Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 20 Oct 2020, 08:45

Alors, donc, on en est où? Mmmmm, OK, allez c'est reparti pour scan, OCR, copier-coller, bah, fastoche.
Enfin, nous y voici :
Mars 1919, ça va être la création de la IIe Internationale, mais l'ambiance est morose, selon Angelica Balabanoff.
C’est dans une salle du Kremlin, au début de mars, tout juste un mois après la clôture de la conférence de Berne, qu’eut lieu le lancement de cette nouvelle Internationale qui, en quelques années, allait devenir l’épouvantail de toutes les nations du monde.

A Berne, les délégués de l’aile droite et du centre s’étaient violemment affrontés, principalement sur la question de la Russie et des Bolcheviks et sur la reconstitution de la Seconde Internationale. Plusieurs partis socialistes – ceux d’Italie, de Suisse, de Serbie, de Roumanie et d’Amérique – s’étaient abstenus d’envoyer des délégués. Mais l’aile droite l’avait emporté, et l’on avait sévèrement condamné les méthodes de « dictature » employées en Russie.

J’étais à peine installée à Kiev que Rakovsky et moi-même fûmes rappelés à Moscou pour assister à la conférence communiste, Rakovsky comme représentant de la Fédération social-démocrate révolutionnaire des Balkans et moi comme secrétaire du Zimmerwald. Nous arrivâmes pour la séance du second jour et j’eus l’impression que même les longs et impressionnants discours de Lénine, Trotsky et Zinoviev ne parvenaient pas à hausser la réunion au niveau d’un événement historique; en observant les délégués et les invités qui peuplaient la salle, j’eus le sentiment d’une sorte de malaise. Quelque chose sonnait faux et contredisait l’esprit dans lequel la réunion avait été prévue. (Arthur Ransome, le journaliste anglais qui assistait à la conférence, déclara plus tard qu’ « on s’était toujours senti à côté de la question ».)

Sur les trente-cinq délégués et les quinze invités présents, le Comité central avait sélectionné les trois quarts. Ils provenaient des soi-disant « partis communistes » des petites nations anciennement comprises dans l’empire russe : Esthonie, Lettonie, Lithuanie, Ukraine et Finlande; ou bien c’étaient des prisonniers de guerre ou des radicaux étrangers qui se trouvaient par hasard en Russie à ce moment-là.
Cyrano
 
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 20 Oct 2020, 08:49

Eh bin dis donc, cache ta joie, Angelica. On fait une disgression?
Puisque elle parle d'Arthur Ransome, alors, voyons ce que dit le bonhomme, dans son livre à lire absolument, "Six semaines en Russie en 1919".
Il confirme ce qu'écrit Balabanoff. Il écrit qu'il y avait quelque chose d'artificiel, dans la mesure où des militants étaient promus "délégués" de divers pays mais ne représentaient qu'eux-mêmes :
Trotski, en veston de cuir, avait une culotte militaire, des guêtres, et un bonnet de fourrure avec l’insigne de l’Armée rouge. Il avait une excellente mine, mais son extérieur paraissait étrange à ceux qui le connaissaient comme un des plus grands anti-militaristes de l’Europe. Lénine écoutait tranquillement, et parlait, quand c’était nécessaire, dans presque toutes les langues européennes avec une facilité surprenante. Balabanova parlait de l’Italie, et semblait heureuse de se trouver enfin, même dans la Russie des Soviets, dans une « réunion secrète ».

La chose était en effet extraordinaire, et en dépit de quelques enfantillages, je ne pouvais m’empêcher de penser que j’assistais à un événement qui entrerait dans l’histoire du socialisme comme la fameuse réunion qui se tint à Londres en 1848.

Les personnages de marque de la réunion, non compris Platten (que je ne connais pas et sur lequel je ne puis exprimer un avis), étaient Lénine et le jeune Allemand Albrecht qui, excité par les événements qui se déroulaient alors dans son pays, parla avec enthousiasme et fermeté. L’Autrichien semblait être aussi un homme de valeur.

Rakovski, Skripnik et le Finnois Sirola, représentaient réellement quelque chose. Mais il y avait quelque peu d’artifice dans toute cette affaire, car Finberg, qui représentait les socialistes de gauche d’Angleterre, et Reinstein, qui représentait les Américains, n’avaient eu aucun moyen, ni l’un ni l'autre, de se mettre en communication avec leurs commettants.

Le merveilleux Pierre Pascal qui n'était pas à la messe ce jour-là, mais assistait lui aussi à la création de cette IIIe Internationale, écrit la même chose dans "Mon Journal de Russie 1918-1921" :
Tous les grands chefs du parti russe étaient là. […]
Par contre, il n’y avait pour ainsi dire pas de représentants mandatés par des partis étrangers : Eberlein, par le Spartacus ; ensuite arrivèrent l’Autrichien Gruher, le Suisse Platten.

Un fort contingent était fourni par des étrangers communistes vivant en Russie et travaillant au Département de la Propagande, comme l’Anglais Fineberg et moi-même, ou comme Sadoul, à titre personnel.

Un jour, un télégramme de Suisse annonça la venue de Guilbeaux, et Lénine se hâta de communiquer à Sadoul cette bonne nouvelle. Celui-ci me dit : «Il croit que cela me fait plaisir». Sur la photographie, Guilbeaux est à la droite de Lénine. Il était, par toute son activité antérieure de publiciste internationaliste et de membre de la conférence de Kienthal, bien plus proche de Lénine que le socialiste français classique Sadoul.

Guilbeaux, qui était expulsé de Suisse, arriva juste à point pour le dernier jour du Congrès. Il représentait les éléments syndicalistes et socialistes de gauche. Il fut admis avec voix délibérative. La rivalité entre Sadoul et Guilbeaux devait empoisonner l’existence du Groupe communiste français.

La création d’une Troisième Internationale était chose grave : c’était rompre, non plus en paroles, mais en fait, avec l’Internationale socialiste. Même Eberlein n’avait pas mandat formel de voter pour ce pas décisif. Mais la rupture était voulue par Lénine : elle était dans la logique de toute sa pratique politique depuis 1903.

Après des débats qui me semblèrent d’un maigre intérêt, il triompha. La Conférence se mua en Congrès Constituant de l’Internationale Communiste (en abrégé: Comintern).

Visiblement, les étrangers étaient de tout petits garçons à côté de Lénine, Zinoviev, Boukharine, Radek : eux seuls savaient ce qu’ils voulaient, et l’Internationale communiste fut fondée, avec Zinoviev comme président.
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Message par Cyrano » 20 Oct 2020, 08:52

On a compris, l'organisation ne correspond pas aux principes d'Angelica Balabanoff. Mais la suite lui plait encore moins : Puisque il y a une IIIe Internationale, il n'y a plus besoin de l'organisation née de Zimmewald. Et Angelica est la secrétaire de Zimmerwald.
Le présidium décrète que l'association Zimmerwald est dissoute, que tous les documents détenus par Zimmerwald doivent être transmis à la IIIe Internationale. Angelica refguse, elle veut consulter les divers affiliés à Zimmerwald.
Passant outre à mes soucis de légalité, les Bolcheviks n’hésitèrent pas à voter une résolution selon laquelle «le Premier Congrès de l’Internationale communiste décide la dissolution de l’organisation Zimmerwald ».

Les chicaneries vont continuer à l'agacer. Lénine lui demande d'annonce rla filiation du Parti Socialiste Italien à la IIIe Internationale. Elle refuse de parler au nom du PSI, arguant qu'elle n'a pas de mandat. Selon Angelica, les délégués louches, la dissolution de Zimmerwald, et son refus de valider l'affiliation du PSI à la IIIe Inter, ça l'avait un peu jaboté [ça se dit en français?] ou bien on va dire qu'elle en avait gros sur la patate [ça se dit en français?].

Ça va s'arranger un peu. Angelica veut repartir tout de suite pour l'Ukraine, mais Trotsky lui annonce qu'elle va être nommée secrétaire générale de la IIIe Internationale, elle doit rester à Moscou. Zinoviev sera le président de cette Internationale (elle déteste Zinoviev). Secrétaire de la IIIe Internationale, sans déc' ça en jette. Allez, tout s'oublie. Après les trois journées de création de cette internationale, l'évènement est fêté à Moscou :
Le soir même, on célébra dans la plus grande salle de Moscou l’inauguration de la nouvelle Internationale. Dans l’enthousiasme général, mes doutes et mes hésitations des trois derniers jours s’évanouirent complètement. Je fus tout spécialement fêtée, et pendant quelques instants je me sentis profondément heureuse. Devant les discours optimistes des représentants (ou prétendus représentants) étrangers, l’extraordinaire allégresse des ouvriers m’écoutant traduire leurs paroles, les chants de défi et de triomphe, ou ceux évoquant le souvenir des héros et des martyrs du passé, comment aurait-on pu résister à la contagion?

Nous étions tous bouleversés. Ce fut un des rares moments de ma vie où j’eus l’impression de ne pas avoir vécu en vain. J’avais devant moi le fruit de la ténacité du mouvement Zimmerwald : les liens de la fraternité internationale étaient enfin renoués. J’étais presque reconnaissante à Lénine et à Trotsky de m’avoir contrainte à accepter cette nomination et de m’avoir donné l’occasion de servir à nouveau la classe ouvrière.

Ne pas avoir vécu en vain. Danton avait dit la même chose : «nos vies n'auront pas été vécues en vain.».
Elle est un peu effrayée par ses nouvelles fonctions :
Le lendemain, Borodine, que j’avais connu en Suède et à Moscou, me présenta la liste de l’équipement nécessaire à mes nouvelles fonctions : local séparé, adjoints, secrétaires, meubles et machines de bureau, voitures privées. Ce déploiement de faste et d’insignes bureaucratiques m’épouvanta.
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Message par Cyrano » 20 Oct 2020, 08:57

Notre secrétaire a un président, Gregori Zinoviev. Angelica Balabanoff va en parler. Gaffe, là, ça postillonne sans geste barrière. Gare au coviii-iii-ii-deu (sur l'air de Gare au gorille). Rappel : le bouquin est paru en 1938. [le texte souligné en italiques est soulignée par elle-même].
Il m’est très difficile de parler objectivement d’un homme qui a péri de la manière la plus infamante : exécuté par un pouvoir révolutionnaire, sous l’inculpation de trahison et de contre-révolution. A présent que ceux qui le flattaient et tremblaient devant lui ont rejoint le clan de ses détracteurs, il m’est d'autant plus malaisé d’exprimer ce que je pensais de lui, lorsque, pour lui complaire, ces mêmes individus – et Zinoviev également – me traitaient moi-même de « contre-révolutionnaire ».

Après Mussolini, Zinoviev est l’être le plus abject que j’ai jamais rencontré. Mais ni ce fait, ni les lâches accusations portées contre lui, ni même sa propre « confession » ne pourront me convaincre de sa culpabilité ni de celle de ses co-accusés. Déjà sous son « règne », s’était installé un climat propice à la pratique de tels coups montés et extorsions d’aveux; elle se trouvait en germe dans l’évolution des méthodes bolcheviks et de la stratégie léniniste depuis la Révolution.

Toutefois si, à l’intérieur du mouvement révolutionnaire lui-même, les dirigeants bolcheviks étaient capables de tout pour parvenir à leurs fins, en revanche pas un ne se serait allié à l’ennemi de classe pour conspirer contre la Révolution. S'il existait un tribunal pour juger et punir ceux qui ont le plus nui au mouvement ouvrier, qui ont tué son ardeur et détruit, moralement et parfois physiquement, ses meilleurs militants, Zinoviev et Staline seraient les premiers condamnés. Mais le tribunal qui inculpa Zinoviev de trahison et de prétendu trotskysme savait qu'il condamnait un homme victime seulement de manœuvres aussi crapuleuses que celles dont il s’était lui-même servi.

C’est à Zimmerwald que j’ai vu pour la première fois Zinoviev en action. J’avais alors remarqué que, chaque fois qu’il y avait une cabale à monter contre une fraction, chaque fois qu’il y avait ure réputation politique à saper, Lénine en chargeait Zinoviev. Je ne me souviens pas avoir échangé dans toute cette période un seul met personnel avec lui, ce qui ne l’empêcha pas, dès mon arrivée à Moscou, de se mettre à me flatter et à m’utiliser dans les mises en scène qu’il s’efforçait d’organiser et que je haïssais par-dessus tout.

Tiens? Mise en scène est en français dans le texte. Revenons au sujet :
Et à présent, voilà que Lénine avait propulsé son maître de l’intrigue et de la calomnie — pour lequel la fin justifiait les moyens — à la tête de l’organisation qui devait purifier et affermir les forces révolutionnaires du monde entier !

On m’a souvent demandé comment Lénine, qui connaissait parfaitement Zinoviev, avait pu le protéger et le récompenser toute sa vie durant. Je répondrai que dans sa collaboration avec Zinoviev, comme dans sa stratégie en général, Lénine suivait ce qu’il croyait être l’intérêt suprême de la Révolution. […]

Pour Lénine, l’exécution de ses décisions importait davantage que la manière dont on les exécutait. Psychologiquement, ce fut sa grande erreur de ne pas avoir prévu ce qui adviendrait de la Révolution le jour où les moyens remplaceraient la fin; de ne pas avoir compris que sa fameuse raison d’Etat – « l’Etat prolétarien est justifié dans tous ses compromis, pourvu qu’il conserve son pouvoir » – servirait à couvrir les erreurs et la corruption de ceux qui parlaient au nom de l’Etat prolétarien. Je crois qu’il en eut le pressentiment juste avant sa mort, et peut-être certains soupçons le poussèrent-ils à rédiger cette fameuse lettre ou « testament », tant citée par les trotskystes et niée par les staliniens au cours des dernières années. (Trotsky lui-même se refusa à admettre son authenticité aussi longtemps qu’il demeura au Parti communiste.)

Houlà? Alors là, je ne sais pas si… Est-ce que…? Ça me semble être une fake-news? Quelqu'un a des lumières la dessus?
Cyrano
 
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 20 Oct 2020, 09:00

En tout cas, même si elle détestait (le mot est faible) Zinoviev, elle rend un hommage indirect à ces révolutionnaires assassinés avec les procès de Moscou. Mais comme les rapports sont tendus avec Zinoviev, celui-ci, du coup, la renvoie en Ukraine animer un bureau de l'Internationale. En partant elle en croise un autre qu'elle n'aime pas non plus :
En partant pour l’Ukraine, je rencontrai Bela Kun, qui revenait de Hongrie où la République des Soviets, après une vie de courte durée, avait été renversée avec l’aide de l’armée roumaine. J’avais tellement entendu parler des intrigues à la fois politiques et personnelles de Kun que j’avais été stupéfaite d’apprendre qu'il [Lénine] l’avait envoyé « faire une révolution » en Hongrie. Le simple fait qu’il fût toxicomane me semblait une raison suffisante pour ne pas lui confier de responsabilités révolutionnaires. Cette premiere rencontre confirma mes impressions les plus défavorables. Rien que son physique était repoussant. Et pourtant, les Bolcheviks, y compris Staline, devaient se servir de lui jusqu’en 1937.

Bela Kun est arrêté en 1937, torturé, et il sera exécuté au goulag en 1938.
Puisque on parle des futurs morts, et puisque elle retourne en Ukraine, on en profite pour parler de Christian Racovski qu'elle va retrouver? Wlacheslav Vorovsky avait bien raison : elle n'arrivait pas à travailler avec des gens qui ne lui plaisaient pas. Mais elle appréciait Racovski :
Que Lénine, après son accession au pouvoir, se soit assuré ta collaboration d’anciens Mencheviks comme Trotsky et Rakovsky montre bien que, lorsque l’intérêt de la Révolution était en jeu, il savait oublier son sectarisme inflexible et aveugle. Lorsqu'ils eurent fait la preuve de leur dévouement à la Révolution et au Parti bolchevik, Lénine se comporta avec eux comme s’il avait tout oublié de leur passé menchevik. Le sort de ces deux hommes, qui rendirent d’inestimables services à la République Soviétique, pourrait servir à illustrer l’histoire de tout le bolchevisme. Quelques années plus tard, pour sauver sa vie, Rakovsky fut contraint d’écrire et de signer une déclaration infamante dans laquelle il désavouait son camarade et ami, Trotsky. Cette capitulation, comme celle des autres dirigeants bolcheviks – de droite ou de gauche – opposés à Staline, ne fit que reculer l’échéance. Au cours des purges qui eurent lieu début 1935, Rakovsky fut condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement – autant dire à mort.

Mes liens d’amitié avec Rakovsky remontaient à l’époque où nous siégions à l’Exécutif de la Seconde Internationale. Elle subsista jusqu’au moment où je me mis à critiquer ouvertement ta tactique bolchevik. Mû par cet esprit de solidarité militaire qni gouvernait les dirigeants bolcheviks, Rakovsky voulut me convaincre que j’avais tort, quand bien même il savait que j’avais raison. Comme beaucoup de révolutionnaires sincères, il croyait probablement qu’une transformation interviendrait à la fin de la guerrt civile et qu’on en finirait avec les abus du « communisme de guerre »

Christian Racovski sera exécuté en 1941. Ça donne le vertige : Grégori Zinoviev, Bela Kun, Christian Racovski : en quelques pages, elle parle de gens qui seront tous assassinés.

Désolé : madame Balabanoff parlant longuement de Léon, c'est pas encore scanné. Ça vient, ça vient. Mais j'ai pas qu'ça à faire, j'ai un métier, moi.
I'll be back.
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Bertrand » 20 Oct 2020, 14:27

Cyrano a écrit :Mais j'ai pas qu'ça à faire, j'ai un métier, moi.


Mouais, ça fait deux fois que tu nous la fais celle-là. :lol:
Allez hop, au boulot ! Non mais ! :D :D
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 20 Oct 2020, 15:28

Mais... [censuré] de [censuré] de [censuré] !!
Pourquoi que j'mets pas un marque-page dans le bouquin pour savoir où j'en suis.
Je remonte un peu...
OK... En Ukraine avec Rakovski...
Lénine va lui demander de partir pour Odessa - c'est page 229 du livre. La dernière page, c'est page 304, hé-hé, ça s'approche, ouafff! joie! félicité!
Faut être idiot pour commencer à scanner des pages, après on est coincé, faut continuer.
Bon, je m'y remets tout à l'heure...

Tiens? Bertrand lit aussi? Le jardin l'occupe pas beaucoup en cette saison...
Cyrano
 
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 20 Oct 2020, 22:50

C'est un matin, elle est à Kiev. Lénine lui téléphone et lui demande de partir avec Adolf Joffé à Odessa pour redonner courage à la population.
Odessa, un port sur la mer Noire, c'est là que s'est réfugiée sa famille, l'ex famille aisée qui lui paya les études en Europe.
Elle arrive dans cette ville qui lui fit «la plus pénible impression» des villes vues depuis la révolution d'Octobre : «désorganisation et famine».
Chaque matin, les salles d’attente de mon bureau étaient remplies de visiteurs qui désiraient me voir, en tant que Commissaire des Affaires étrangères [d'Ukraine]. Ces entrevues terminées, je devais m’acquitter de mes tâches de secrétaire de la Troisième Internationale, que j’abandonnais pour me précipiter à quatre ou cinq meetings. Quand je rentrais, tard dans la nuit, j’étais trop épuisée pour manger, quand bien même j’aurais eu de quoi le faire.
Mais voilà qu'un soir arrivant à un meeting où elle devait parler…
Un jour, alors que j’arrivais à une réunion, dans une salle bondée, un des jeunes communistes qui guettait ma venue m’annonça:
«Camarade Balabanoff, il y a une femme qui attend pour vous voir. Elle a refusé d’aller à votre bureau.»
Quand je compris qui c’était, mon cœur faillit s’arrêter de battre. Et pourtant, en pénétrant dans le petit vestibule derrière l’estrade, je ne reconnus pas ma sœur. La vieille femme qui se tenait là, frissonnante, était vêtue comme une mendiante, la tête couverte d’un châle. Jusqu’à ce que j’entende le son de sa voix j’eus de la peine à croire qu’il s’agissait d’Anna. .
Anna, la sœur d'Angelica, avait appris, comme tout le monde, qu'Angelica Balabanoff était à Odessa. Sa demande était simple, c'était celle d'une mère :
Elle ne serait jamais venue réclamer mon aide sans l’ordre de mobilisation. Elle avait enduré la faim, les privations de toutes sortes, et elle était prête à tout supporter sauf une chose : que son fils soit mobilisé et aille se battre pour les Bolcheviks ! Elle ne se plaignait de rien, ne demandait rien, sinon que je le sauve. […]

Je m’étais rendue à ce meeting pour souligner la nécessité de la mobilisation et susciter l’enthousiasme des jeunes, les convaincre qu’en sauvant le socialisme en Russie ils ouvriraient au reste du monde le chemin de la liberté. Et voilà que j’étais arrêtée: par la tragédie vivante de cette mère – ma sœur – tellement épouvantée à l’idée de voir son fils envoyé sur le front qu’elle ne pouvait plus penser qu’à cela. […]

En y repensant aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu résister à ses prières. Elle prit l’habitude de venir me voir chaque matin en tremblant et les larmes aux yeux, et c’est seulement au fil de la conversation que j’appris la manière dont elle vivait, elle, son mari et sa famille. Ils logeaient tous dans une seule pièce, sans éclairage – on n’arrivait même pas à trouver de bougies. Le matin, elle lavait à l’eau froide le linge de la famille (elle avait maintenant dépassé la soixantaine), puis lorsqu’il y avait du soleil elle s’efforçait de le faire sécher à la fenêtre. Durant l’hiver, ils n’avaient eu aucun chauffage, et très peu de nourriture.

Son fils – qui avait possédé l’une des plus belles et des plus riches bibliothèques scientifiques – avait dû renoncer à ses travaux, la pièce étant trop sombre pour lire et pour écrire. Cependant ce n’était rien, à côté de la terreur que lui inspirait l’idée d’être mobilisé dans l’Armée rouge qu’il haïssait. C’était la seule chose qu’elle me demandait: que je lui évite cela. .
Quelques années plus tard, elle rencontrera ce neveu qui sera donc rescapé de la guerre civile : il lui apprendra que sa mère, Anna, et son mari étaient morts de faim à Constantinople.
Cyrano
 
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Message par Cyrano » 20 Oct 2020, 22:53

Voici ensuite une histoire abracadabrantesque.
Durant l'été, un comte Pirro, "ambassadeur du Brésil", arrive à Kiev et s'installe dans une luxueuse villa. Il est ouvertement anti-bolchévique. Ce comte attire à lui des gens désireux de trouver du travail ou de fuir du pays. Parmi ceux-ci, beaucoup seront arrêté par la Tchéka, mais pas le monsieur Pirro. Elle va trouver la Tchéka locale pour demander l'arrestation de Pirro :
– Nous nous occuperons de lui », répondit Latsis [dirigeant local de la Tchéka]. Mais bien que Peters en personne fût venu de la Tchéka de Moscou pour superviser l’action à Kiev, et que les « conspirateurs » de Pirro aient continué à tomber aux mains de la Tchéka, Pirro lui-même ne fut pas inquiété lorsque l’avance des Polonais nous contraignit à l’évacuation.

En rentrant à Moscou, j’allai voir Dzerjinsky, chef suprême de la Tchéka. Dzerjinsky, tout comme Peters, son assistant, passait pour un fanatique et un sadique; son aspect et ses manières faisaient penser à un aristocrate polonais ou à un intellectuel en soutane. Je ne crois pas qu’au début du moins il ait été ni cruel ni indifférent aux souffrances humaines. Il estimait simplement qu’aucune révolution ne pouvait se consolider sans la terreur et la répression. Lénine lui avait confié la tâche la plus ingrate de la Révolution – et là encore il avait su mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut: un homme qui n’avait jamais oublié les longues années de tortures passées en Sibérie avant que la Révolution ne vienne le délivrer.

Dans l’exercice de ses fonctions, il avait pris le parti de ne pas se laisser influencer par des appels à son sens de l’humanité, de peur d’être obligé de manquer à ses devoirs ce révolutionnaire. En le revoyant je remarquai à quel point il était devenu strict et borné. Mon intervention eut l’air de l’irriter, et lorsque je lui parlai de Pirro, il me regarda, stupéfait. Je n’avais donc pas compris que Pirro était un agent de la Tchéka et qu’on l’avait envoyé en Ukraine pour servir de provocateur ? .
Elle va donc trouver Lénine pour «protester contre la cruauté absurde de la Tchéka et de ses méthodes
Quand j’eus fini de parler de l’affaire Pirro, Lénine me regarda, avec une expression plus triste que sardonique.
« Camarade Angelica, me dit-il, qu’est-ce que vous allez bien pouvoir faire dans la vie ? »

Il ne mit dans ses mots ni hauteur ni reproche. Il me parla comme le ferait un père à un enfant qui ne comprend pas que la vie oblige à des compromis et des concessions – en l’occurrence à utiliser des méthodes héritées de l’ancien régime. Il savait qu'il perdrait son temps à essayer de me convaincre que j’avais tort, et je le quittai, extrêmement déprimée. .
Je ne connais rien de cette histoire, je retranscris – sans pouvoir vérifier la validité de certaines anecdotes rapportées par Angelica Balabanoff.
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Re: Angelica Balabanoff [ou Balabanova] : Ma vie de Rebelle

Message par Cyrano » 20 Oct 2020, 22:58

Au début de 1920, ça va mal, tout va mal, avec le front de la guerre civile. Il faut évacuer Kiev, elle rentre à Moscou, mais là aussi, ça craint.
Une des armées blanches conduites par loudénitch marchait sur Petrograd, et même Moscou était menacé. On mobilisa alors tous les membres du Parti soit pour se battre soit pour travailler à la propagande. En ces semaines de danger, je prononçai une moyenne de cinq discours par jour, et bien que physiquement épuisée à cause du manque de nourriture et de la tension constante (ma température demeurait sans cesse en dessous de la normale), j’aurais volontiers travaillé encore plus dur.

Jamais, depuis 1917, la Révolution n’avait été plus proche d’une défaite militaire. Dans les gigantesques meetings où j’allais, je m’aperçus que les Russes, hommes a femmes, étaient prêts à sacrifier leur vie et celle de leurs enfant pour défendre leurs conquêtes, durement gagnées contre les généraux de l’ancien régime. Trotsky, qui avait organisé l’Armée rouge et en avait fait une vraie force de combat, était encore plus acclamé que Lénine. Il personnifiait la victoire et le courage, et lorsqu’il quitta Moscou pour diriger la défense de Petrograd. il sembla que tous les espoirs de la Révolution reposaient sur lui. .
Mais l'armée blanche sera défaite aux portes de Pétrograd. Elle apprend qu'elle devrait aller dans un sanatorium. Elle refuse. On lui propose alors de s'occuper d'un train de propagande pour le Turkestan lointain – avec son épidémie de typhus. Elle soupçonne Zinoviev de lui avoir préparé cet éloignement, elle refuse et l'interpelle en public. Zinoviev invoque mollement la discipline du parti, elle n'ira pas.
Cyrano
 
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