L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 21 Jan 2024, 15:34

Trotsky était un bonhomme cultivé, ça oui, et curieux. Je crois que c'est Alfred Rosmer (ou qui? help!) qui avait remarqué dans son train un livre de… Mallarmé.
Trotsky invoque souvent l'exemple de la Révolution française. Voici qu'il prononce un discours devant le bataillon de sous-officiers de manoeuvre de Petrograd, automne 1918. Il parle de la Révolution française – on comprend très bien à quel point l'exemple français fut étudié par lui.
Il y a plus de cent ans, c’était la grande Révolution française qui a brisé l’ancienne armée monarchique. Et là aussi, les officiers, dans leur majorité, ont fui du côté des ennemis du peuple français, du côté de l’Angleterre contre la Révolution française, de même que maintenant, avec les capitalistes anglais, ils mènent contre nous une lutte malhonnête. Une partie des officiers français est passée du côté de l’Allemagne et nous savons que ces officiers ont lutté contre le peuple révolutionnaire franeais. lls appelaient les travailleurs français, le peuple ouvrier, les «sans-culottes». Et ces sans-culottes ont créé une véritable Armée rouge.

Où ont-ils pris leur personnel de commandement ? Parmi les caporaux, les sous-officiers. Et Napoléon devenu par la suite empereur, quand il était encore un général révolutionnaire, disait que «chaque soldat a, dans sa giberne, son bâton de maréchal»; c’est-à-dire que, dans un pays révolutionnaire, chaque soldat énergique et solide peut et doit, à l’instant du péril, occuper n’importe quel poste de commandement.

Ces maréchaux, anciens sous-officiers, dont beaucoup ne savaient même pas signer leur nom, sont devenus de grands capitaines révolutionnaires. Non seulement ils ont chassé les Allemands et les Anglais de leur pays, mais ils ont pris la tête de l’invincible armée française dans toute l’Europe et, où qu’ils allassent, ils ont porté des coups à la domination du servage et du clergé. Cela signifie que, là, a été créée une véritable armée populaire qui a fait naitre en son propre sein un véritable, un authentique personnel de commandement.

Une note du traducteur indique qu'il n'y a aucune preuve que Napoléon ait prononcé la phrase sur le bâton de maréchal. Le grade de Maréchal avait été aboli en 1793. Ce grade sera restauré en 1804.
Et moi, je rajoute une note à la note du traducteur: il semble que ce soit Louis XVIII qui est à l'origine de la formule, en 1819, s'adressant aux élèves de l'école polytechnique.

Trotsky ne connait pas uniquement les péripéties de la Révolution française, il connait même… Tartarin de Tarasconn !
«Les français ont plus que tout poussé à l'intervention japonaise. Mais il faut être en vérité un Tartarin ignorant pour s'imaginer que le Japon aspire à un conflit armé avec l'Allemagne.»
C'est dans un article du 4 juillet 1918, paru dans la presse. Devait pas y avoir beaucoup de russes qui connaissaient ce cher Tartarin.
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 21 Jan 2024, 15:40

Ottokar a raison de souligner que beaucoup de menaces étaient des menaces de papier. Dans la réalité, ça se passait autrement.
Faut dire que les ordres du jour publiés par Trotsky sont parfois gratinés. Ça n'empêchera pas les désertions et la complicité de la population pour aider un fils de paysan voulant retourner dans sa région.
Ordre du jour du président du Conseil militaire révolutionnaire de la République aux armées et aux administrations soviétiques du front sud, le 24 novembre 1918, n°65.

[…]
Alors que sur tous les autres fronts, dans toutes les autres armées, nos troupes rouges poursuivent l’ennemi et progressent, sur le front de Voronej, il y a souvent des retraites absurdes, criminelles et une décomposition dc régiments entiers.
Je déclare qu’il faut désormais des mesures impitoyables pour mettre fin à cela.
l. Tout gredin qui incitera à la retraite, à la désertion, à la non-exécution d’un ordre sera fusillé.
2. Tout soldat de l'Armee rouge qui quittera de son propre chef‘ son poste de combat sera fusillé.
3. Tout soldat qui jettera son fusil ou qui vendra une partie de son équipement sera fusillé.
4. Dans toute la zone du front, on a établi des barrages pour la chasse aux déserteurs. Tout soldat qui tentera d’opposer une résistance à ces détachements sera fusillé sur place.
5. Tous les soldats et les comités locaux d’indigence s’engagent de leur côté à prendre toutes les mesures possibles pour la chasse aux déserteurs, en faisant des rafles deux fois par jour I à 8 heures du matin et à 8 heures du soir. Les déserteurs arrêtés doivent être conduits à l’état-major de l’unité la plus proche ou au commissariat militaire le plus proche.
6. Celui qui cachera des déserteurs sera fusillé.
7. Les maisons où l’on découvrira des déserteurs seront incendiées.
Mort aux profiteurs et aux traitres !
Mort aux déserteurs et aux agents de Krasnov !
Vive les soldats honnêtes de l’Armée rouge, ouvrière et paysanne !

La fusillade de 27 soldats, au moment de Kazan, restera célèbre et fera une réputation de sanguinaire à Trotsky - même en 1921, il sera encore pour certains celui qui soi-disant décimait les régiments par des fusillades.
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 21 Jan 2024, 20:31

Merci pour ton développement, cher Ottokar. On va sortir des Ecrits de Trotsky et le temps d'un message, se servir d'un autre bouquin. Je crois que tu apprécieras cet épisode sur Kazan – que tu dois connaître.

La prise de Kazan, par les soldats rouges puis par les blancs, puis les soldats rouges, cette bataille pour Kazan était décisive: si on abandonnait Kazan, on ouvrait aux blanc, la route pour Moscou. Ce n'était pas encore l'Armée rouge avec ses centaines de milliers de soldats, avec ses corps d'armée qui s'affrontaient contre les blancs en cette fin d'été 1918, ça pouvait être des régiments d'un millier d'hommes ou des unités de bric et de broc. On va donc faire une digression pour parler d'un moment de la guerre civile proprement dite.

On va lire juste trois pages du livre Histoire de la guerre civile russe, 1917-1922, par Jean-Jacques Marie (426 pages). Et d'ailleurs, les olympistes de la lecture peuvent ajouter aussi à leur lecture La Guerre des russes blancs 1917-1920, encore par Jean-Jacques Marie (540 pages).
Pièces jointes
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Message par Cyrano » 21 Jan 2024, 20:35

On va voir à quoi peut tenir un destin révolutionnaire et aussi les fameux 27 fusillés. C'est pages 117 à 120 dans le livre Histoire de la guerre civile russe :
La guerre civile faillir prendre deux jours plus tard à Kazan un tour brutal à la suite d’un coup de main du commando de Kappel [chef blanc de la région de Kazan]. Presque chaque soir à Sviajsk [à 20 km de Kazan, excuses: à une vingtaine de verstes..] l’état-major de la 5e armée se réunissait avec Trotsky pour discuter des plans d’opération ; or, raconte Rosengoltz [membre du Comité militaire révolutionnaire]:
[Texte Rosengoltz:]
Un soir, on vint nous annoncer que l’ennemi avait occupé la gare voisine de Tiourlem, à dix kilomètres en arrière de l’état-major. Cette nouvelle nous étonna beaucoup et nous supposâmes que c’était là l’œuvre d'un petit détachement de reconnaissance et de sabotage composé d’une poignée de soldats.

Le lendemain, nous découvrîmes que Tiourlem était tombée aux mains non d’un petit détachement mais du commando de Kappel, formé de soldats et d’officiers d’é1ite, et qui disposait même d’arti1lerie. Or notre état-major n’était défendu que par un peloton de quelques dizaines d’hommes. Si Kappel avait fait les dix kilomètres qui le séparaient de Sviajsk cette nuit-là sans trainer, i1 aurait pu s’emparer sans peine de tout 1’état-major de la 5e armée et du train de Trotsky. I1 ne le fit pas sans doute parce qu’i1 était mal renseigné sur les forces dont nous disposions.

Kappel aurait encore pu s’emparer de nous s'il avait attaqué dès le lendemain matin,mais il commit l’erreur de vouloir encercler complètement Sviajsk et, à cette fin, divisa ses forces en colonnes dirigées les unes sur la station pour 1’encercler, les autres sur la ville même, dont elles occuperont les faubourgs.
Ainsi, nos troupes et celles de Kappel passèrent péniblement la nuit côte à côte ; nos troupes ne repousserent1’ennemi que le lendemain matin.

C’est un épisode décisif de la guerre civile. Les Blancs pouvaient prendre Sviajsk, dernier obstacle sur la route de Moscou, et capturer Trotsky et son état-major, qui comprenait Ivan Smirnov, le futur chef du comité militaire révolutionnaire de Sibérie, V1adimir Smirnov, Rosengoltz et Goussev, qui dirigera les opérations de la guerre contre Wrangel en Crirnée.

Vu l'extrême faiblesse du pouvoir soviétique, alors encerclé de toute part, la capture de ces hommes, et d'abord de Trotsky, par les Blancs aurait porté un coup très dur à 1’Armée rouge et au moral vacillant de ses troupes. Rosengoltz essaie d’ai1leurs de convaincre Trotsky de s’é1oigner en lui déclarant que «1’armée de la République sombrerait s’i1 était tué ou fait prisonnier».
Ce moral est si vacillant que le lendemain un régiment entier tie 1.000 hommes, placé en face de Kappel, détale aux premiers coups de feu, s’empare d'un vapeur et s’enfuit, imité par une partie des services de 1’état-major et de 1’armée. Pour défendre la ville 1’état-major arme les réservistes, les convoyeurs, les cuistots, les secrétaires, et ce sont ces combattants improvisés qui affrontent Kappel, ignorant qu’i1 n’a devant lui qu’une troupe de bric et de broc.
[Rosengoltz, de nouveau:]
Les Blancs crurent avoir devant eux des troupes fraiches bien organisées dont leurs services de renseignements n’avaient pas prévu l'arrivée. Epuisés par un raid dc quarante-huit heures, les soldats blancs exagérèrent les forces de l’adversaire, sans se douter qu’i1s n’étaient arrêtés que par une poignée de combattants de fortune derrière lesquels i1 n’y avait rien sauf Trotsky et Slavine, penchés tous deux au-dessus d’une carte dans une pièce enfumée de 1’état-major qui suintait 1’inssomnie, au milieu de Sviajsk déserte, abandonnée ou le sifflement des balles emplissait les rues.

Cette nuit, comme les autres, le train de Trotsky resta sur les rails sans locomotive, et aucun détachement de la 5e armée, qui progressait loin en avant et se préparait à donner l'assaut à Kazan, ne fut alerté cette nuit-là. Aucun ne fut retiré du front pour protéger Sviajsk, laissée quasiment sans défense. L’armée et la flottille n’apprirent l'attaque nocturne que lorsque tout fut terminé et que les Blancs se furent enfuis, certains d’avoir devant eux une division presque entière.

Le lendemain, on jugea et fusilla 27 déserteurs qui s’étaient réfugiés sur les bateaux à la minute décisive, dont quelques communistes. Cette exécution des 27 fit couler beaucoup d’encre, surtout, bien sûr, à l'arrière, où l’on ne savait pas à quel fin cheveu tenaient la route de Moscou et l’offensive que nous avions lancée sur Kazan avec nos dernières forces. Toute l’armée murmurait que les communistes s’étaient révélés des lâches, que la loi ne s'appliquait pas à eux et qu’ils pouvaient déserter impunément alors que pour le même motif on fusillait comme un chien un simple soldat rouge.

Cet épisode servira à édifier la légende noire, in1assablernent reprise, selon laquelle Trotsky aurait aligné le régiment déserteur et l'aurait décimé a la manière romaine: chaque dixième soldat aurait été ainsi fusillé au hasard. Or c’est un tribunal militaire de campagne qui prit la décision et condamna ceux qu’il jugea coupables.
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 21 Jan 2024, 20:37

Voilà! C'était pas un détour trop long?
Ah, au fait, pour récompenser ces valeureux guerriers:
Arkady Rosengoltz sera fusillé en 1938.
Vladimir Smirnov est fusillé en 1937.
Ivan Smirnov est exécuté en 1936.

Dans quelques jours on aura peut être un p'tit extrait terminant le volume 1. Restez aux aguets, campez à côté de votre écran.
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 23 Jan 2024, 13:38

Allez, cadeau? On est à la page 404, vingt pages avant la fin des textes de Léon Trotsky dans ce volume 1. C'est le dernier texte proposé dans ce volume. Long, le rapport? bah, une vingtaine de page, c'est du vite fait, pour Trotsky.

Donc, un dernier extrait: après les bouleversements début novembre en Allemagne, les révolutionnaires russes étaient optimistes. Hélas, ce merveilleux optimisme sur la révolution européenne ne sera pas concrétisé, pas du tout – un crève-cœur.
Nous sommes le 18 novembre 1918, c'est vraiment du Trotsky dans le texte. Bien sûr, ah et patati, on peut chipoter… mais c'est jubilatoire.
Rapport lu à la séance commune du soviet des députés ouvriers, paysans ct gardes rougcs de Voronej, le 18 novembre I918.

[…]
C‘est nous, les premiers qui avons commencé la révolution, nous, la classe ouvrière russe, la classe du pays le plus déshérité. Nous étions les premiers, mais non les derniers. Nous risquions de rester seuls. Mais y avait-il d’autres issues pour nous ?
Vous savez quelles railleries avaient rencontré nos prédictions sur l'imminence de la révolution dans le monde entier, et en Allemagne en particulier. Mais les faits sont là : en fin de compte, c'est nous qui avions raison, nous, qui nous fondions sur la solide méthode matérialiste de l‘étude des destinées historiques. Méthode qui est appliquée clans n’importe quelle science, méthode d’étude stricte, froide, sévère des faits accumulés afin d’en tirer des conclusions bien déterminées servant à faire des pronostics. Et seule cette méthode froide, scientifique, qui ne s'oppose nullement au tempérament révolutionnaire le plus ardent. Seul le marxisme nous a permis de ne pas nous égarer, de bien comprendre la situation mondiale et de prédire l'imminence de la révolution prolétarienne à l‘issue de la guerre actuelle.
[…]

Et ce n’est pas un hasard, mais une sorte de volonté consciente dc l'histoire, si pour l’anniversaire de notre révolution d'Octobre, le drapeau rouge du soviet des députés ouvriers et soldats de Berlin flotte sur la capitale allemande. Nous ne pouvions ni souhaiter ni exiger dc l'histoire une plus grande satisfaction.
La révolution allemande marche, semble-t-il, à pas plus rapides que la révolution dans notre propre patrie. Mais d’un autre côté, il serait erroné d'attendre que la classe ouvrière allemands fasse un saut rapide de l'ancien légalisme au régime que nous attendons, c’est-à-dire au régime de la dictature communiste.
Jamais aucun peuple, aucuns classe n‘a pu tirer de vraies leçons des livres, des journaux, ni dc l'expérience des autres pays. …]
C’est là et ce n’est que là, dans la lutte dure, prolongés et ininterrompus que se forme la volonté du pouvoir ct la possibilité de conquérir et de conserver le pouvoir. Jamais, et nulle part, la classe ouvrière n‘a pu apprendre dans les livres ou dans les académies ses objectifs principaux et les méthodes pour les atteindre.
[…]

Lorsque la classe ouvrière russe s’est mise debout sous l’influence des coups effroyables de l'histoire, elle n’a pas dû tout recommencer. Elie avait à sa tête un parti centralisé, soudé par des liens très étroits de doctrine historique et de solidarité révolutionnaire interne, qui marchait avec elle à travers tous les obstacles et qui est maintenant au pouvoir. C’est notre parti communiste.

En Allemagne, cela n’existe pas encore, car là-bas l'énergie de la classe ouvrière a suivi pendant plusieurs décennies le cours de la légalité. Du parlementarisme. Et lorsque la classe ouvrière allemande a été jetée par les événements dans l'arène révolutionnaire, elle n‘a pas trouvé de parti révolutionnaire organisé. il n’existe pas encore aujourd’hui. […] La classe ouvrière a donc devant elle une double tâche : elle doit faire sa révolution et en même temps créer l‘arme de cette révolution, c'est-à-dire construire un véritable parti révolutionnaire. Nous ne doutons pas qu'elle vienne à bout de cette double tâche, et c‘est une garantie que la Révolution française viendra à la rencontre de la nouvelle révolution communiste.
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 23 Jan 2024, 13:44

La révolution en France? Oui, pourquoi pas, mais là, euh, le parti révolutionnaire…
Trotsky continue:
Dès maintenant, la radiotélégraphie apporte des nouvelles do grèves et de manifestations révolutionnaires extrêmement importantes à Lyon, à Paris et en d'autres endroits. Il serait du reste monstrueux que la classe ouvrière française ne s’insurge pas contre ses ennemis de classe.

Nous connaissons la classe ouvrière française par son passé. S'il existe un prolétariat possédant de vieilles traditions révolutionnaires, c'est bien celui des ouvriers de France, qui ont fait leur grande révolution de I789, la révolution de 1830, la révolution de 1848, les journées de Juin et, enfin, la Commune do Paris. Mais c‘est justement parce que la classe ouvrière française a été la première à prendre le chemin de l'action révolutionnaire qu’un certain aristocratisme politique s'est développé chez elle, comme un aristocratisme économique chez la classe ouvrière anglaise.

Le prolétariat britannique a, pendant longtemps, regarde de haut les ouvriers des autres pays : c'était des parias, ils recevaient des salaires faibles, ils étaient à moitié affamés, la soldatesque y régnait, ils ne faisaient pas do sport, eto, alors que la classe ouvrière anglaise, c'est-à-dire ses sommités qualifiées, se trouvaient dans une situation privilégiée. D‘où son attitude dédaigneuse à l'égard de la lutte révolutionnaire.
En revanche, la classe ouvrière française s'est considérée pendant très longtemps, comme l'unique force révolutionnaire en Europe, le messie, appelé à sauver tous les autres peuples. Hors des frontières do la France tout était barbarie, ignorance. En Allemagne, l'absolutisme, en Russie, le tsarisme. Même en Angleterre, il y avait le roi et les lords. En France, la classe ouvrière avait créé la république et devait arriver la première au socialisme. C'est ce que pensaient les sommités de la classe ouvrière.

A cet aristocratisme révolutionnaire est lié, chez la classe ouvrière française, le patriotisme. L'idée est la suivante : «Si le kaiser nous étrangle, la France, l'unique foyer do la lutte révolutionnaire, périra. C’est pour cola que sauver la France a n‘importe quel prix signifie sauver le socialisme.» Les sommités de la classe ouvrière française s‘accommodaient du fait qu‘en concluant une alliance avec la Russie le gouvernement français soutenait le tsarisme russe. Certes, il y avait de l'opposition. Mais les grandes masses étaient trompées, bercées, endormies par la pensée que le danger de l'absolutisme allemand était trop grand, que l’alliance avec l’Empire russe était la seule issue, sinon les «bachi-bouzouks» allemands allaient piétiner Ia France et étrangler ainsi la révolution socialiste. […]

les bachi-bouzouks… une expression ad hoc, je dirais même plus...
Excuses, oui, je reprends le fil, un peu plus loin:
Mais maintenant que la vieille Allemagne impérialiste git à terre, qu’aucun danger extérieur ne menace plus la classe ouvrière française, qu’au contraire, sa propre bourgeoisie constitue la menace la plus effroyable, la plus mortelle – il est vrai qu‘elle sc trouve au service dc la bourgeoisie anglaise ct américaine – pour les autres peuples, il n‘y a aucun doute qu‘en reponse aux conseils des députés ouvriers et soldats allemands et austro-hongrois surgiront, dans un avenir très proche, des barricades à Paris.

Et Trotsky continue avec le prolétariat italien, puis l'anglais, puis l'Amérique, le Japon. Vingt pages, j'vous dis. Ce volume 1 vaut vraiment le coup d'oeil. Et comme j'ai terminé la lecture du volume 2 et du volume 3, j'peux dire que ça vaut aussi le détour. Le volume 2 couvre l'année 2019, c'est le plus épais, évidemment, ensuite, peu à peu, ça se calmera.
Il y a un souffle, oui, pas seulement de Trotsky, mais le souffle d'un moment particulier de l'histoire.
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Ottokar » 25 Jan 2024, 15:36

Un extrait du Tome 3 que Cyrano n'a pas reproduit. La guerre se termine, le pays est par terre, rien ne se produit plus et se pose la question de la reconversion de l'armée en "armée du travail". Un Trotsky lucide sur la nature humaine

En règle générale, l'homme s'efforce d'éviter le travail. L'amour du travail n'est pas du tout une caractéristique innée : il est créé par la pression économique et l'éducation sociale. On peut même dire que l'homme est un animal plutôt paresseux. C’est sur cette qualité, essentiellement, que, dans une grande mesure, repose le progrès humain, parce que, si l’homme ne s’efforçait pas de dépenser son énergie économiquement, n’essayait pas d’obtenir la plus grande quantité possible de biens en échange d’une petite quantité d'énergie, il n'y aurait eu aucun développement de la technique ni de la culture sociale. Ainsi, de ce point de vue, la paresse humaine est une force progressiste. Le vieil Antonio Labriola, le marxiste italien, a même décrit l'homme du futur comme "un oisif heureux et génial". Cependant, il ne faut pas en déduire que le parti et les syndicats devraient, dans leur agitation, propager cette qualité en tant que devoir moral. Non et non ! Nous en avons déjà trop comme ça. La tâche de l'organisation sociale consiste précisément à placer la « paresse » dans un cadre défini, à la discipliner de manière à faire avancer l'humanité au moyen de méthodes et de mesures inventées par l'homme même.


Quatre armées sur les 15 ou 16 sont ainsi reconverties, avec un règlement draconien calqué sur le règlement militaire, les retards, coulage, etc. étant assimilés à des "désertions"... mais je doute que des sanctions aient réellement pu être appliquées. De toute façon, après discussion sur le sujet, c'est le tournant de la Nep et le retour de la grande majorité des soldats à la vie civile.
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 29 Jan 2024, 10:51

!!!
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 29 Jan 2024, 13:48

Mouaih, z'avez vu? Y'a 5 volumes d'écrits sur la guerre civile et l'Armée rouge. Cinq. Eh bin, Ottokar cite un extrait sur… la paresse… J'remarque ça, je dis rien, m'enfin, n'empêche… Voilà c'que c'est que de lire Lafargue. La paresse, c'est page 82 du volume 3, ça, j'peux le dire pasque j'avais repéré moi aussi.
Revenous à nos moutonsss…
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