par Ratus » 05 Jan 2005, 22:54
En voici un qui présente Illusio:<br><br>ILLUSIO<br>L'Illusio n’est pas seulement une duperie, c’est, dialectiquement, l’irréalité dans la<br>réalité, le méconnu, le délaissé, le non vu, mais dans sa négativité déterminée elle<br>est l’irréel advenu. Illusio n’est donc pas fantasmatique, elle est la réalité à son<br>tour. C’est cette conscience de la forme dialectique des événements, des<br>phénomènes et faits sociaux, de la réalité travaillée par l’idéologie que la revue<br>Illusio veut faire partager.<br>Illusio participe, par l’intermédiaire des personnes qui collaborent à sa<br>constitution, de désirs — à la fois singuliers et collectifs — de contribuer à<br>l’enrichissement de débats intellectuels et scientifiques, à l’enrichissement d’une<br>critique radicale déterminée — seule critique véritable possible, qui constituent la<br>raison d’être des recherches en sciences sociales —, de désirs de révéler la racine<br>de la négativité des phénomènes sociaux.<br>Illusio se veut, d’emblée, force tant anti-institutionnelle que contreinstitutionnelle[<br>1]. Ceux-là même qui la constituent ne sauraient faire, ainsi,<br>l’économie d’une épistémologie en acte, laquelle, comme nous l’enseigne<br>Georges Devereux[2] notamment, est nécessaire dans l’analyse des aspects<br>transférentiels et contre-transférentiels, sachant pertinemment combien les<br>histoires, les désirs, les implications, les engagements, les postures déterminent<br>les choix des membres de l’institution. D’où l’importance de re-connaître les<br>références et influences théoriques, les postures de recherche, les finalités<br>poursuivies qui sont au fondement de la démarche créatrice d’Illusio. Les travaux<br>réunis au sein de la revue s’inscrivent ainsi dans la lignée de l’Analyse<br>institutionnelle généralisée, de l’ethnopsychanalyse, de l’ethnométhodologie et de<br>la Théorie critique de l’école de Francfort. Cela, en s’appuyant sur le précepte<br>fondamental de la théorie dialectique[3], à savoir que la connaissance de la réalité<br>factuelle, l’exploration heuristique des conditions empiriques de sa propre<br>existence (le moment de la particularité du concept), reste à l’état latent tant<br>qu’elle n’est pas éprouvée dans sa relation à l’ensemble des faits sociaux totaux,<br>qui seule permet de dépasser la positivité instituée (le moment de l’universalité)<br>pour arriver à sa signification concrète réelle (le moment de la singularité).<br>De ce fait, Illusio entend participer :<br>1) À l’analyse, l’altération voire la destruction des normes telles qu’elles sont<br>instituées, c’est-à-dire à la négativité généralisée de l’ordre normatif. Normes<br>portées par « les institutions qui nous enserrent et nous constituent »[4] et sont<br>l’émanation et la concrétisation de l’ordre, des discours, des représentations<br>dominants, donc des classes dominantes[5], et qui se tiennent au service de la<br>reproduction des rapports de production établis. Ces normes et idéologies<br>dominantes se nichent dans les mots et contribuent à la réification du langage —<br>et c’est aussi là qu’il faut les dénicher — en déconstruisant les discours figés,<br>pré-formés, les significations pré-établies, les chemins pré-tracés de la pensée<br>qui en interdisent toujours l’accès, la possibilité ;<br>2) à la révélation de tous les partis pris scientifiques, des métadiscours<br>idéologiques, des postures de recherche et des implications des chercheurs. Nous<br>mettrons ainsi au jour les facteurs d’esthétisation, de dissimulation, de conflits et<br>de luttes des véritables rapports de pouvoir et de domination qui déterminent la<br>réalité de la production scientifique[6] et contribuent à renforcer l’ostracisation de<br>l’intelligence politique et de la conscience critique ;<br>3) à l’abolition des secrets bureaucratiques, des « boîtes noires »[7], en ce qu’ils<br>constituent autant d’espaces de parole et de lieux de décisions auxquels n’ont<br>jamais accès, ni théoriquement, ni pratiquement, la plupart des personnes<br>impliquées dans et par ces institutions ;<br>4) à la dénonciation des rapports d’autorité institués — des hiérarchies<br>fonctionnelles, structurelles et « naturelles », explicites et implicites, acceptées —,<br>construits dans des réseaux d’ententes croisées, des rapports d’intérêts mutuels,<br>collectifs et singuliers, ainsi qu’à la contestation des fondements de leur<br>légitimité ;<br>5) à la lutte permanente et à l’acceptation nécessaire du conflit au sein des<br>institutions ainsi que « des équilibres harmonieux »[8] dont l’harmonie s’inscrit<br>dans l’esthétique du mensonge et l’artifice du pouvoir qui écrasent les possibilités<br>de résistance des plus faibles et des plus démunis, tant théoriquement —<br>relativement à leurs capacités d’appréhender la complexité de la réalité de leur<br>condition —, que pratiquement, relativement aux possibilités d’imaginer des<br>moyens de luttes efficaces ;<br>6) à la construction des cadres d’intelligibilité nécessaires à la réflexion critique<br>sur les institutions qui traversent et déterminent le corps, en tant que ce dernier<br>est un analyseur/révélateur privilégié de la totalité des rapports institutionnels et<br>sociétaux, idéologiques, politiques et économiques.<br>Illusio se déclare ainsi volontaire et désireuse de faire reculer les évidences, les<br>équations positivistes, simplistes et scientistes, y compris et surtout dans les<br>milieux scientifiques qui régissent la pensée et le comportement de « ceux qui<br>pensent et qui commandent, des dirigeants et de ceux qui possèdent le<br>savoir »[9] contre ceux qui ne possèdent rien et qui se présentent comme les<br>premières victimes de l’injustice sociale instituée. De ce fait, Illusio doit devenir<br>une revue de combat, une machine de guerre tout comme la sociologie peut être<br>un sport de combat.<br>Convaincue que le travail scientifique sur la corporéité, dans le domaine des<br>sciences sociales, est avant tout une praxis qui suppose l’intervention d’une<br>subjectivité critique, d’une analyse transversale et pluridisciplinaire, Illusio se<br>donne comme axe praxéologique l’analyse systématique et systémique des<br>déterminismes institutionnels qui régissent les rapports des individus à leur<br>propre corps et au corps des autres, à leur être-là au monde. Analyse<br>nécessairement multi-dimensionnelle, multiréférentielle, transdisciplinaire,<br>complexe, tant les idéologies, les systèmes de références philosophiques,<br>anthropologiques, sociologiques, historiques, économiques, politiques,<br>s’enchevêtrent dans la sociogenèse des institutions, dans les multiples facettes du<br>concept, entre polysémie, équivoque et problématique [10].<br>D’aucuns ne manqueront de souligner la virulence des propos et la radicalité des<br>positions déployées. Nous répondrons avec René Lourau à ceux qui s’en<br>trouveraient choqués, que l’Analyse institutionnelle généralisée, la Théorie<br>critique, l’ethnométhodologie, l’ethnopsychanalyse considèrent comme une<br>nécessité de faire violence à « l’institution de la violence »[11] en usant de ces<br>armes (conceptuelles) de la critique, construites autour d’une stratégie complexe<br>de dénonciation/explicitation posant les prédicats sensibles à la praxis<br>révolutionnaire, seule capable de contrecarrer les velléités fascisantes<br>d’institutions dominantes qui enserrent, encadrent, surveillent, contrôlent et<br>constituent les pensées anémiées.<br>Nous avons décidé de consacrer ce premier numéro à l’analyse critique d’une<br>institution olympique, gardienne du temple, pourvoyeuse du mythe et véhicule<br>historique de l’idéologie sportive, probablement l’une des plus puissantes de<br>notre époque. Détruire les fausses identifications, entre antiquité et modernité<br>industrielle, c’est-à-dire entre Jeux antiques et Jeux modernes, déconstruire les<br>normes et les représentations instituées et notamment la normalisation sportive<br>des corps, anéantir les fausses séparations entre sport de gauche et sport de<br>droite, amateurisme et professionnalisme, sport spectacle et sport de masse,<br>dénoncer les secrets bureaucratiques de l’institution olympique, les malversations<br>financières, les escroqueries, les alliances économiques et politiques les plus<br>douteuses, remettre en cause les hiérarchies sportives, olympiques, et ce qui<br>fonde leur légitimité, dont la croyance irrationnelle en l’idée que l’infini progrès<br>humain puisse émaner du progrès sportif, de la concurrence exacerbée et de la<br>recherche perpétuelle du dépassement des limites et de la production de<br>performances, oeuvrer pour que les « meutes »[12] se saisissent enfin des<br>institutions sportives qui les constituent pour les détruire, tel est l’objet de ce<br>numéro, à l’heure où le monde entier s’apprête de nouveau à vivre au rythme des<br>Jeux olympiques, à s’abreuver d’idéologie sportive et de ses images d’Épinal,<br>relayées et amplifiées par les multinationales de la technologie et de<br>l’information. En oubliant, bien sûr, le tout de cette réalité spectaculaire, le tout<br>que dissimule cette esthétique de masse, cette religion du XXe siècle, cet opium.<br>Illusio<br>[1] Voir sur ce sujet Jean-Marie Brohm, Le Corps analyseur. Essais de sociologie critique, Paris,<br>Anthropos/Économica, 2001.<br>[2] Georges Devereux, De l’Angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris,<br>Flammarion, 1980.<br>[3] Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La Dialectique de la raison. Fragments<br>philosophiques, Paris, Gallimard, 1974.<br>[4] René Lourau, L’Analyseur Lip, Paris, Union Générale d’Éditions, 1974, p. 12.<br>[5] Karl Marx, Friedrich Engels, L’Idéologie allemande, Messidor/Éditions sociales, 1982<br>[6] Voir sur ce sujet Patrick Vassort, « Pour une épistémologie de la sociologie du sport », in Patrick<br>Vassort (Sous la direction de), Les IrrAIductibles, n° 4, (« Sociologie politique de l’institution<br>sportive »), Université de Paris VIII Saint Denis, à paraître.<br>[7] René Lourau, L’Analyseur Lip, op. cit, p. 12.<br>[8] Ibidem, p. 13.<br>[9] Ibid., p. 13.<br>[10] René Lourau, L’Analyse institutionnelle, Paris, Les Éditions de Minuit, 1970, pp. 141-144.<br>[11] René Lourau, L’Analyseur Lip, op. cit., p. 12.<br>[12] Jean-Marie Brohm, Les Meutes sportives. Critique de la domination, Paris, L’Harmattan, 1993.