Annie Ernaux Prix Nobel

[Ottokar]

Je ne suis pas capable de dire si son style est du niveau d'un prix nobel, mais j'ai lu plusieurs de ses livres, et ils étaient très intéressants. La place, l'événement notamment.

[Ottokar]

Deux de ses livres que je recommande, en signalant au passage (sans que ce soit un argument littéraire déterminant) qu'avant de voter FI aujourd'hui, elle avait voté Arlette en 95...

La place, c'est celle de son père, qu'elle découvre réellement au moment de sa disparition. C'est à travers lui, l'histoire d'une ascension sociale en 3 générations, un grand-père paysans, un père ouvrier qui devient cafetier, une fille (elle-même) qui fait de bonnes études dans les années 50-60, quitte son village pour la grande ville (Rouen), découvre des milieux intellectuels, aisés, et méprise ses parents, ayant honte de ses origines. Et elle ne comprend ce qu'il était que lorsqu'il meurt, bien entendu. C'est fin, bien écrit, sensible, bien vu, touchant et intéressant sur la France de l'après-guerre, le mépris de classe.

L'évènement (qui a donné naissance au film), c'est un avortement au début des années 60. Sordide et terrible, à la fois sur les conditions sociales, la solitude des filles face à ce drame, l'insouciance et l'égoïsme des garçons qu'elle fréquente, ses difficultés matérielles et morales, bref l'hypocrisie et la saloperie de la société, une dizaine d'années à peine avant que les luttes forcent Giscard à changer la loi. On fait aujourd'hui de Simone Veil une sainte, elle a été courageuse c'est vrai, mais sans Gisèle Halimi, sans les milliers de femmes mobilisées, sans les partis d'extrême gauche (dont LO), la loi Veil n'aurait jamais vu le jour. En tout cas pas à ce moment. Le livre est fort et permet de réaliser d'où ou vient et où les bigots et les réacs veulent nous faire retourner. .

[Cyrano]

J'ai pas mal de livres d'Annie Ernaux, j'ai donc pas mal lu la dame. Je suis un peu étonné de son prix Nobel, je ne vois pas très bien où est l'épaisseur de l'oeuvre, mais bon, chacun ses chacras. J'aurais plutôt vu Stephen King, ce serait temps, plus que temps.
J'ai aimé particulièrement "La Place", mais ce bouquin date de 40 ans!... Et "Passion simple", mais ça date de 30 ans… Et "L'évènement", qui date de 20 ans…

La 4e de couverture de La Place:

La narratrice, qui n`est autre que l`auteur, a perdu son père l'année même où elle est devenue professeur. Cette mort, ã laquelle elle a assisté, a marqué sa conscience d'une manière indicible. Plusieurs années après, elle entreprend le récit de la vie de son père, d'abord garçon de ferme, puis ouvrier d'°usine, petit commerçant enfin. Se fondant sur des faits, des photos., des souvenirs de scènes précises et de phrases souvent entendues., elle rend sensible la condition de son père, la faible marge de liberté qui lui fut accordée pour se faire sa "place au soleil". Surtout, elle s`attache å décrire cette distance séparant peu à peu une fille, étudiante, mariée bourgeoisement, d`un père travailleur manuel qu`elle aime et qui l`adore.
Mais Annie Ernaux ne ressuscite pas seulement l`image d`un père, elle met au jour avec minutie tout un héritage culturel, coutumes, goûts, valeurs, l`héritage culturel des dominés, qu'elle a dû oublier pour monter dans l'échelle sociale. Les difficultés et la psychologie du petit commerçant, les humiliations sociales, ça déchirure de classe à l'intérieur même de la famille, tout cela est relaté avec pudeur et force dans un style dépouillé ã l'extrême, qui donne à cette œuvre une densité bouleversante.

Annie Ernaux est née à Lillebonne (Seine-Maritime). Professeur de lettres, elle a déjà publié trois romans: Les armoires vides, Ce qu'ils disent ou rien et La femme gelée [en 1984, date de mon exemplaire].

La fin de "La Place", mine de rien, est si amère, si cruelle, monde de merde:

Au mois d'octobre l'année dernière, j'ai reconnu, dans la caissière de la file où j'attendais avec mon caddie, une ancienne élève. C'est-à-dire que je me suis souvenue qu'elle avait été mon élève cinq ou six ans plus tôt.
Je ne savais plus son nom, ni dans quelle classe je l'avais eue. Pour dire quelque chose, quand mon tour est arrivé, je lui ai demande : «Vous allez bien? Vous vous plaisez ici?» Elle a répondu oui oui. Puis après avoir enregistré des boîtes de conserve et des boissons, avec gêne : «Le C.E.T., ça n'a pas marché.» Elle semblait penser que j'°avais encore en mémoire son orientation. Mais j'avais oublié pourquoi elle avait été envoyée en C.E.T., et dans quelle branche. Je lui ai dit «au revoir». Elle prenait déjà les courses suivantes de la main gauche et tapait sans regarder de la main droite.

[Harpo]

Annie Ernaux prix Nobel, j'ai cru d'abord à une plaisanterie. Je n'ai lu que "Les années" et je n'ai pas été du tout convaincu par le talent littéraire de cette dame (au demeurant fort sympathique).
Il me semblait évident qu'il fallait donner ce prix à Salman Rushdie avant que les assassins islamistes ne finissent par avoir sa peau.
S'il fallait absolument, pour quelque raison que j'ignore, honorer un écrivain francophone, j'aurais compris que l'on choisisse René Depestre, Dany Laferriére ou même Alain Mabanckou, ou, pourquoi pas, Gilles Vignault. J'aime bien Le Clézio et Modiano, mais pour moi le dernier écrivain francophone ayant vraiment mérité son prix Nobel est Claude Simon.
Et puis, pourquoi de très grands écrivains comme Kadaré, Auster, Murakami... n'ont-ils jamais été récompensés ?

Tout à fait hors sujet, Alain Aspect prix Nobel de physique ; ENFIN ! Il y a quarante ans qu'il le mérite.

[Zorglub]

Salman Rushdie n'est pas mort.

N"ayant pas la compétence pour discuter de ces auteurs, je me contente de plussoyer pour Alain Aspect.

[Kéox2]

Alain Aspect prix Nobel de physique, il le mérite pour l'ensemble de ses travaux de recherche, j'ai plus de mal à concevoir un prix Nobel de littérature ou bien alors il faudrait que l'auteur ai produit une oeuvre vraiment exceptionnelle... Sinon Annie Ernaux, malgré quelques livres vraiment bien, a quand même hélas mal évoluée depuis 1995 où elle appelait à voter Arlette...

[com_71]

Je ne pense pas. Il y avait eu un certain engouement pour la personne ou la candidature d'Arlette. De la part de gens de gauche, mais ça avait peu à voir avec le soutien des idées révolutionnaires. La suite l'a prouvé, malgré ce que prétend l'Etincelle ou Démocratie Révolutionnaire.
Cf. Mme de Fontenay, A Souchon, B. Lavilliers, voire P. Perret...

[artza]

Et Cavanna avec son slogan choc en titre de sa tribune dans Charlie Hebdo, " Pour leur foutre au cul, votez Arlette"!

[Harpo]

Salman Rushdie n'est pas mort.

Non, je le sais bien, cette fois ils l'ont "seulement" gravement blessé mais il est toujours sérieusement menacé...

Quelques rappels historiques :

Le 28 février 1989, attentats contre des librairies à l’université de Californie à Berkeley qui proposait le roman et contre les bureaux de Riverdale Press, un hebdomadaire du Bronx, en réponse à un éditorial qui défendait le droit de lire le livre.
Le 11 juillet 1991, le traducteur japonais de Rushdie Hitoshi Igarashi est poignardé à mort à l'université de Tsukuba, province d'Ibaraki, où il enseignait ; son traducteur italien, Ettore Capriolo a été poignardé à Milan quelques jours plus tôt.
En 1993, à Oslo, l'éditeur norvégien de Rushdie, William Nygaard, survit de justesse à plusieurs coups de feu.
Le 2 juillet 1993, trente-sept personnes sont tuées lorsque leur hôtel à Sivas en Turquie est incendié par des manifestants contre Aziz Nesin, le traducteur turc de Rushdie.
Deux ecclésiastiques, saoudien et tunisien, qui avaient dénoncé la fatwa sont abattus à Bruxelles en 1989

On peut aussi se souvenir des propos ignobles de Chirac et comparer à l"attitude de la reine d'Angleterre qui a annobli Rushdie :

En France, Salman Rushdie est notamment pris à partie par Jacques Chirac, à l'époque maire de Paris, qui déclare le concernant qu'il n'a « aucune estime pour lui ni pour les gens qui utilisent le blasphème pour se faire de l'argent, comme ce fumiste — je pèse mes mots — qui s'appelle Scorsese, l'auteur d'un navet, La Dernière Tentation du Christ. Quand on déchaîne l'irrationnel, il ne faut pas s'étonner de la suite des choses. Je ne réclame pas la censure, mais le viol des consciences est inadmissible. »

On peut aussi et surtout lire "Les enfants de minuit", "Les versets sataniques", "Haroun et le mer des histoires", Shalimar le clown", "Le dernier soupir du Maure", "L'enchanteresse de Florence"... et constater qu'il s'agit bien d'une oeuvre exceptionnelle et que s'il est un écrivain, heureusement encore vivant, qui mérite vraiment le prix Nobel, c'est bien lui.

[Cyrano]

Je ne suis pas de très près les actualités des prix Nobel de littérature. J'aurais juré que Salman Rushdie avait eu le prix Nobel. Mais c'est vrai que c'est aussi un réel et évident candidat à ce titre. Y'a qu'à voir les nombreux articles de presse disant que cette fois, oui, ça devrait y être, et puis non. Un peu de lâcheté?
Merci pour ton petit rappel historique, Harpo: de temps en temps , faut redire tout ça. On verrait un tel acharnement dans un film, on n'y croirait pas.