Le Monde 26/04 a écrit :Orpea : un audit indépendant confirme de nombreux manquements de la part du groupe
Un rapport d’étape du cabinet missionné par le groupe de maisons de retraite donne raison sur plusieurs points aux accusations de l’ouvrage « Les Fossoyeurs », à l’origine du scandale.
Par Samuel Laurent
Si le document prend soin de rappeler à de nombreuses reprises son caractère encore provisoire, les conclusions de la « mission d’évaluation indépendante portant sur les allégations de l’ouvrage Les Fossoyeurs », confiée par Orpea aux cabinets d’audit Grant Thornton et Alvarez & Marsal n’en sont pas moins, une fois encore, accablantes pour le groupe de maisons de retraite.
Pour répondre à la crise provoquée par la publication, fin janvier, du livre-enquête du journaliste Victor Castanet (Les Fossoyeurs, Fayard, 400 pages, 22,90 euros) dénonçant maltraitances, négligences et obsession du profit en son sein, Orpea, leader européen des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), avait annoncé une mission d’audit indépendant, confiée à deux cabinets renommés. Ceux-ci ont pu mener leurs investigations durant deux mois, sous forme de visites inopinées d’établissements, d’entretiens avec des salariés du groupe, ou encore d’examens de documents financiers et comptables.
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Si leur rapport définitif n’est pas attendu avant fin juin, les deux cabinets confirment déjà une bonne partie des révélations de l’ouvrage de M. Castanet, étayées par l’enquête administrative menée par l’inspection générale des finances et l’inspection générale des affaires sociales. Notamment « l’existence de rabais, remises et ristournes consenties y compris par des fournisseurs de produits financés sur fonds publics, des déclarations erronées des comptes d’emploi aux autorités de tutelle, la non-conformité dans la contractualisation de CDD et le recours à des intermédiaires, y compris à un ancien préfet », pour mener des actions de lobbying.
Des directeurs incités à faire des bénéfices
Quelques éléments marquants de l’ouvrage de M. Castanet ne sont en revanche pas confirmés par Grant Thomson et Alvarez & Marsal, comme le manque de protections urinaires. Le cabinet confirme un ratio de 2,2 changes par résident et par jour, mais estime, à la lumière des entretiens avec le personnel, que ce chiffre semble suffisant, tous les résidents n’ayant pas besoin de ces protections.
De même, l’insuffisance des rations alimentaires, évoquée dans l’ouvrage et pourtant confirmée par l’enquête administrative rendue publique début mars par le gouvernement, n’est pas relevée par l’audit. Celui-ci estime que le « coût de revient journalier » par résident « ne permet pas de qualifier une situation de rationnement ou de couverture insuffisante des besoins nutritionnels des résidents », même s’il précise que les investigations « ne permettent pas d’évaluer la qualité gustative ou nutritionnelle des repas servis ». Autre élément à décharge : s’il pointe un « processus budgétaire très contraignant », l’audit ne peut pas confirmer la politique systématique de refus par le siège des demandes d’achats faites par les directeurs d’établissement au-delà des budgets prévus.
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L’audit confirme toutefois de nombreux points, comme le sous-effectif en personnel. S’il ne note pas de « système » organisé visant à sous-doter en employés les établissements, il estime que « ces pratiques ont pu exister à une période antérieure ». Il relève également que les absences prolongées de personnel ne font pas l’objet d’une déclaration aux agences régionales de santé, comme ce devrait être le cas, et que des événements indésirables graves ne sont pas transmis, comme les procédures le prévoient.
L’audit note encore que les « critères financiers sont prépondérants dans la détermination de la rémunération variable » des directeurs d’établissement – incités avant tout à faire des bénéfices, et non à privilégier la qualité des soins. De même, il relève que « le groupe Orpea impute sur les financements publics du poste “aide-soignant” (…) des personnels qui ne disposent pas des qualifications requises », confirmant de fait une dissimulation des effectifs réels correspondant aux fonds publics touchés par le groupe pour l’emploi de personnel soignant. Un point qui avait conduit le gouvernement à saisir la justice, fin mars.
Emploi de prestataires à des fins de lobbying
Autre grave accusation confirmée par l’audit, l’usage des « RFA » (remises en fin d’année) pour capter une partie des fonds publics alloués à ses établissements, en empochant des commissions des fournisseurs. « Orpea bénéficie de revenus de la part de fournisseurs dont les produits et prestations sont en partie financés par des fonds publics », résume le document. Il confirme aussi que des prestataires d’Orpea auraient « participé au financement de séminaires » du groupe.
Les deux cabinets notent également l’emploi par Orpea de prestataires destinés à des actions de lobbying, y compris un ancien préfet, dont les travaux « consistaient notamment dans la mobilisation de son réseau de relations afin d’obtenir des informations, voire de tenter de peser sur certaines prises de décision ».
De nombreux autres points sont toujours en cours d’investigation, et devraient être précisés d’ici au moins de juin, au moment du rapport définitif des deux cabinets d’audit. Le groupe, dont le cours en Bourse continue de chuter, a annoncé mardi « reporter la publication de ses comptes annuels » d’une quinzaine de jours. Contacté, il n’a pas encore été en mesure de fournir un commentaire aux conclusions de ce rapport d’étape.
Samuel Laurent