Entendons nous, écrire que Soukhanov passe son temps dans «
les palais» peut donner une drôle d'image. La Douma, le Pré-parlement, la Conférence démocratique, etc. sont des endroits où Soukhanov se trouve, et tant mieux: on peut voir ce qui s'y passait. Il allait aussi dans un certain palais: le palais Tauride, pasque c'est là que y'avait le soviet. Il s'est même rendu à la datcha Dournovo, le repère des anarchistes, «
le nid secret de ces terribles anarchistes.»
Ta description donne l'image d'un type qui ne serait qu'un rat de couloirs isolé du monde réel. Ça ne me semble pas être une image réelle du bonhomme.
Soukhanov ne veut pas d'une prise du pouvoir complète par les soviets qui chasserait tous les maestros des joutes oratoires. Ce n'est pas parce qu'il fréquente les parlements, les réunions (il fréquente aussi beaucoup les bolchéviques), ce n'est pour ça qu'il ne voit pas la nécessité d'une nouvelle révolution. Il a une vision qu'il estime être marxiste et qu'il pense que les bolchéviques transgressent le marxisme. Trotsky y voyait des arguments fondamentaux.
Soukhanov s'exprime assez souvent là-dessus. Et puis, bah! tel qu'il est, ça nous donne une description passionnante de Saint Pétersbourg allant vers le grand saut.
On ne peut pas trop juger de haut avec ce qu'on sait, maintenant, aujourd'hui.
Après tout, ce grand saut, il n'est pas tout seul à le redouter: cette insurrection à venir n'enthousiasme pas les deux dirigeants que sont Zinoviev et Kamenev – et ils n'étaient pas les seuls ! Quelques semaines auparavant, le Comité central unanime avait dit niet! à l'insurrection. Et peut-on dire que ces braves bolchéviques passaient leur temps dans les palais? ou dans des discussions de coulisses?
Trotsky fait remarquer:
Les tentatives faites plus tard par l'historiographie officieuse pour présenter les choses de telle façon que tous les dirigeants du parti, sauf Zinoviev et Kamenev, se seraient prononcés pour l'insurrection, sont démolies par les faits et les documents. Sans omettre de dire que ceux qui votaient pour l'insurrection étaient fréquemment disposés à la différer jusqu'à une date indéterminée, les adversaires avoués de l'insurrection, Zinoviev et Kamenev, n'étaient pas isolés, même au sein du Comité central : leur point de vue était entièrement partagé par Rykov et Noguine, absents de la séance du 10, et Milioutine leur était proche. « Aux sommets du parti, l'on observe des fluctuations, une sorte de peur de la lutte pour le pouvoir » - tel est le témoignage de Lénine lui-même.