Il nous reste la colère

Il nous reste la colère

Message par Ottokar » 12 Déc 2022, 09:04

Article mediapart sur un film concernant la fermeture de l'usine Ford de Blanquefort.

Ce qui apparaît dans le compte-rendu, c'est que contrairement au titre, il ne leur reste que le découragement et la résignation. Dans le passage que j'ai souligné en gras, on sent bien la stratégie des syndicalistes, y compris Poutou : négocier, chercher à faire pression sur les pouvoirs publics pour "sauver l'entreprise" ou des morceaux de celle-ci. A l'opposé de la tactique suivie dans d'autres conflits comme PSA Aulnay ou ceux que raconte Roland Szpirko sur Chausson Creil ou Continental Clairoix dans son livre "passage de témoins" où la colère a pu s'exprimer et les salariés partir dans de meilleures conditions.

L'expérience de plus de 30 ans de "crise" ou "restructurations" montre qu'il est chimérique d'obtenir des patrons qu'ils continuent à exploiter une entreprise dont ils ont décidé de se débarrasser. Et que le "repreneur" qui redémarre avec la moitié ou moins de salariés et beaucoup d'aides des pouvoirs publics finit généralement par licencier à son tour ou y renoncer. C'est un gâchis, oui, mais le pire gâchis est de ne pas dire la vérité à ceux qui en sont victimes et de les emmener vers des objectifs illusoires. On n'a pas toujours la colère suffisante pour agir, mais on peut éviter de dire des mensonges à nos camarades de travail.


« Il nous reste la colère » : la lutte des anciens de Ford au cinéma

Deux ans après la fermeture de l’usine Ford à Blanquefort, sort un documentaire intitulé « Il nous reste la colère » qui raconte, avec humanité et justesse, la lutte infructueuse d’ouvriers attachés à leur usine. Au cinéma depuis le 7 décembre. 

Khedidja Zerouali

10 décembre 2022 à 15h24

Des réunions syndicales qui se suivent et se ressemblent. Une multinationale déterminée à fermer son usine, quitte à saboter les offres de reprise. Des délégués interministériels qui multiplient les promesses au téléphone, dans le vent. Des espoirs douchés, des grèves peu suivies et, à la fin, une usine qui ferme.

Au premier coup d’œil, le documentaire Il nous reste la colère, retraçant les dernières années de lutte des salariés de Ford à Blanquefort (Gironde), peut paraître démoralisant. Mais en y regardant de plus près, le film réalisé par Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert raconte l’abnégation d’ouvriers prêts à tout pour sauver leur outil de travail et la résistance que quelques-uns peuvent opposer à un grand groupe.

D’ailleurs, en pied de nez à l’âpre réalité qui a été celle des travailleurs de Ford, les deux réalisateurs concluent leur documentaire par la mise en images d’une autre fin, bien loin de la catastrophe qu’a été en 2019 la fermeture de l’usine, avec 850 salariés sur le carreau. 

Le récit d’un échec 

Cette autre fin a été écrite par le journaliste Sorj Chalandon dans l’ouvrage collectif Ford Blanquefort, même pas mort !, publié en 2018 aux éditions Libertalia. C’est l’histoire d’un fils qui raconte à son père qui meurt que son usine vivra. Le texte est lu par Béatrice Walylo, l’une des coordinatrices du livre. Devant une grande banderole qui dit « Non à la fermeture », elle raconte un « Jour de victoire », sous les caméras des réalisateurs : 

« Ce matin, je lui ai dit que l’usine vivrait. Que le gouvernement avait été ferme et que Ford renonçait à quitter le site.

— Ferme ? Ferme comment ?, a demandé mon père.

Je me suis rapproché de son oreille. Il avait les yeux fermés, alors j’ai fermé les miens. Deux aveugles lumineux. Et je lui ai raconté. Ce qu’il voulait croire, ce que j’aurais aimé entendre. Ford avait décidé de lancer la nouvelle boîte de vitesses chez nous, à Blanquefort.

— La 8F-MID ?

Il a souri, les yeux clos. Il connaissait. Il ne connaissait que ça. Enfant, il ne me racontait ni les princes ni les chevaliers, mais la mécanique. »

Alors qu’elle récite, les salariés souriants s’imaginent eux aussi un aboutissement joyeux qui n’arrivera pas. Dans la foule, les syndiqués de la CGT qui se sont battus, pendant des années, contre la volonté de Ford de fermer leur usine et pour que l’État, au-delà des beaux discours de Bruno Le Maire, les soutienne réellement. 

Parmi eux, il y a Gilles Lambersand, secrétaire du comité d’entreprise – à l’époque où cette instance existait encore. On le voit rassurer un délégué interministériel qui semble s’inquiéter davantage des huées reçues par les membres de la direction de Ford Europe que de la violence du licenciement probable de centaines de salariés. Le stylo à la main, il assure qu’il n’y a eu qu’une « petite haie d’honneur, avec quelques fumigènes ».

La caméra le suit tout au long du film. Quand il mène, dépité, une manifestation bien maigre jusqu’à la préfecture. Quand il se fait le porte-parole désenchanté de salariés qui acceptent de saborder leurs propres conditions de travail pour que l’usine ne ferme pas et quand il pleure, de tristesse et de colère, parce qu’elle finit par fermer quand même. 

Il y a aussi Vincent, Thierry et le charismatique leader syndical de la CGT de l’usine, un certain Philippe Poutou. On le voit, comme les autres, s’épuiser en manifestations, tractages, réunions avec des représentants de l’État, de Ford, de Punch, qui fut un temps un possible repreneur, toujours avec la ténacité et le bagout qu’on lui connaît. 

Un documentaire au plus près des salariés

Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert se sont tant et si bien intégrés à la section CGT de l’entreprise qu’ils ont capté ce qui échappe si souvent aux caméras : les victoires d’un jour, les négociations, l’espoir qui grandit, les petites concessions et les grandes désillusions. 

Ainsi ont-ils réussi à donner à voir, avec justesse et sans grandiloquence feinte, l’exact moment où les derniers résistants se résignent. Après plus de six ans de lutte, l’aboutissement se déroule dans une petite salle du comité d’entreprise. Ils sont dix tout au plus, l’offre de reprise qu’ils avaient soutenue vient d’être mise à terre par Ford, ils ne reçoivent pas le soutien escompté de l’État… En bref et sans divulgâcher, l’usine va fermer et l’heure est à la négociation d’un plan de licenciement acceptable, avec les meilleures conditions financières possibles pour les salariés.

« Et donc, c’est quoi la bataille qu’on mène là ? », demande, fatigué, un syndiqué. Et Philippe Poutou, en délégué syndical, de lui répondre par une autre question : « C’est sûr qu’il faut qu’on choisisse maintenant : est-ce qu’on dénonce l’attitude de Punch [qui fut un temps un repreneur possible – ndlr] auprès de l’État pour voir s’ils ne peuvent pas quand même essayer de faire bouger ça ? Ça, c’est une option et c’est celle que je défends. Et l’autre option, c’est de dire que Ford a gagné, Punch c’est fichu et nous on ne pense plus qu’à préparer notre propre départ. Ça peut être ça, notre option, il n’y a pas de scandale là-dedans. »

C’est finalement ce deuxième scénario que la CGT choisira et que Philippe Poutou portera la mort dans l’âme, après avoir épuisé tous les recours possibles. 

« On est licenciés depuis plus de deux ans, a réagi mercredi 7 décembre l’ancien candidat du Nouveau Parti anticapitaliste à la présidentielle auprès de nos confrères de France Bleu Gironde. On avait tourné la page d’une certaine manière et puis ce film-là sort… Au début, c’est pas évident mais maintenant on est plutôt contents de tout ça, parce que ça permet pas seulement de parler de notre lutte, de ce qu’on a fait, de pourquoi on a perdu mais aussi de discuter des autres luttes, parce que le problème reste posé aujourd’hui de lutte contre les licenciements et les fermetures d’usine. »

Et les exemples ne sont pas à chercher très loin. À Blanquefort où était installé Ford, les quelque 700 salariés de l’usine Magna, qui produit des boîtes de vitesses manuelles pour Ford, se battent en ce moment même pour s’assurer de l’avenir de leur entreprise, alors que le repreneur potentiel, un fonds de recouvrement allemand, se présente sans projet industriel pour le site…

Comme un éternel recommencement, avec l’espoir que le clap de fin diffère cette fois-ci. 

*

Il nous reste la colère, de Nicolas Beirnaert et Jamila Jendari, en salles depuis le 7 décembre 2022.

Khedidja Zerouali
Ottokar
 
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