Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Message par Gayraud de Mazars » 05 Avr 2023, 10:10

Salut camarades,

Cinéma. Les illusions perdues de Robert Linhart
Publié le Mercredi 5 avril 2023
Dans le journal L'Humanité
Par Marie-José Sirach

https://www.humanite.fr/culture-et-savo ... art-789480

L’ÉTABLI, DE MATHIAS GOKALP, FRANCE, 1 H 57

Après Mai 68, des militants maoïstes se font embaucher dans les usines pour tenter de former l’avant-garde éclairée prolétarienne. On les appelle les Établis.

En 1978, paraît l’Établi, de Robert Linhart, qui témoigne de son expérience lorsque, après Mai 68, alors jeune normalien, il choisit de se faire embaucher à l’usine Citroën de la porte de Choisy, comme 0S2, alors qu’un poste d’enseignant à l’université l’attend.

Comme lui, ils seront une centaine de militants maoïstes à travailler dans les usines. Une expérience indispensable, estiment-ils, pour avoir une connaissance concrète de la condition ouvrière. L’Établi raconte le quotidien du travail à la chaîne, les humiliations, les brimades, les cadences, les blessures, le racisme, la déshumanisation de ces travailleurs soumis aux injonctions productivistes du patronat, le capitalisme sans fard, ni loi.

En 2009, Mathias Gokalp avait réalisé Rien de personnel, un film sur l’univers impitoyable de l’entreprise au sein de l’encadrement. En adaptant l’Établi au cinéma, il filme, à l’instar du livre, un récit à l’os, un témoignage sans fioriture du travail à l’usine pour ce qu’il est.

Dans une chaîne de montage de 2CV reconstituée avec un soin des plus réalistes, il filme la souffrance et la peur, la déshumanisation à l’œuvre de l’ouvrier. Autour de Robert (Swann Arlaud, solaire et mystérieux dans ses silences comme dans ses maladresses) gravitent des hommes et des femmes esclaves des temps modernes, des contremaîtres, un patron faussement paternaliste qui n’hésite pas à envoyer ses nervis pour tabasser les « fauteurs de troubles » (Denis Podalydès, toujours juste), un syndicaliste (Olivier Gourmet, d’une belle humanité) et des ouvriers de la chaîne, dont Ali (formidable Malek Lamraoui), qui refusera de rejoindre les grévistes et enverra promener Robert avec un « Ferme ta gueule ! » qui le laissera sans voix.

L’étincelle ne durera que le temps d’une révolte

Tout est fidèlement reconstitué, le travail à la chaîne, le bruit assourdissant, le geste sous tension. Mais aussi le climat, la pression, la reprise en main revancharde des patrons après l’humiliation des accords de Grenelle.

Et les doutes, comme les interrogations, qui hantent nuit et jour Robert. A-t-il le droit d’être là ? En cachant sa véritable identité à ses collègues, ne se ment-il pas d’abord à lui-même ? Robert s’accroche à l’idée d’une révolution imminente. Il en parle à sa petite fille le soir comme on raconte des histoires pour s’endormir.

Mais, entre les discours théoriques avec ses camarades lors de réunions enfiévrées et la réalité, il voit bien que le compte n’y est pas. La tentative du patron de revenir sur un acquis de Mai 68 sera l’étincelle qui va déclencher la prise de conscience révolutionnaire ouvrière. Robert en est certain. Mais l’étincelle ne durera que le temps d’une révolte. La désillusion, sa désillusion, n’en sera que plus grande. Plus dure sera sa chute.

Si Mathias Gokalp filme avec justesse des histoires d’hommes et de femmes, des trajectoires intimes qui ne font pas toutes cause commune, il filme au passé une classe ouvrière du siècle dernier qu’un parfum d’intemporalité ne parvient pas à masquer.

Lorsque le livre de Linhart paraît, dix ans après Mai 68, les lecteurs ont les codes pour saisir le propos. Pas sûr que les plus jeunes spectateurs d’aujourd’hui aient toutes les clés pour le faire. 


Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Re: Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Message par Gayraud de Mazars » 07 Avr 2023, 20:30

Salut camarades,

J'étais trop jeune, mais que reste-t-il de la folle histoire des gardes rouges français ? Celle de ces maoïstes, de cette génération militante issue de Mai 1968, qui pensait supplanter le PCF dans les masses ouvrières, des expériences comme les établis, des manifs, des témoignages touchants, la mort de Pierre Overney de la Gauche Prolétarienne, la fin du gauchisme, et cette chanson qui me reste : Les nouveaux partisans !

"Nous sommes les nouveaux partisans
Francs-tireurs de la guerre de classe,
Le camp du peuple est notre camp"...


Fraternellement,
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Re: Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Message par pouchtaxi » 07 Avr 2023, 22:54

A l'occasion de la sortie du film "L'établi", on peut écouter une émission de France culture :

https://www.radiofrance.fr/francecultur ... nt-2674490

Robert Linhart, invité d'honneur, y est peu loquace. J'ai toujours trouvé que c'était une excellente façon d'éviter de dire des bêtises. Chacun jugera.

Quant au film et quoiqu'on pense de l'expérience mao des "établis" , les scènes tournant autour de la grève, sa préparation, son démarrage et les difficultés de son développement sont, à mon avis, une réussite.
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Re: Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Message par Ottokar » 08 Avr 2023, 20:02

Oui, même si on ne connaît pas l'histoire des maos on peut voir le film, comme on peut voir Germinal sans connaître Napoléon III ou la Iere Internationale. Les personnages d'ouvriers sonnent juste, les grévistes ou les trucs de boulot, le syndicaliste est très humain (alors que dans le livre, il s'agit d'une CGT obsédée par la lutte contre le gauchisme).
À voir avec plaisir
Ottokar
 
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Re: Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Message par Byrrh » 08 Avr 2023, 23:11

J'ai vu le film ce soir : j'ai été conquis, du début à la fin.

Assez bluffante, la reconstitution de la chaîne de la vieille usine de la Porte de Choisy... grâce à des 2CV louées par des collectionneurs, démontées et remontées pour le tournage !
Byrrh
 
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Re: Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Message par artza » 14 Avr 2023, 07:50

Oui un film à voir et à conseiller sans hésitation.
La condition ouvrière de l'époque est elle si différente de celle d'aujourd'hui et en quoi ?
Et les luttes, hier et aujourd'hui ?

Surtout le film doit encourager à (re)lire le bouquin , ça vaut aussi le coup.
Après ou avant de voir le film ?
J'avais quasi tout oublié du bouquin que j'ai relu avec grand plaisir après avoir vu le film. C'est mieux dans ce sens là .

Il y a bien des différences entre le film et le bouquin .
D'abord le fameux référendum qui n'a pas existé tout simplement... les trois yougoslaves qui n'étaient pas trois femmes mais trois hommes ce qui change bien des choses en mettant le film au goût du jour ...
Amusant les cigarettes blondes bout filtre fumées par les ouvriers en 68 et les gros bras du patron avec des catogans :lol:

Autre chose j'ai eu une discuss un peu vive avec deux amies au sujet de "l'honnêteté" et la dissimulation de "l'établissement" le fait que Linhardt soit taraudé par ce "problème moral" montre une seule chose, il n'était pas fait pour cette "mission".
artza
 
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Re: Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Message par Byrrh » 14 Avr 2023, 09:00

artza a écrit :Amusant les cigarettes blondes bout filtre fumées par les ouvriers en 68 et les gros bras du patron avec des catogans :lol:

C'est clair, si les cigarettes blondes avec filtre existaient déjà à l'époque, elles ne devaient être fumées que par les cadres supérieurs (et Pompidou).

Quant aux nervis du patron, ils ont plus un look de petits fachos bourgeois à la Madelin ou Devedjian...
Byrrh
 
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Re: Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Message par Cyrano » 14 Avr 2023, 15:45

Ah, non! Pas l'anglaise, ni le bout doré,
Ces tabacs-là c'est du chiqué.

Dans la belle chanson "Du gris", chantée par Berthe Sylva.
Cyrano
 
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Re: Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Message par Cyrano » 14 Avr 2023, 15:52

Il me semble que les cigarettes "Royale" étaient fumées par un copain, en 1970 - un paquet rouge.
C'était aussi montrer qu'on n'était pas qu'un simple OS.
J'ai cherché mais je ne trouve pas le prix des cigarettes dans les années 1970.
Cyrano
 
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Re: Les illusions perdues de Robert Linhart - l'établi

Message par pouchtaxi » 14 Avr 2023, 16:46

Le Monde, 30 juin 1976



Le paquet de Gauloises passera de 1,70 F à 2 F (+ 17,6%) le 1er juillet, ainsi que nous l'avions annoncé dans " le Monde " du 15 juin. À la même date, tous les tabacs vendus en France augmenteront d'environ 17 %.

La Gauloise verte passera de 1,85 F à 2 F, la Gitane de 2,20 F à 2.60 F et la Gallia de 2,50 F à 2.80 F. Les cigarettes blondes augmenteront également et, par exemple, les Winston passeront de 3,80 F à 4 F et les Craven de 3,30 F à 3,60 F. Quant aux cigares, ils augmenteront en moyenne de 17,8 %.



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