Les victimes : n'importe quel client d'enseignes comme la FNAC, Darty, Orange, SFR, le groupe Casino etc., ce peut être vous et moi.
Le bénéficiaire : l'actuel groupe financier Indexia, qui a changé de nom et est plus connu sous celui qu'elle a longtemps porté, SFAM (Société Française d'Assurances Multirisques).
Indexia Group est contrôlé principalement par Sadri Fegaier qui est le fondateur de SFAM. Cet homme d'affaires basé, comme son entreprise, à Romans-sur-Isère (Drôme) est devenu milliardaire (fortune de 2 milliards d'euros environ) et 58ème fortune française selon Challenge, nous allons voir comment.
D'après sa fiche Wikipédia :
En 1999, à l'âge de 20 ans, il obtient un BTS en assurance. Il emprunte 50 000 francs pour ouvrir sa première boutique de téléphonie mobile en tant que franchisé de l'opérateur téléphonique SFR. Il crée sa société, SFAM, devenue Indexia, pour proposer dans ses boutiques franchisées un service d’assurance multi-risques pour les téléphones portables. L’arrivée de Free sur le marché de la téléphonie mobile en 2012 le pousse à céder ses boutiques pour se concentrer sur son activité d’assurance.
La croissance de la SFAM accélère à partir de 2017 suite à la mise en place d'un partenariat avec le groupe FNAC-Darty, qui lui permet de toucher un très vaste public. En gros, quand les clients achètent un téléphone ou un ordinateur, ils se voient proposer par le vendeur FNAC une offre d'assurance pour l'accompagner, avec en général les trois premiers mois gratuits et ensuite une somme modique à payer mensuellement permettant d'assurer l'appareil contre le vol ou divers dégâts. La SFAM faisait déjà ça avant mais là, le nombre des personnes potentiellement concernées augmente considérablement.
Ensuite, comme dit Wikipedia à propos de Sadri Fegaier :
Mais son argent semble provenir de pratiques douteuses.
C'est le moins que l'on puisse dire. Beaucoup de clients se voient donc prélever régulièrement des sommes de la part de cette société qui a la caution officielle de FNAC-Darty, en lien avec l'assurance souscrite. Au fil du temps, les clients finissent même par oublier quel était l'appareil qui était à l'origine de cette assurance, voire se retrouvent avec deux ou trois contrats voire davantage s'ils ont acheté d'autres appareils entre temps. Puis, pour chaque contrat ils reçoivent de la SFAM un mail informant d'une prochaine modification de l'offre machin-chose, sans trop y faire attention (ressemblant à une pub) ou, souvent, sans la voir (car atterrissant souvent dans les spams). Et ils n'y pensent plus.
Le mail en question informait en réalité d'un changement de tarif de l'assurance souscrite, et du fait qu'en l'absence de réponse sous 30 jours concernant l'accord ou le désaccord du client, ce dernier serait considéré comme consentant. C'est ainsi que, subrepticement, l'offre initiale de 16,99 euros mensuels par exemple, passe à 39,99 euros, qui sont désormais prélevés sur le compte du client chaque mois.
D'autres changements de l'offre ont lieu, qui conduisent par exemple au dédoublement du contrat en cours avec de nouvelles conditions et de nouveaux tarifs. La SFAM partage ses fichiers clients avec d'autres filiales du même groupe, Foriou, Celside etc., dont certaines entrent dans la danse à leur tour en ajoutant leurs propres offres (non déclinées donc considérées comme acceptées) à celles de la SFAM sans même forcément qu'il y ait jamais eu de contrat initial avec ces sociétés.
Le temps passant, comme la multiplication des petits pains, la multiplication des prélèvements finit bientôt par grever le compte du malheureux client, qui ne s'aperçoit pas toujours de grand-chose sinon qu'il a du mal à maintenir ses finances à niveau, car tous ces prélèvements portent des noms différents et il n'est pas évident de saisir qu'il s'agit du même groupe vampire : "Buy Back", "Buy Back Advance-SFAM", "Carte premium FORIOU", "Celside Prime", "Pack Informatique", "Pack Téléphonie", "Société Française d'Assurance" etc. quand ce n'est pas tout simplement "Contrat d'Assurance". Tous ces prélèvements peuvent voir par ailleurs leur montant augmenter considérablement selon les mêmes modalités. Bientôt, vous vous retrouvez avec des prélèvements de 49,99 euros, d'autres de 69,90 euros, d'autres de 29,99, d'autres de 52,99 etc. Et les moins méfiants se font facilement avoir, car si l'on a tendance à se poser la question sur l'origine de telle ou telle dépense ponctuelle effectuée avec une carte bleue ou un chèque et dont le libellé ne nous dit rien, un prélèvement récurrent peut sembler a priori plus sûr. Ces sociétés sont même parfois capables de procéder à un petit remboursement, renforçant l'illusion que tout correspond à des contrats souscrits avec une société honnête (à on ne sait plus quelle occasion mais, visiblement, en lien avec l'achat d'appareils - qui donc n'achète jamais de téléphone ou d'ordinateur pour soi-même ou à ses enfants ?)
Bien entendu, tout prélèvement dure tant qu'il n'est pas résilié, et l'appareil d'origine (lorsqu'il y en a un) peut bien avoir disparu depuis longtemps, que le prélèvement de l'assurance court toujours, ad vitam aeternam !
On trouve ainsi des témoignages de victimes qui ont fini par réaliser que cette galaxie de sociétés leur prélevait sur l'année des milliers d'euros par an, fractionnés en de nombreux petits prélèvements chaque mois, avec un début de l'histoire 5 ans ou 10 ans auparavant.
Il y a aussi quelques variantes dans la façon dont SFAM entre dans la vie des clients via la Fnac, comme le relate Wikipédia :
Les pratiques commerciales de la Société française d'assurances multirisques sont la cible de nombreuses plaintes depuis 2016, et exposées à des critiques qui se multiplient depuis le début des années 2010. La société est mise en cause par de nombreux consommateurs ainsi que par l'association UFC-Que choisir et son magazine Que choisir pour ses méthodes commerciales litigieuses, incluant prélèvements bancaires surprises, dissimulation d'informations au moment de la souscription des contrats en magasin ou par internet, démarchage insistant, souscriptions forcées, et résiliation compliquée.
À la Fnac, les clients se voient proposer une offre de remboursement de 30 euros, ce qui les amène à laisser leurs coordonnées bancaires, signant sans le savoir un contrat d'assurance mêlé aux documents. Celui-ci les engage alors pour un an à payer 15,99 euros par mois, les mensualités passant ensuite à 37,99 euros. Les clients ne se rendent souvent compte de la situation que plusieurs mois après, sans possibilité de résilier avant la première année d'engagement. Les offres de remboursement fidélité à échéance du contrat ne s'appliquent que sur demande du client et la SFAM se donne huit semaines pour réaliser le virement bancaire.
Les témoignages de mécontentement abondent sur les forums consuméristes. Les vendeurs d'enseignes de distribution spécialisées seraient également incités par leur hiérarchie à placer un maximum de ce type d'assurances très lucratives pour l’enseigne de distribution. Des vendeurs de la Fnac et d’autres distributeurs dénoncent la pression qu’ils subissent au quotidien pour vendre les produits d'assurance de produits multimédia de la SFAM.
Un premier scandale a ainsi éclaté et conduit à une plainte déposée le 30 août 2018 pour "pratiques commerciales trompeuses" à l'encontre de la SFAM par l'UFC-Que Choisir. Mais la plainte a coïncidé avec une démarche déjà engagée par la DGCCRF :
La Sfam fait alors l'objet d'une enquête de direction de la répression des fraudes (DGCCRF), qui qualifie les pratiques visées de « plus graves encore » que celles ayant valu à l'entreprise de distribution en ligne Amazon une amende d'un million d’euros en février 2017. Selon la répression des fraudes, le système mis en œuvre est « pensé pour être déloyal », ses agents ayant trouvé des documents internes prouvant que la Sfam cherchait délibérément à faire souscrire les clients sans leur consentement exprès.
Tout semble donc en bonne voie sauf que... L'affaire se solde par un marché entre la SFAM et la DGCCRF : en juin 2019, la SFAM accepte une amende de 10 millions d'euros et est contrainte de rembourser tous les clients sous condition que ceux-ci déposent un dossier avant le 31 août 2019. Suite à ce "deal", la plainte de l'UFC-Que Choisir est classée sans suite... Tiens donc...
Une amende minuscule donc, une petite piqûre d'épingle pour SFAM (10 millions à comparer à la fortune de 2 milliards du propriétaire...) et moins de 3 mois en période de vacances pour les clients floués pour constituer un dossier. Rien pour avertir les autres clients qui n'auraient pas réalisé à temps qu'ils étaient victimes de la supercherie. A ce tarif, la SFAM ressort grande gagnante, l'affaire lui a certainement davantage rapporté que coûté et elle a tout intérêt à recommencer.
Il faut dire qu'entre temps, le fameux Sadri Fegaier est devenu, grâce à sa fortune acquise de la façon dont on sait, le 2ème actionnaire du groupe FNAC-Darty avec 11% du capital.
Et puis, la SFAM elle-même avait vu entrer du beau linge à son capital aux côtés de Sadri Fegaier, à savoir, le fonds d'investissement français Ardian dès février 2018 (une émanation du Crédit Agricole et de la Société Générale) et la Caisse des Dépôts, institution publique, en juillet 2018 ! On est alors dans les débuts du premier quinquennat Macron...
De son côté, la SFAM a réagi comme s'il s'agissait d'un simple problème de "contrôle qualité" interne des pratiques de ses propres distributeurs, auquel elle aurait mis fin.
Pour une question d'image, le groupe FNAC-Darty, tout en ayant toujours Sadri Fegaier comme 2ème actionnaire, rompt officiellement avec la SFAM à l'été 2019. Tout du moins en apparence et uniquement en France, car en février 2022, dans une interview aux Echos, Sadri Fegaier expliquait que 40% des revenus de l'entreprise venaient désormais d'Espagne où la SFAM est partenaire de FNAC-Darty... Et comme par hasard, les plaintes de clients sur les pratiques de la SFAM se multiplient désormais, en Espagne et au Portugal ; la Belgique a aussi réagi vivement suite à l'implantation dans ce pays d'une autre entreprise du groupe, avec ses mêmes pratiques, au point de modifier la règle concernant la souscription de ce type d'assurance (ce que la France n'a pas fait).
De son côté, Sadri Fegaier a créé une nouvelle société, Hubside.Store, avec un réseau de magasins vendant des téléphones neufs ou reconditionnés, en France, Belgique, Espagne, Portugal et désormais en Italie et en Allemagne.
L'affaire était théoriquement close. Mais les clients de la "première fournée" de 2019 n'étaient sans doute que la partie émergée de l'iceberg. Bien d'autres clients ont réalisé dans les mois qui ont suivi qu'ils étaient victimes de ces pratiques, soit qu'ils l'étaient déjà avant, soit qu'ils l'étaient depuis peu, postérieurement au marché passé avec la DGCCRF. En tout cas, les pratiques de la SFAM continuent. Et il y a désormais des victimes de Hubside.Store !
C'est ainsi que dès le 24 septembre 2020, la DGCCRF perquisitionne les locaux de la SFAM à Romans ainsi que ses bureaux à Paris. Et en février 2022, un groupe de victimes lance une nouvelle action en justice tandis que l'UFC-Que Choisir se porte partie civile.
Cette plainte est elle-même en cours d'instruction et en l'attente d'un jugement (qui vient d'être repoussé à 2023) et regroupe des victimes qui se sont manifestées jusqu'en avril 2022. Mais, depuis, d'autres clients continuent de se découvrir victimes de ces arnaques (c'est toujours le cas début 2023) et risquent de devoir attendre un 3ème round ! Certains font état de la perte de 8.000 euros, 10.000 euros, 11.000 euros... avec parfois une forte accélération récente des prélèvements tant en nombre qu'en montant (ex. : 150 euros fractionnés à travers 5 prélèvements à noms différents en décembre 2020 / 1.068 euros à travers 20 prélèvements en décembre 2022).
Voilà donc l'affaire. Mais face à celle-ci, quelle est l'attitude de la presse ?
Eh bien, cela dépend et, en particulier, la presse patronale a commis de nombreux articles élogieux voire admiratifs sur Sadri Fegaier, un modèle de réussite, depuis qu'il est devenu 58ème fortune de France en 2022 selon Challenges. Dans Le Point du 22 décembre 2022 : "Sadri Fegaier, l'ascension fulgurante d'un entrepreneur engagé et passionné". Dans Entreprendre du 30 juin 2022 : "Sadri Fegaier : la success-story d'Indexia, groupe engagé et novateur". Forbes le 28 juillet 2022 : "Zoom sur Sadri Fegaier, fondateur d'Indexia Group et entrepreneur à succès" et à nouveau le 26 décembre 2022, "Sadri Fegaier, la success-story à la française". LSA 2 janvier 2023 : "Sadri Fegaier, conçoit des services en faveur du pouvoir d'achat des consommateurs" (il est précisé que l'article est un "Publi-Rédactionnel", au "Contenu proposé par Indexia" !). Le JDD du 10 janvier 2023 : "Sadri Fegaier, un modèle managérial fondé sur l'humain" ("article sponsorisé", mais on s'en serait douté). Technique-Investissement-Finance.com du 15 août 2022 : "Sadri Fegaier : un parcours exceptionnel". L'Express du 12 décembre 2022 : "Sadri Fegaier, la formidable ascension d'un entrepreneur engagé". Le Nouvel Economiste du 4 janvier 2023 : "Sadri Fegaier, un entrepreneur qui agit pour le développement des territoires", etc. Les Echos avaient fait une interview le 11 février 2022 : "Sadri Fegaier : "Nous sommes prêts à saisir les opportunités si elles se présentent"", où le journaliste avait timidement osé poser en fin d'interview la question suivante : "La DGCCRF vous a mis à l'amende pour pratiques commerciales trompeuses en 2019. Qu'avez-vous changé ?", ce à quoi le milliardaire a répondu : "Nous continuons de renforcer notre contrôle qualité. Mais cela fait partie des aléas des grands groupes".
L'escroc est donc un modèle absolu de réussite pour la presse patronale de ce pays.
Il y a néanmoins eu quelques articles critiques, dont celui de Paris Match du 30 juin 2022 : "Sadri Fegaier : génie ou escroc ?", l'article ne laissant aucun doute sur le fait qu'il s'agit des deux (un génie de l'escroquerie) et le journaliste avouant à la fin qu'il fait lui-même partie des victimes.
Il semble que le cas Sadri Fegaier sera toutefois traité dans l'émission Envoyé Spécial de ce jeudi 19 janvier 2023, sous le titre "Les secrets du plus jeune milliardaire de France".