Cyrano a écrit :Dédicace spéciale Gayraud de Mazars : je crois que les extraits qui suivent sur te feront plaisir.
Effectivement, sur le grand Jaurès, avec les souvenirs d'Angelica Balabanoff, tu m'as bien fait plaisir !
Fraternellement,
GdM
Cyrano a écrit :Dédicace spéciale Gayraud de Mazars : je crois que les extraits qui suivent sur te feront plaisir.
Le 29 juillet, alors que nous étions réunis à Bruxelles, le Parti socialiste italien publia son manifeste contre la guerre. Il disait notamment :
« Il est de l’intérêt du prolétariat de tous les pays d’enrayer, de circonscrire et de limiter autant que possible le conflit armé, utile seulement au triomphe du militarisme et aux entreprises parasitaires de la bourgeoisie.
Prolétaires de l’Italie, vous qui, en cette douloureuse période de crise et de chômage, avez su donner des preuves de votre conscience de classe et de votre esprit de sacrifice, devez être près aujourd’hui à empêcher qu’on entraîne l’Italie dans le gouffre d’une terrible aventure. »
Parmi les signataires du manifeste figurait Benito Mussolini, rédacteur d’Avanti, membre du Comité exécutif et du conseil municipal de Milan.
Peu d’hommes, pendant et après la guerre, ont autant souffert pour leurs convictions que Serrati. Lénine et Trotsky étaient sur le point d’atteindre à l’immunité que procure le succès. Quant à Debs, aux Etats-Unis, bien qu’il fût en prison, il n’avait pas à subir la violence des attaques journalières auxquelles devait faire face l'homme qui' était à la fois le premier dirigeant du parti et le rédacteur en chef de son quotidien. Serrati devait se battre sur tous les fronts. Sa fidélité au mouvement, sa haine de la flatterie et son refus de toute espèce de compromis lui avaient valu de passer auprès d’observateurs superficiels pour un homme froid et sans passion.
En fait, il était doué d’un esprit chevaleresque. Durant sa jeunesse, il avait entendu les marins et les fabricants d’huile d’olive parler d’un monde de justice sociale. Il avait abandonné la carrière où l’avaient poussé ses parents pour rejoindre le Parti socialiste.
Durant les dix années qui suivirent, il n’avait cessé de fréquenter les prisons du régime le plus réactionnaire de l’Italie préfasciste. On avait fini par l’expulser, et, en 1902, il était devenu rédacteur en chef, aux Etats-Unis, d’un hebdomadaire italien, Proletari. Grâce à son énergie, à son dévouement et à l’enthousiasme avait suscité parmi les immigrés italiens, il avait transformé son journal en quotidien. Dévoué corps et âme à son travail, Serrati touchait dix dollars par semaine.
Notre appel débutait ainsi :
« Où sont vos maris, vos frères, vos fils ? Pourquoi doivent-ils s’entre-tuer et détruire avec eux tout ce qu’ils ont créé ? Qui bénéficie de ce cauchemar de sang ? Tout juste une petite poignée de profiteurs de guerre... Puisque les hommes ne peuvent plus parler, c’est à vous de le faire. Travailleuses des pays en guerre, unissez-vous ! »
les femme: bolcheviks, travaillant sous la direction de Lénine, déposèrent une résolution, sans rapport avec l’objet spécifique de la réunion, et que la majorité ne pouvait approuver. Elles réclamaient la rupture immédiate avec les directions des partis socialistes et ouvriers existants et la formation d’une nouvelle Internationale. Elle; appelaient également à la transformation de la guerre en guerre civile.
La majorité des délégués s’opposèrent à cette résolution, non pas parce qu’elle était trop radicale ou qu’ils approuvaient la Seconde Internationale, mais parce qu’ils souhaitaient rester membres de leurs partis respectifs afin d’exercer une influence à la base. […]
Lénine au contraire, par l’intermédiaire des femmes bolcheviks, ne se souciait que des problèmes politiques concernant l’avenir du mouvement. Dès le mois de novembre 1914, il avait lancé dans l’organe bolchevik publié en Suisse le mot d’ordre de « Vive la Troisième Internationale ! »
Chaque individu, chaque événement social, Lénine les considérait d’un point de vue de stratège révolutionnaire. Sa vie tout entière était une affaire de stratégie, et il ne prononçait pas une parole en public qui n’eût une intention polémique. Le moindre incident, la moindre agitation constituaient un maillon dans la chaîne des causes et des effets, dont il devait tirer profit à des fins théoriques ou pratiques. Sachant, à n’en pas douter, que l’appui de quelques émigrés de plus ne lui servirait à rien, il n’en continuait pas moins à se battre pendant des heures et des jours entiers pour imposer ses résolutions et ses points de vue – à moins que ce fût pour les voir figurer, ainsi que ses polémiques, dans les annales des conventions socialistes. La Révolution eut beau lui conférer des pouvoirs et des responsabilités immenses, il demeura absorbé par les vieilles querelles internes entre Mencheviks et Bolcheviks.
Nous commençâmes en secret les préparatifs d’une conférence socialiste contre la guerre. Son ouverture, dans la petite ville suisse de Zimmerwald, le 5 septembre 1915, avec des délégués allemands, français, italiens, russes, polonais, hongrois, hollandais, suisses, suédois, norvégiens, roumains et bulgares (les délégués des pays en guerre avaient fait preuve d’un courage et d’une fermeté indéniables, tout contact avec 1’ « ennemi » pour discuter de la guerre risquant de passer pour une « trahison »). […]
Les travaux débutèrent par un communiqué signé des délégués allemands et français. Ledebour et Hofman, pour l’Allemange Merrheim et Bourderon, pour la France, s’offrirent à signer déclaration, signifiant « cette guerre n’est pas la nôtre ». et s’engagèrent à travailler à une paix sans annexions – paix qui contribuerait à dissiper les haines nationales. Ces propositions furent accueillies par des applaudissements prolongés. Dans l’élaboration du document, et tandis que je traduisais les discussions, je fus profondément impressionnée par l’attitude des délégués allemands qui insistèrent pour que l’évacuation immédiate de la Belgique figurât en tête de nos revendications.
Dans sa déclaration, notre majorité condamnait la guerre comme impérialiste des deux côtés, désavouait le vote des crédits militaires et appelait à lutter contre la guerre, pour le socialisme. Mais les Bolcheviks, comme ils l’avaient fait aux Congrès des Femmes et de la Jeunesse, s’obstinèrent à défendre leur résolution, qui préconisait le déclenchement de la « guerre civile », la rupture immédiate avec la Seconde Internationale et l’organisation d’une troisième.
Le manifeste, qui fut finalement voté à l’unanimité, affirmait : « Les partisans de la guerre vous mentent lorsqu’ils vous déclarent que cette guerre libérera les nations opprimées et servira la démocratie. En réalité, ils sont en train d’enterrer la liberté des autres nations tout comme l’indépendance des autres peuples... A vous tous, hommes et femmes des classes laborieuses, à tous ceux qui souffrent de et par la guerre, nous disons ceci : « Par-delà les frontières, par-delà les champs de bataille et les nations dévastées, prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
Il est impossible de déterminer exactement quelle fut l’influence de ce manifeste, lancé à un moment où l’ivresse patriotique avait atteint son apogée. Il portait les signatures de socialistes et de syndicalistes célèbres dans leur pays, et l’on peut supposer qu’un tel exemple de courage et de sens des responsabilités eut au moins pour effet d’attiser la flamme de la conscience internationaliste, partout où ces mots furent lus.
Au début de 1916, il devint évident que la Guerre mondiale ne finirait pas de sitôt. Le conflit s’enlisait et chacun des gouvernements avait décidé de se battre jusqu’au bout. Quant à la patience et à l’endurance des victimes, elles s’avéraient supérieures à tout ce que partisans et adversaires de la guerre avaient pu imaginer.
Quarante-trois délégués arrivèrent d’Allemagne, de France. d’Italie, de Russie, de Pologne, de Serbie, de Lettonie et de plusieurs pays neutres. Parmi les délégués français, figuraient trois membres de la Chambre des députés : Paul Brizon, Raffin Dugens et Alexandre Blanc. Ces trois « pèlerins de Kienthal », comme on les appela ensuite, méritent d’avoir une place dans l’histoire pour le courage dont ils firent preuve. Même les Français qui les ont autrefois dénoncés comme « traîtres » ont parlé d’eux avec respect.
Ma tâche consistait à faire se rencontrer les délégués français et allemands et à traduire leurs discussions. Je devais reproduire fidèlement non seulement leurs propos, mais aussi l’esprit qui les animait, afin de créer une atmosphère de camaraderie et éviter tout malentendu. Ce qui n’était pas facile, dans la mesure où ces délégués différaient largement en âge et en formation.
C’était la première fois que les trois députés français assistaient à une conférence internationale, et le discours de Brizon, notamment, apparut à bon nombre de marxistes comme un tissu de platitudes, pour ne pas dire de futilités. Par la suite, sa participation aux séances du Comité, et sa remarquable présentation des positions du Zimmerwald, lorsqu’en compagnie de ses camarades délégués il refusa de voter les crédits de guerre, prouvèrent s’il en était besoin que le ton de son discours ne reflétait en rien la profondeur de ses convictions.
Les partisans des Bolcheviks, qui s’étaient constitués en « aile gauche », appelèrent à nouveau à la formation immédiate d’une troisième Internationale. Comme les événements des sept derniers mois avaient déçu nombre de ceux qui avaient cru jusque-là à l’action de la Seconde Internationale, la résolution des Bolcheviks connut plus de succès à Kienthal qu’à Zimmerwald. Mais comme d’habitude, ceux-ci ne songeaient qu’à favoriser un mouvement minoritaire, alors que la plupart d’entre nous désiraient rallier le maximum de travailleurs pour créer un mouvement de masse.
J’ai toujours cru que l’émancipation du travail avait comme condition première l’éveil des masses à la conscience de leurs droits d’hommes et de citoyens. Les Bolcheviks, eux, ont toujours affirmé que la transformation du système social serait l’œuvre d’une minorité relativement petite, dirigée par une minorité encore plus petite.
Je me trouvais à Zurich, me remettant d’une forte grippe, quand me parvint la nouvelle du déclenchement de la Révolution russe. Lorsqu’on a passé la plus grande partie de sa vie à attendre un événement, pour peu qu’il arrive, il est déjà trop familier pour susciter la surprise. Cela faisait si longtemps que l’abdication du tsar et le renversement de l’absolutisme russe semblaient inévitables, que l’émotion fut probablement plus forte chez les radicaux et les philanthropes non russes que chez les émigrés eux-mêmes. Face à la réalisation de ce rêve si longtemps caressé, nous éprouvâmes les uns à l’égard des autres une sorte de timidité. Nous n’étions pas habitués à manifester nos sentiments intimes, car pendant des années, nous les avions subordonnés à un objectif inique : travailler au service de la cause; et comme ce travail absorbait jusqu’à nos émotions les plus profondes, nul doute qu’on aurait pu nous croire indifférents à un moment où cette victoire historique nous rapprochait de notre but final.
Passés les premiers moments d’enthousiasme que me procurèrent ces nouvelles, je songeai : ce n’est qu’un début. Quelle sera la prochaine étape ? Comment puis-je trouver ma place dans les rangs de la révolution ? Lorsque je pris contact avec les radicaux russes de Zurich, je m’aperçus qu’ils étaient dominés par la même pensée. Tous avaient hâte de rentrer en Russie le plus vite possible, tous ne songeaient qu’à la manière dont ils pourraient le faire.
[/quote]Je me rendis à un meeting, organisé par le groupe bolchevik à Zurich, où Lénine devait prendre la parole. Il eut lieu dans une petite salle sombre de la Maison du peuple, qui servait de siège au-mouvement ouvrier et socialiste local. Au cours de la guerre j’avais déjà entendu parler Lénine à de multiples reprises, et je savais en gros ce que serait sa position. Personne dans cette minuscule salle, ni même à l’extérieur, n’aurait imaginé que l’humble personnage qui s’exprimait ce soir-là deviendrait sept mois plus tard le leader incontesté de la révolution victorieuse et le maître des destinées de la Russie.
Depuis notre première rencontre, je l’avais surtout vu, lors de conventions et de conférence polémiquer âprement avec des hommes en qui j’avais beaucoup plus confiance. Il était resté pour moi l’orateur d’un petit groupe de révolutionnaires russes, en majorité des intellectuels, bien plus que le chef ou le représentant d’une quelconque fraction de la classe ouvrière. C’est probablement pour cette raison, et pour d’autres dont j’ai déjà parlé, que j’en étais venue à sous-estimer son pouvoir de réflexion.
Dans le discours qu’il prononça, une phrase allait bien souvent me revenir en mémoire tout au long des mois qui suivirent, comme elle l’a fait si souvent depuis : « Ou bien la Révolution aboutira à une seconde et victorieuse Commune de Paris, ou bien nous serons écrasés par la guerre et la réaction. »
Comme beaucoup de marxistes, j’avais été formée à l’idée que 1» révolution viendrait d’un des pays les plus industrialisés, et l’analyse de Lénine sur la situation en Russie m’apparut à ce moment comme une quasi-utopie. Par la suite, après mon retour en Russie, je souscrivis entièrement à cette analyse.
Quand nous descendîmes sur le quai, la foule déferla vers nous aux accents de l’Internationale, mais cela m’apparut plus comme une prière que comme un hymne triomphal ou un appel à la lutte. Hormis chez quelques jeunes gens, dont le visage levé vers nous et les yeux étincelants trahissaient la ferveur et l’enthousiasme, je perçus dans cette masse un sentiment d’impuissance oppressant, comme s’ils étaient venus non tant pour nous faire part de leur victoire, que pour nous appeler à l’aide. Les plus âgés surtout semblaient nous dire : « Aidez-nous, frères, aidez-nous », comme si nous, qui revenions pour participer à la construction d’un monde nouveau, avions apporté de l’ancien monde l’appui et la sécurité qui leur manquaient si tragiquement. C’est comme s’ils avaient été pris dans le tourbillon sans fin d’une bataille dont le but n’était pas clairement défini, et j’eus le sentiment qu’ils avaient bien plus besoin de notre réconfort que nous du leur. A ce moment, la prophétie de Lénine à Zurich me revint en mémoire. A moins que la Révolution ne prenne de l’ampleur et ne permette de fournir à ces gens des moyens de subsistance, la paix, et une égalité profonde, ils resteraient ce qu’ils avaient toujours été : des esclaves.
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