Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Re: Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Message par Cyrano » 19 Juin 2022, 16:19

Oui, dans les bouquins de Jean-Jacques Marie, on trouve parfois du recyclage proveant d'autres livres du même bonhomme. Ce livre là, Des gamins contre Staline, reprend quelques éléments parus déjà dans les Cahiers du Mouvement Ouvrier. Ces repiquages sont d'ailleurs documentés en notes de bas de page.
Non, mais non, j'ai pas reparcouru tout le bouquin, j'avais noté les pages des renvois pour aller lire les articles.

Page 8 : on a un renvoi à un article des CMO numéro 5, mars 1999: "La Société des jeunes révolutionnaires de Saratov (1943)", pg 58-62. Dans ce numéro des CMO on a d'ailleurs une reproduction d'un tract (manuscrit! forcément.) de ce petit groupe : «Camarades qui souffrez sous le joug stalino-fasciste !... »
https://www.marxists.org/francais/cmo/n05/n05.pdf

Page 12 : renvoi à un article des CMO numéro 6, juin 1999: "La résistance à Staline en URSS : l'Union des jeunes socialistes de Tcheliabinsk (1945)", pg 107-111.
https://www.marxists.org/francais/cmo/n06/n06.pdf

Page 90 : on sort un peu des "gamineries" avec un renvoi au numéro 14, juin 2001 : "Lev Landau: le tract du Parti ouvrier antifasciste (1938)", pg 58.
https://www.marxists.org/francais/cmo/n14/n14.pdf

Sur un livre de 294 pages, ça laisse de la marge. Un article par-ci par-là ne donne pas cette impression de foisonnement (relatif) des groupes de très jeunes gens :
la Société des jeunes révolutionnaires, le groupe des Quatre Matous, le Parti panrusse contre Staline, les Communistes authentiques, la Société des chaînes brisées – qui envisageait de publier un bulletin "L'Etincelle de la liberté", le Front Bleu, le Bonheur du peuple, Vin de Neige, l'Union de lutte pour la cause de la Révolution, le Parti communiste de la jeunesse, l'Union des jeunes socialistes…
Mais on a aussi les lettres écrites adressées au p'tit père des peuples : des initiatives individuelles ou d'un petit groupe de lycéens, des lettres impertinentes (et inconscientes – une jeune fille écrit avec son adresse et un timbre pour la réponse). Et même celles et ceux se réunissant sur une plage pour se réciter des poèmes subversifs et chanter la Marseillaise, etc. Allez, allez, goulag.

Et pendant qu'on cause de ça, on est le 19 juin, l'avenir du pays se joue dans l'isoloir. Du pays? De l'Europe, du monde, des projets martiens, etc. Sauf de nos conditions de vie, j'en conviens…
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Re: Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Message par Cyrano » 19 Juin 2022, 17:10

Y'a même un chapitre XXXXIV ?! Y'a plus de correcteurs au Seuil?
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Re: Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Message par artza » 20 Juin 2022, 17:19

Une autre question bien des sources sont policières.

Il y a parfois la tentation pour ces services de faire mousser les choses.

Je n'ai pas eu le loisir de poser cette question à J-J M. .

ça n'enlève rien à l'intérêt du bouquin.
artza
 
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Re: Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Message par Cyrano » 21 Juin 2022, 08:46

Jean-Jacques Marie est historien. J'ose croire qu'il sait gérer ses sources et les valider. Je lui fais confiance.
Bien sûr, l'accès aux archives du NKVD (1934-1946), du MGB (1946-1954), du KGB (1954-1961) aide à avoir des précisions sur ces mouvements et mini-micro-groupes.

Mais ce n'est pas la seule source. Il y a aussi les témoignages des jeunes garçons et filles, rescapés de la prison ou du goulag, qui ont raconté leur histoire. Il y a aussi ceux (assez nombreux) qui ont témoigné dans leurs récits de leur rencontre étonnée avec des jeunes gens de 14 ou 16 ans en prison.
Un témoignage sous forme de manuscrit non encore publié:
«En mai 1936, j'ai rencontré de nombreux gamins membres de ces cercles. Ils se rassemblaient dans l'appartement de quelqu'un; lisaient et discutaient Marx et Lénine et écopaient de cinq ans de camp
Le fils d'un fusillé du troisième procès de Moscou se retrouve en prison. Il est surpris d'y voir un gamin de 14 ans. Il raconte : «Il avait l'air plus jeune que moi. Je lui demande: "Tu es le fils d'un ennemi du peuple?" Il me répond: "Non, nous sommes là pour notre parti, le PPCS. Nous nous sommes constitués à Oulianovsk, nous avons collé des tracts". Je lui demande: "C'est quoi le PPCS"? Il me répond: "Le Parti Panrusse contre Staline".»

Les services policiers essayaient de faire mousser les choses à leur manière: quand on a deux garçons arrêtés (le parti est au complet), ou un groupe de huit lycéens et lycéennes (encore une organisation au complet), la police tente de trouver un grand groupe terroriste derrière tout ça.
Mais la police ne fait pas mousser le nombre de jeunes gens arrêtés dans un premier temps: la rafle a permis de faire tenir dans le filet tous les quelques adhérents d'un Parti des véritables communistes. C'est d'ailleurs pour ça que les policiers ne peuvent y croire: doit y avoir d'autre membres cachés? C'est pas des gamins qu'ont rédigés les 12 tracts manuscrits… Allez, on arrête toutes les classes de seconde et de première où étudiaient ces jeunes gens. Et peut être un prof, tiens, allez.

Dans les rapports de police, bien sûr, souvent on conclut en écrivant que ces groupes avaient l'intention de porter atteint à la direction du parti communiste, que ces groupes voulaient viser les chefs de l'union soviétique. On n'écrit pas le nom de "Staline", on le nomme par périphrase. En somme comme au Japon où on ne peut nommer les sexe féminin (manko) ou le dessiner sans aller en prison.
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Re: Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Message par Cyrano » 20 Juil 2022, 17:05

Sous les oukases de artza et Zorglub, je me suis procuré un livre:
Les pierres noires d'Anatoli Gygouline. Editions Actes Sud, 1989. 219 pages.
Bizarrement, ce récit autobiographique est présenté comme "roman" sur la couverture.

Passionnant, écrit avec une plume très vivante, c'est vraiment à lire. L'enthousiasme de jeunes gens de 17 ou 18 ans, la crapulerie abjecte des geôliers staliniens, la vie dans les camps, j'ai particulièrement apprécié cette autobiographie du poète qu'était Anatoli Gygouline.

PS: "sous" les oukases? est-ce correct comme syntaxe?
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Re: Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Message par Cyrano » 20 Juil 2022, 17:17

La quatrième de couverture du livre d'Anatoli Gygouline:

«Je suis le dernier poète de la Kolyma stalinienne. Si je ne raconte pas, plus personne ne racontera. Si je n'écris pas, plus personne n'écrira.»
Telle est la nécessité qui pousse Anatoli Gygouline à livrer cette chronique du quotidien de l'incarcération. Membre du Parti Communiste de la Jeunesse, organisation d'obédience léniniste, ã une époque où le culte de la personnalité de Staline atteignait au paroxysme, Gygouline fut arrêté, jugé pour trahison, emprisonné et déporté en 1949. Sans rien concéder au pathos ni aux effets romanesques, il décrit de l'intérieur les privations, les interrogatoires, les transferts, les punitions, comme les étapes obligées d`un processus qui n'obéit qu'å ses propres lois. Un ton nouveau, dépouillé et poignant, anime ce témoignage irréfutable.
HUBERT NYSSEN & BERTRAND PY

Né en 1930, célèbre pour les poèmes qu'il a consacrés à la vie dans les camps, Anatolí Gygoulíne a fait paraître à la faveur de la pérestroïka ce récit – la première œuvre en prose qu'il ait écrite – dont le retentissement, en URSS, fut considérable.
Cyrano
 
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Re: Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Message par com_71 » 20 Juil 2022, 18:34

Dans LO, 15 Septembre 2000
Lire : "Les pierres noires", d'Anatoli Gygouline


Le poète russe Anatoli Gygouline vient de mourir. En 1988, les lecteurs soviétiques avaient découvert ses Pierres noires, un récit autobiographique (publié ensuite en français) relatant pourquoi, en 1949, plusieurs de ses camarades et lui avaient été condamnés à dix ans de travaux forcés dans un camp.

Lycéen à Voronej, en Russie centrale, il avait participé à la création d'une organisation clandestine, le Parti Communiste de la Jeunesse. Ce PCJ se fixait pour but d'oeuvrer à l'instauration d'une " société communiste dans le monde entier " et, en URSS, de lutter contre la dégénérescence de l'Etat et du parti au pouvoir. Cela au nom du marxisme-léninisme car, " du temps de Lénine, ça n'était pas comme ça ".

En quoi consistait l'activité du PCJ ? Ses militants étudiaient les classiques du marxisme, faisaient lire des textes censurés de Lénine et circuler un petit journal dénonçant la dictature stalinienne, et ils répandaient les idées qu'ils estimaient être celles du véritable léninisme. Par leur enthousiasme ils tentaient de pallier leur inexpérience et le fait de devoir tout redécouvrir par eux-mêmes, sans l'aide des générations militantes précédentes, massacrées par le stalinisme. Sachant dès le début que leur activité ne pouvait qu'être réprimée, ils s'entouraient bien sûr de maintes précautions, hélas inspirées par une vision des choses plus romantique qu'efficace. Dénoncés, ils furent arrêtés. Mais, sur la cinquantaine de membres du groupe, la police n'en découvrit qu'une partie et ne put en faire condamner qu'une poignée car ces jeunes, bien que torturés, tinrent bon.

Quelle qu'ait été sa trajectoire ultérieure, non seulement Gygouline n'a jamais renié sa jeunesse communiste antistalinienne, mais il a tenu à la faire connaître. Et à évoquer aussi des groupes semblables au sien, surgis en URSS à la même période (sur lesquels des mémoires, malheureusement non traduits, ont parfois paru durant la péréstroïka). Car des militants, jeunes et moins jeunes, qui tentèrent de lever le drapeau du communisme face au stalinisme, il y en eut en Union soviétique. Même au plus noir de la dictature, quand toute une partie de l'intelligentsia occidentale encensait Staline et que nombre de réactionnaires d'ici lui trouvaient bien des qualités, et en tout cas le considéraient comme le représentant exclusif du communisme.

Aujourd'hui, alors que les tenants de l'ordre établi s'efforcent toujours de nous convaincre que le stalinisme aurait été l'enfant direct du léninisme et qu'il ne pourrait y avoir de communisme que stalinien, Les pierres noires restent une pierre dans le jardin des adeptes, avoués ou non, du mensonge anticommuniste.

Pierre LAFFITTE
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Re: Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Message par Cyrano » 20 Juil 2022, 19:06

Les canicules, ça esquinte un peu...

com_71 va voir page 1 de ce sujet, message du 16 juin... ;)
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Re: Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Message par com_71 » 20 Juil 2022, 19:33

Cyrano a écrit :Les canicules, ça esquinte un peu...


Je ne dois pas boire assez de bières pour réparer.
:)
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Re: Des gamins contre Staline, J-J Marie. Oui, ça existait

Message par Cyrano » 21 Juil 2022, 08:43

Justement, un ami d'Anatoli Gygouline, Boris Batouev, a envie de boire une bière.
Lui et les autres membres de son groupe savent qu'ils sont filés et que les arrestations sont imminentes. On est en septembre 1949. Boris Batouev aura 19 ans un mois plus tard.
L'ARRESTATION DE BORIS BATOUEV

Boris racontait rarement les détails de son arrestation, encore n'en parlait-il qu'à ses plus proches amis.
Le 17 septembre, par une journée presque trop chaude, Boris revenait de chez Slavka Roudnitski. En chemin, il eut envie de boire une bière. Repérant un point de vente, il se mit dans la queue. Il y avait beaucoup de monde. Ça allait juste être son tour lorsqu'il fut interpellé par une voix masculine, jeune, inconnue et ferme :
– Camarade Batouev ! Pouvez-vous venir une petite minute ?
Sans se retourner, Boris glissa très lentement sa main droite dans la large poche de sa veste et enleva le cran d'arrêt de son Walter. L'inconnu se fraya un chemin à travers la foule et, s`approchant de Boris, lui tapa sur l'épaule d'un geste rude :
– Une toute petite minute, Boris !]e suis de l'université.
De la main gauche, Boris prit son bock de bière. Il regarda machinalement sa montre. Il était juste trois heures. Sans prendre la peine de récupérer sa monnaie, il se retourna :
– Je vous écoute.
– Il faudrait que nous nous mettions un peu à l'écart pour deux minutes. Il y a trop de bruit ici. Eloignons-nous un peu.
– Pas question ! vociféra la serveuse. Ou alors ramène les bocks. C'est ici qu'on boit ! Par ici les bocks vides en vitesse !
Boris observait l'homme tout en soufflant sur la mousse de sa bière. Il était roux, de taille moyenne, tout à fait quelconque en somme, mais ses yeux étaient d'une extrême mobilité. Il devait avoir dans les vingt-cinq ans.
– De quoi s'agit-il?
Boris soufflait sur la mousse tout en cherchant le deuxième type des yeux. Il se tenait à une dizaine de mètres, à l'écart de la foule.
– Je suis de l'université. C'est pour les spartakiades. Vous y participez bien, n'est-ce pas ?
– Non. Je ne participe pas à tes spartakíades.
Le type sortit de la poche intérieure de son veston un petit livret rouge qui portait en lettres dorées l'inscription MGB URSS.
–Tu sais, mon petit chou, tu peux te la mettre au... ta carte!
– Comment ça ?
– Comme ça, de la façon la plus habituelle, répondit Bons en posant son bock vide sur le comptoir. Ouvre-la, ta carte. Fais voir ? Le cachet n'est pas net. C'est un faux. Je vous connais, bandits !
Sentant que ça pouvait tourner mal, la foule des buveurs s'était écartée. Le gars ne prit même plus la peine de parler à mots couverts :
– J'ai besoin de vous pour quelques minutes. Nous allons juste passer à la direction. Vous serez interrogé en qualité de témoin puis vous serez relâché. Parole d`honneur.
– Parole de komsomol ?
– Parole de komsomol, reprit le rouquin tout content.
– Je ne te crois pas. Tu le jures sur Staline ?
– Sur Staline !
– N'importe, va te faire f… !
D'un geste rapide, le rouquin voulut saisir son pistolet, mais avant qu'il n'en ait eu le temps, le neuf millimètres noir de Boris était déjà braqué sur lui.
– Le temps que tu prennes ton flingue et que tu enlèves ton cran d'arrêt, je t'envoie quatre pruneaux. D'ailleurs deux suffiraient. Compris ?
– Compris...

Boris Batouev accompagne les deux sbires jusqu'aux bureaux du MGB. Ce sont bien des saloperies d'agents. Boris Batouev est arrêté.

Le livre d'Anatoli Gygouline est dédicacé à deux amis:
A la mémoire de mes amis Boris
Batouev et Vladimir Radkevitch.
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