"Spartacus" de James Leslie Mitchell

"Spartacus" de James Leslie Mitchell

Message par Gayraud de Mazars » 10 Jan 2023, 11:29

Salut camarades,

- "Je suis Spartacus" ! Et comme on peut lire sur Wikipédia le sens de cette réplique célèbre du film de 1960 "Spartacus" de Stanley Kubrick : Crassus, général romain, promet la clémence aux esclaves qui lui permettraient d'identifier leur chef, Spartacus - joué par Kirk Douglas. Pour éviter à ses compagnons un dilemme, Spartacus se lève, mais un esclave à sa droite, Antonin, se lève aussitôt et dit : « Je suis Spartacus !», puis un autre, à gauche de Spartacus, se lève et déclare également : «Je suis Spartacus !», et ainsi de suite. Le spectateur voit tous les esclaves rescapés debout qui protègent le chef rebelle et expriment leur solidarité en criant « Je suis Spartacus! »

L'écrivain et le révolutionnaire : Spartacus de James Leslie Mitchell
27 Décembre 2022
Dans le MOLCER n°5
Par Jean-Guillaume Lanuque

https://molcer.fr/2022/12/l-ecrivain-et ... b_pushmail

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Spartacus de James Leslie Mitchell
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Il y a près d’un siècle, Trotsky publiait Littérature et révolution, un essai critique dans lequel le révolutionnaire russe s’intéressait aux écrivains et à leur positionnement face à la révolution bolchevique. La rubrique « L’écrivain et le révolutionnaire » reprend cette démarche en l’élargissant : il s’agira en effet de se pencher sur des romans, actuels ou plus anciens, prenant pour sujet les révolutions du passé, leurs acteurs, leurs figures, afin d’appréhender l’image de la révolution dans le temps long de la culture.

Spartacus est une des figures révolutionnaires ayant suscité une postérité considérable. On pense bien sûr au groupe Spartacus de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht, mais il fut également décliné maintes et maintes fois en littérature (Howard Fast), puis au cinéma (Stanley Kubrick) et même en série télévisée. La particularité de ce nouveau roman, c’est qu’il s’agit d’une traduction d’une œuvre réputée de l’écrivain écossais James Leslie Mitchell, publiée à l’origine en 1933. Mort à l’âge de 33 ans, ayant exercé divers métiers dont celui de journaliste, James Leslie Mitchell fut un sympathisant affirmé de l’extrême gauche de son temps, ayant même pris part à l’expérience du soviet d’Aberdeen juste après la Première Guerre mondiale.

Son roman se présente d’abord comme une galerie de personnages secondaires qui attirent à eux la lumière ; tous deviendront les lieutenants de Spartacus. Il y a d’abord le Grec Kléon, esclave d’un érudit alexandrin qui lui apporté la culture, avant d’être vendu puis libéré par des pirates qu’il rallia. Mais l’éradication de ces derniers par les forces romaines fit de lui une nouvelle fois un esclave, sous la forme d’un eunuque. Il y a ensuite le Juif Gershom ben Sanballat, d’extraction noble, rigide quant à sa foi monothéiste mais d’une grande compétence militaire. Citons également Hiketas, aristocrate grec, ou Titul, Ibère voguant aux limites de la folie, renvoyant tout à l’Atlantide mythique. Tous ces personnages illustrent la dimension cosmopolite du combat de Spartacus, internationaliste pourrait-on dire avec une pointe d’anachronisme, ainsi que certaines options quant aux perspectives de la lutte des esclaves contre leurs maîtres. Kléon est ainsi un athée passionné de La République de Platon, texte qui l’inspirera lorsqu’il s’agira de rédiger la Lex Servorum pour assoir le nouvel ordre rêvé. Il serait tentant, au vu de l’époque de rédaction du roman, de voir projeté en lui une option marxiste, basée sur les textes des penseurs ayant précédé la prise du pouvoir des bolcheviques en les ayant inspiré quant à leur action. Hiketas, comparativement, incarne une veine plus libertaire, dans la mesure où, nostalgique de l’âge d’or d’antan, dont on sait toute l’importance qu’il revêtait dans la culture grecque de l’Antiquité, il appelle son retour sous l’égide des esclaves – lui-même entretenant une relation incestueuse avec sa sœur qui fait fi des conventions morales. Mais la violence contre les anciens maîtres s’impose dans tous les cas comme une nécessité. Il convient enfin de mentionner Elpinice, ancienne esclave sexuelle de Batiatus (le propriétaire du ludus d’esclave d’où provient Spartacus), devenue la maîtresse du stratège des esclaves et une conseillère privilégiée… tout au moins jusqu’à sa mort avec leur enfant nouveau-né.

L’intrigue suivie par James Leslie Mitchell débute aux lendemains de la victoire des esclaves menés par Spartacus sur les troupes du préteur Clodius Glaber, en 73 avant notre ère, et suit globalement les grandes étapes de l’épopée historique, telle que les sources antiques nous la restituent. Variation intéressante, l’avantage de l’ancien gladiateur provient ici de son expérience de chasseur en Thrace, qui lui permet d’user de tactiques différentes de celles des militaires romains. Les succès s’enchaînent alors pour les rebelles, leur assurant le contrôle du sud de l’Italie. L’affrontement entre les deux puissances prend la forme d’une métaphore, combat de la louve contre le serpent, animal arboré par Spartacus sur les bannières de ses Légions libres. Le serpent, associé dans la Bible au mal, est également capable d’empoisonner à mort un animal plus grand et plus puissant que lui. Après la mort au combat de son ami Crixus, causée par la trahison de la nouvelle maîtresse de Spartacus, Lavinia la prostituée romaine (Lavinia était également le nom de la nouvelle épouse d’Énée, légendaire aïeul de Rome), les armées serviles mettent cap au nord, afin de quitter l’Italie. Mais devant les légions romaines empêchant le passage des Alpes, Spartacus décide de prendre Rome elle-même, épaulé par les talents de poliorcète maitrisés par Hiketas. Le découragement qui gagne ses troupes devant une cible aussi démesurée l’oblige à repartir plein sud, afin de négocier un passage en Sicile auprès des pirates. Leur trahison, commandée par l’argent de Crassus (surnommé « le maigre » dans le roman), mandaté par le Sénat romain pour écraser définitivement la révolte, conduit les esclaves à être bloqués à l’extrémité de la péninsule italienne. Spartacus leur fait franchir les fortifications ennemies au prix de lourdes pertes, et caresse une nouvelle fois le désir de s’attaquer à Rome : une liberté prise par James Leslie Mitchell avec l’histoire authentique, mais qui fait écho à la possibilité jamais advenue pour la Commune de Paris de partir à l’assaut de Versailles... Néanmoins, l’ultime confrontation respecte le terrible verdict de la postérité, et si Spartacus meurt sur le champ de bataille, Kléon, lui, fait partie des innombrables crucifiés le long de la Voie Appienne.

Au-delà de la dénonciation de l’esclavage, qui passe en particulier par la description glaçante d’une ferme consacrée à l’élevage de population servile, ce Spartacus est un hymne adressé à ces hommes et ces femmes ayant osé se dresser contre le joug imposé par leurs semblables auxquels Spartacus s’identifie dans sa chair. « Lui n’était qu’une voix au service de la multitude, la Voix des sans-voix ». (p.268) Quant à la République idéale qu’ils espèrent, elle « (…) vit dans nos rêves et dans nos espoirs, et peut-être ne l’atteindrons-nous jamais », ainsi que le déclare Elpinice (p. 72). L’utopie ou la mort, en somme.

Autre élément intéressant de ce roman, le parallèle dressé entre Spartacus et Jésus : le premier partage le pain et le vin, et Kléon crucifié découvre comme ultime vision la superposition des deux hommes. C’est bien sûr le Jésus rebelle, le Jésus inspirateur de ce christianisme primitif dans lequel Engels voyait « le mouvement des opprimés » (Contributions à l’histoire du christianisme primitif). Il est à cet égard fort probable que le livre ait inspiré Arthur Koestler pour son Spartacus de 1938 (puis celui d’Howard Fast en 1951), y compris d’ailleurs dans son projet de Cité du Soleil... À ceci près que celui de James Leslie Mitchell apparaît plus optimiste, plus empathique avec ces vaincus sublimes, moins marqué par la sombre nuit du stalinisme.

James Leslie Mitchell, Spartacus, Paris, Callidor, collection « Épopée », 2022, 352 pages, 21 euros pour l’édition papier / 12,99 euros pour l’édition numérique, traduction et postface de Frédéric Collemare.


Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Gayraud de Mazars
 
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Re: "Spartacus" de James Leslie Mitchell

Message par Plestin » 10 Jan 2023, 12:35

Gayraud de Mazars a écrit :James Leslie Mitchell fut un sympathisant affirmé de l’extrême gauche de son temps, ayant même pris part à l’expérience du soviet d’Aberdeen juste après la Première Guerre mondiale.


Quelle est donc cette "expérience du soviet d'Aberdeen" (une ville d'Ecosse) ???
Plestin
 
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