la capitale, suggère le capitaine des sapeurs-pompiers de l’arrondissement. Julien Hardy, 33 ans, cheveux coupés ras et yeux clairs, a compté. En temps normal, les quelque 100 pompiers de cette caserne qui « défend » tout le 9e arrondissement, du bas de la butte Montmartre à l’Opéra Garnier et du boulevard Magenta à la gare Saint-Lazare, font 35 à 45 interventions par jour. Depuis mi-mars, ils enregistrent des pics de 10 à 15 interventions par jour. Il y a eu des « cas Covid », des prêts d’équipages aux collègues sous pression des 19e et 20e arrondissements, particulièrement touchés (on compte 9 000 interventions des pompiers pour des cas de Covid-19 dans Paris) mais dans l’ensemble, c’est le calme qui l’emporte.

La vie quotidienne dans la caserne de la rue Blanche est devenue étrange : les déjeuners pris en quinconce dans le mess ; le sport en solo ; l’arrêt des stages et des formations ; l’annulation du bal du 14-Juillet. « Ça ne relève pas de l’anecdote, ce sont des changements importants qui peuvent affecter nos jeunes pompiers », souligne-t-il. Tous les soirs, à 19 h 55, ils sortent les camions dans la cour, allument les gyrophares et mettent de la musique, pour applaudir les soignants à 20 heures. L’épidémie ne l’inquiète pas pour ses troupes : « On a l’habitude d’être exposés, c’est notre métier. Et le corps des pompiers de Paris est constitué de jeunes, non fumeurs pour la plupart et en bonne santé. Ma femme est plus exposée. » Infirmière aux urgences pédiatriques, elle fait partie de celles qui ont renforcé les services de réanimation. Leur fils est accueilli dans une école ouverte pour les soignants dans l’arrondissement. Un soulagement.

Une sourde angoisse

De l’autre côté du périph, à Bagnolet, Aïda (*), professeure des écoles depuis seize ans, regrette une organisation cafouilleuse. L’accueil des enfants de soignants ne s’est pas exactement bien passé : « On nous a d’abord dit que si on portait des masques ça allait faire peur aux enfants, mais quand, le premier jour, on est arrivés vers 8 h 15, les animateurs avaient des masques, du gel et des gants. J’en ai demandé pour nous. Ils ont répondu qu’ils n’en avaient pas pour les enseignants. A juste titre : ce n’est pas à la Ville de nous fournir. »

Le lendemain, Aïda a ressenti des maux de tête, des courbatures et des essoufflements. Covid-19. Elle sait qu’elle n’a pas été contaminée ce jour-là mais à 54 ans, ça l’a fait réfléchir. Ce qui la heurte, c’est la mise à nu des inégalités déjà existantes : « Il n’y avait même pas de savon dans les toilettes des écoles avant le Covid. Et c’est de pire en pire. On ne fait pas un métier de professeurs des écoles mais d’infirmières, de travailleuses sociales… sans être protégées, ni informées. »


Dehors, il fait toujours exceptionnellement doux. Il faut lever le nez pour voir les habitants en profiter. Un couple en maillot de bain sur son balcon. Un jeune homme assis sur son garde-corps téléphone en prenant le soleil. Des enfants ont improvisé des jumelles avec des rouleaux en carton. En bas, les rues sont plus chargées d’ordures que d’ordinaire. Un éboueur démarre en trombe sur son scooter. Fernando descend d’un échafaudage au croisement des rues Lafayette et de Montholon. Il a 47 ans. Il n’a pas pris un jour de repos depuis début mars. Il s’estime plutôt chanceux : contrairement à ses camarades, il vit à Paris, dans le 8e arrondissement. Il n’a pas besoin de rentrer chez lui en métro mais il n’est pas totalement rassuré.

Sa femme, gardienne d’immeuble, passe la journée à désinfecter les poignées de porte et à manipuler poubelles et colis. Lui, tête, visage et mains nus, est recouvert d’une fine couche de poussière : « En temps normal, on porte des masques pour se protéger mais il n’y en a plus. » Parce que leur cadette, opérée d’une atrésie de l’œsophage à la naissance, est fragile, Fernando préférerait rester à l’abri chez lui mais ça ne lui a pas été proposé. Il juge anormal d’être autant exposé : « On n’a pas l’habitude de prendre des risques vitaux comme les médecins et les policiers. Et on n’est pas protégés. Mais je ne peux pas protester tout seul. »

Comme Fernando, Joselin, agent de sécurité à Lariboisière, se sent impuissant. Tous les jours, il voit passer des dizaines de gens devant l’entrée de l’hôpital. Il a bien un masque mais un de ses collègues est tombé malade. Il a écouté Emmanuel Macron lundi 13 avril et sa promesse de vie meilleure. Une France dont les fourmis laborieuses ne seraient plus les éternelles sacrifiées ? Joselin ne sait pas trop. Est-ce que le président a parlé des agents de sécurité ?
(*) les prénoms ont été changés
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par Zorglub » 24 Avr 2020, 14:10

Merci pour l'article, très bien. Ce ne sont que des témoignages, mais des témoignages de travailleurs, qu'on a pas souvent l'occasion de lire dans ces colonnes.
Humanité, sens du devoir et plutôt de la résignation.
Edifiant le témoignage de Fernando, ouvrier en bâtiment, qui se protège ordinairement de la poussière avec des masques qu'ils ne trouvent plus. Un jugement sans appel de cette société.
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par com_71 » 24 Avr 2020, 16:08

Marx sur Arte, j'ai tenu 45', j'ai beaucoup de mérite.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par Jacquemart » 28 Avr 2020, 23:07

Je suis en train de regarder le quatrième épisode, avec l'intervention d'une historienne sur le Front populaire où je me dis que j'ai bien fait d'écouter cela assis. C'est dans la droite ligne des trois premiers, avec un mélange curieux de passages parfois réussis, de télescopages souvent bienvenus entre histoire sociale et témoignages actuels, et d'un récit politique qui parfois jette un voile pudique sur la vérité, parfois la travestit sans ambages.
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Jacquemart
 
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