Robert Grimm était le socialiste suisse qui avait organisé la conférence de Zimmerwald puis celle de Kienthal : «
Grimm et moi représentions l’Exécutif du Zimmerwald en Russie.»
Une réunion de Zimmerwald a lieu à Pétrograd pour préparer éventuellement une conférence internationale à Stockholm. Il semble qu'il y ait des positions inconciliables entre les uns et les autres.
Grimm et moi proposâmes une alternative, consistant à convoquer une troisième conférence de Zimmerwald, comme nous l’avions projeté à Kienthal, et cela avant le Congrès de Stockholm. Cette proposition fut finalement adoptée.
Au cours des débats, Trotsky s’était montré particulièremer irascible et hostile à cette position conciliatoire, poussant ses attaques encore plus loin que les Bolcheviks, qui avaient toujours constitué l’aile gauche du Zimmerwald, alors que Trotsky, lui, représentait le centre.
Cette nuance, toute psychologique, de la part de Trotski m’amusa, et, tandis que nous quittions la salle, Lénine et moi, laissant le reste des délégués à leurs discussions, je lui demanda:
« Dites-moi, Vladimir Ilitch, quelle différence y a-t-il entre Trotsky et les Bolcheviks ? Pourquoi reste-t-il en dehors de votre groupe et crée-t-il un autre journal ? »
Lénine sembla tout à la fois surpris et irrité de ma naïveté ; peut-être me soupçonnait-il de vouloir le taquiner :
« Allons, vous l’ignorez?, me répondit-il sèchement. L’ambition, toujours l’ambition ! »
Immédiatement après avoir rapporté cette discussion "off", madame Balabanoff parle de Trotsky:
Depuis mon retour en Russie, j’avais rencontré Trotsky assez fréquemment, car, comme moi, il n’appartenait encore à aucune des principales fractions sociales-démocrates. Bien qu’autrefois affilié aux Mencheviks, il avait depuis créé une nouvelle fraction. Il était à cette époque complètement isolé et des Bolcheviks et des Mencheviks, qui étaient rentrés en Russie avant lui. Au moment de la Révolution, il collaborait à un journal russe publié aux Etats-Unis. Son retour avait été interrompu par un bref emprisonnement au Canada. Ce retard lui avait interdit de jouer un rôle important dans les événements des premiers mois; aussi était-il arrivé à Petrograd d’assez mauvaise humeur. Même s’il devait rejoindre, en août, les Bolcheviks lorsqu’ils fusionnèrent avec quelques-uns des plus petits groupes révolutionnaires, il appartenait encore à cette époque à un groupe indépendant qui cherchait à unifier tous les internationalistes marxistes et il venait de fonder un journal à Petrograd.
Mencheviks et Bolcheviks le considéraient avec méfiance et aigreur, sans doute en souvenir de violentes polémiques qu’il avait menées contre eux, et parce que ses qualités d’écrivain et d’orateur en faisaient en outre un concurrent sérieux. Plus que n’importe quelle autre figure de la Révolution russe, Trotsky se révéla capable de soulever les masses par son enthousiasme révolutionnaire et ses remarquables capacités intellectuelles. En revanche, il n’attirait pas les sympathies personnelles, ou bien il ne les conservait pas longtemps. Ses qualités n’avaient d’égal que son arrogance, et sa conduite avec son entourage créait fréquemment une distance, interdisant à la fois toute chaleur humaine et toute possibilité d’échange véritable. […]
Mes conversations avec eux [les Bolcheviks] me prouvèrent qu’ils détestaient Trotsky à peu près autant que Trotsky les détestait. Nous nous rencontrâmes assez souvent à cette époque, d’une part du fait de son isolement, d’autre part parce que nous partagions tous deux l’espoir d’unifier les internationalistes marxistes. Plus tard, lorsque les événements qui culminèrent avec la Révolution d'Octobre eurent absorbé ce mouvement, Trotsky dut reconcer à cet espoir, en des termes encore plus amers que ceux de Lénine.
Durant tout le reste de sa carrière, Trotsky allait tout mettre en œuvre pour apparaître comme un Bolchevik convaincu et un léniniste orthodoxe.