Michel Pinçon est décédé

Michel Pinçon est décédé

Message par Ottokar » 28 Sep 2022, 15:46

Il était venu deux fois à la fête avec Monique, et même si je ne partageais pas son engagement PTT Melenchon, cette disparition nous prive d'un bon observateur de la bourgeoisie et du monde des très riches
Sur le site du Monde
Le sociologue Michel Pinçon, observateur de la grande bourgeoisie, est mort à l’âge de 80 ans
Ex-directeur de recherche au CNRS, il avait commencé comme sociologue des ouvriers, avant d’étudier la transmission de la richesse.

La sociologie française a perdu l’un de ses plus célèbres représentants. Michel Pinçon est mort à l’âge de 80 ans, lundi 26 septembre, selon une information publiée par L’Humanité mercredi, et confirmée auprès du Monde par son éditeur, La Découverte, qui précise qu’il était atteint de la maladie d’Alzheimer.

Ancien directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Michel Pinçon avait commencé comme sociologue des ouvriers, avant de se tourner vers la transmission de la richesse dans la noblesse et la haute bourgeoisie. Ce sont ces travaux sur les plus riches, menés en tandem avec son épouse, Monique Pinçon-Charlot, qui avaient rendu le duo célèbre. « Je dis toujours que nous avons écrit vingt-sept livres à quatre mains », a déclaré celle-ci à l’Agence France-Presse (AFP).

Né le 18 mai 1942 à Lonny, un village des Ardennes, Michel Pinçon a grandi dans une famille ouvrière. « Il a été passionné, habité par la sociologie depuis son enfance, avec son origine ouvrière de la vallée de la Meuse, et son attachement à l’Etat-providence qui donnait à des enfants comme lui la possibilité de faire ses études », a dit son épouse.

« Deux boiteux »
Ils se sont rencontrés en 1965 lors de leurs études à Lille. « Ça a été un coup de foudre réciproque, entre deux boiteux qui avaient des névroses de classe inversées », a commenté Monique Pinçon-Charlot, qui est d’origine bourgeoise, fille d’un magistrat. Fascinés par la sociologie de Pierre Bourdieu, ils ont poursuivi une longue carrière de chercheurs à partir des années 1970. « Michel a toujours été habité par cette volonté de comprendre les injustices, qu’elles soient sociales, économiques, et surtout symboliques, celles dont il a le plus souffert lui-même », a encore expliqué son épouse.

Dans les beaux quartiers (PUF, 1989) ou encore Les Ghettos du gotha (Seuil, 2007) figurent parmi les ouvrages les plus emblématiques du duo, qui avait su sortir des formats classiques de la sociologie, en livrant, par exemple, en 2009, une étude de quelques arrondissements parisiens présentée sous la forme d’un guide de voyage (Paris : quinze promenades sociologiques, Payot).

« Excellent apport »
Retraités depuis 2007, les Pinçon-Charlot avaient quitté depuis la rigueur des canons scientifiques pour se livrer à des observations davantage impressionnistes. Fortement politisé, le couple était marqué à gauche, et résolument opposé à Emmanuel Macron, comme en témoigne leur ouvrage Le Président des ultrariches (La Découverte, 2019).

Lire aussi (2019) : Article réservé à nos abonnés Les Pinçon-Charlot, ex-sociologues
La mort du sociologue a suscité, sur Twitter, plusieurs réactions de responsables politiques de gauche. « Je rends hommage à ce compagnon de route, grand sociologue, qui n’a eu de cesse, avec Monique, de décrypter les rapports de domination sous toutes ses formes », a commenté Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du Parti communiste français.

« Les travaux des Pinçon-Charlot sur la sociologie de l’oligarchie sont un excellent apport à notre combat politique pour l’égalité et la justice », a écrit Raquel Garrido, députée La France insoumise de Seine-Saint-Denis. « Michel Pinçon n’a jamais fait semblant d’être neutre. Les travaux de Michel et Monique ont inspiré nos combats contre les inégalités », a aussi considéré Benoît Payan, le maire (union de la gauche) de Marseille.
Ottokar
 
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Re: Michel Pinçon est décédé

Message par Gayraud de Mazars » 28 Sep 2022, 16:53

Salut camarade Ottokar,

Michel Pinçon qui part c'est un combattant contre la bourgeoisie qui s'en va ! Et dans L'Humanité on peux lire...

Mort du sociologue Michel Pinçon : il regardait les riches pour comprendre le monde

Michel Pinçon est mort lundi 26 septembre 2022, à l'âge de 80 ans. Ancien directeur de recherche au CNRS, le sociologue était un ami fidèle de l'Humanité. Ses travaux sur les riches se sont conjugués souvent avec ceux de son épouse Monique Pinçon-Charlot. Il nous avait accordé en 2010 un entretien que nous republions. Cet entretien prenait pour point de départ les retraites dorées des patrons du CAC40 pour s'élargir aux modes d'emploi de cet argent.


Entretien de 2010 à L'Humanité :

Entre sa retraite de et ses revenus de PDG d'EDF, Henri Proglio touchera 2,6 millions d'euros par an. Il n'est pas le seul. Ces dernières années les « salaires » des patrons se sont envolés. Que font-ils de tels revenus ?

MICHEL PINÇON : - Ces sommes sont démentielles mais ce ne sont que des revenus d'activité. Or ces patrons ont aussi des stock-options et du patrimoine de rapport. Bernard Arnault, par exemple, est PDG du groupe LVMH mais il en est aussi propriétaire et à ce titre il perçoit des dividendes. Il a aussi des revenus de placements qui peuvent être mobiliers (actions) et immobiliers. Au total c'est vraiment faramineux.

Une partie de ces revenus est investie dans de nouveaux placements financiers ou immobiliers pour améliorer non pas le niveau de vie mais la taille du patrimoine. Une autre va à des pratiques extrêmement dispendieuses, à la limite du patrimoine de rapport et du patrimoine de jouissance. Je pense aux deux musées d'art contemporain que François Pinault, ancien PDG du groupe Pinault-Printemps-La Redoute, a créés à Venise. Ils sont de niveau international avec des oeuvres de très grande valeur et ont, l'un et l'autre, la taille du musée d'Art moderne de la ville de Paris. François Pinault a aussi acheté un château du XVIIe siècle, La Mormaire, en bordure de la forêt de Rambouillet, qu'il a restauré.

Dans le parc on trouve des statues monumentales, dont une de Picasso, une installation de Richard Serra qui exposait au Grand Palais, il y a peu de temps. De son côté, le groupe LVMH contrôlé par Bernard Arnault (comment faire la part entre ce qui appartient au groupe et ce qui appartient à son propriétaire ?) a acheté Château-Yquem dans le vignoble bordelais. Bernard Arnault y a marié sa fille. On pourrait multiplier les exemples. C'est ce que nous appelons, en nous inspirant de Pierre Bourdieu, le capital symbolique. Yquem, les grands vins... c'est la culture française, l'ancienneté, la tradition, le prestige.

Et pour avoir vraiment du pouvoir, il faut avoir du prestige ?

MICHEL PINÇON Cette richesse difficile à acquérir assoit le pouvoir sur une dimension symbolique. Un portefeuille d'actions ne donne pas une légitimité sociale. Château-Yquem ou des musées d'art contemporain ont une valeur monétaire, mais donnent surtout un certain label. Arnault, lui aussi, s'est lancé dans la création d'une fondation consacrée à l'art au Jardin d'acclimatation, dans le bois de Boulogne. Pourquoi investir dans des entreprises de ce type ? Ils gagnent de l'argent, bien sûr, et cela leur permet d'intervenir au coeur du marché de l'art. Ils se donnent aussi un statut de mécènes, montrent leur intérêt pour la culture. C'est une valorisation symbolique de leur personne.

Cet argent procure aussi un confort quotidien hors du commun...

MICHEL PINÇON : - Il n'est pas nécessaire d'atteindre ces niveaux de revenus pour être dégagés des soucis du quotidien. C'est déjà le cas, par exemple, du directeur financier d'une grande entreprise qui peut se décharger sur du personnel spécialisé de tous les problèmes domestiques, qui peut envoyer ses enfants pendant un an dans un collège anglais.

Lorsque le niveau de revenus est encore supérieur existent des « family offices ». Des organismes qui sont souvent liés à des services de gestion des grandes fortunes greffés sur des banques d'affaires. Ils prennent en charge tous les aspects de la vie quotidienne des familles très riches, depuis les problèmes les plus courants jusqu'à l'organisation d'un séjour au festival de Bayreuth ou la réservation au dernier moment d'une place dans un avion pour New York. Car les déplacements sont fréquents et la pluriterritorialité est systématique.

C'est frappant en consultant le Bottin mondain. Ces personnes ont généralement une adresse parisienne, une autre dans un lieu de villégiature en province, une autre encore à l'étranger. Dans toutes ces résidences des gardiens assurent la sécurité, le fonctionnement, l'entretien de façon permanente. Dans un livre, l'Esprit en fête, un titre révélateur de leur état... d'esprit, Michel David-Weill, l'un des dirigeants de la banque Lazard, confie qu'il aime beaucoup toutes ses résidences et il ajoute qu'elles sont magnifiquement décorées. Amateur d'art, il préside d'ailleurs une commission chargée des achats pour les musées nationaux.

On revient encore à l'art...

MICHEL PINÇON : - Être un mécène des arts, appartenir à des institutions culturelles, avoir son nom gravé dans le marbre de musées, au Louvre par exemple... c'est comme cela qu'on n'est pas Bernard Tapie.

Cet argent donne une sensation de puissance ?

MICHEL PINÇON : - Il procure, en supprimant tous les problèmes matériels, une sérénité évidente. Mais il est une autre forme de sérénité plus cachée qui vient du fait de pouvoir acquérir ce qu'avec Monique Pinçon-Charlot nous avons appelé « une immortalité symbolique ». Pinault a un fils qui a pris sa suite, Arnault a ses enfants déjà dans le circuit, Bouygues, Lagardère sont des fortunes récentes mais dont la succession est déjà assurée.

Lorsqu'on est dans cet univers, au bout d'une ou deux générations, on a des ancêtres et des héritiers, on est le moment de quelque chose qui vous dépasse. L'ouvrier ou l'enseignant ont leur vie, un père et une mère. Mais ils sont seuls à entretenir leur mémoire alors que la société garde la mémoire des Rothschild ou des David-Weill, des grandes dynasties industrielles.

Il y a quelques années, les Wendel ont fêté le tricentenaire de la fondation de leur première usine métallurgique en Lorraine. Ils avaient à cette occasion loué le musée d'Orsay pour une soirée. Ernest-Antoine Seillière dont la mère était une Wendel a fait un discours. Tous les membres du holding qui gère les biens des Wendel étaient là : au moins 800 personnes figurent sur la photo prise dans le grand hall du musée.

Dans ces familles, on a le sentiment de sortir de l'ordinaire, on se le dit, et cela donne une certaine assurance. D'ailleurs leurs résidences sont souvent dans des bâtiments classés aux Monuments historiques, des hôtels particuliers dans Paris avec des oeuvres d'art, des meubles de valeur, des bibliothèques.

La différence est évidente avec ceux qui sont nés et ont vécu dans des HLM que l'on fait imploser parce qu'ils n'ont aucune valeur. D'un côté c'est la mobilité forcée, la précarité et l'enfance qui disparaît dans un nuage de poussière, de l'autre c'est une certaine longueur de l'existence avec la maison qui reste dans la famille et l'inscription dans cette immortalité symbolique, certes très fallacieuse mais psychologiquement apaisante.

Proglio a négocié son salaire 45 % au-dessus de celui de son prédécesseur. Comment n'a-t-on pas dans cette situation un sentiment d'indécence ?

MICHEL PINÇON : - Peut-être par tout ce que l'on vient de dire et la certitude d'être le meilleur. Proglio est dans un univers où il se sent autorisé à demander toujours plus parce que c'est lui qui décide, il a le sentiment d'avoir beaucoup fait pour l'entreprise. Il y a là une forme d'hypernarcissisme entretenue par la difficulté réelle du monde des affaires, un monde où il y a de la bagarre, où ceux qui gagnent s'adjugent tout ce que les vainqueurs peuvent souhaiter. C'est aussi un effet idéologique de la pensée unique qui veut que le marché soit le seul régulateur de la vie économique. La logique du plus fort gagne s'impose. Et il n'y a pas de limite.

Entretien réalisé par Jacqueline Sellem

(*) Auteur avec Monique Pinçon-Charlot du livre les Ghettos du Gotha, comment la bourgeoisie défend ses espaces. éditions du Seuil, 2007, 293 pages, 19 euros.


Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Gayraud de Mazars
 
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