
Pas mal l'éphéméride d'aujourd'hui, pas mal l'essai de Lafargue sur Hugo qui nous rappelle que ce type a d'abord été un fieffé réactionnaire... mais c'est un peu trop simple. Victor Hugo, contrairement à ce qu'affirmais Lafargue, a évolué politiquement au cours de sa vie, en particulier après que Blanqui l'eut poussé à descendre dans les caves de Lille pour qu'il voit de lui même dans quelles conditions travaillaient les ouvriers, souvent des femmes et des enfants dans des conditions qu'on a du mal à s'imaginer. A ce sujet, "Joyeuse vie (les caves de Lille)" dans Les Chatiments :
Il fut aussi un opposant résolu à la peine de mort et il a laissé certains des plus beaux textes abolitionistes. Voici par exemple un extrait de son intervention lors d'un procès que son fils dû subir pour avoir "manqué de respect à la loi", en fait pour avoir écrit un article qui relatait une execution mouvementée :
Après l'écrasement de la commune, il fait savoir qu'il offre l'asile sous son toit à Bruxelles aux proscrits. Le résultat ne tarde pas : il est lui-même expulsé de Belgique ! et c'est au Luxembourg qu'il rédige "L'Année Terrible", dont voici un extrait :
Par la suite, il ne cessa en tant que député de réclamer l'amnistie des communards. On peut voir ici le brouillon d'un de ses discours à ce sujet. L'attitude de Hugo au sujet de la commune n'est certes pas celle d'un révolutionnaire, c'est celle d'un humaniste qui n'admet pas la brutalité de la répression. Mais elle est à opposer à celle des autres écrivains français comme Gustave Flaubert, George Sand ou Jules Verne qui ont écrit des horreurs à ce sujet.
a écrit :Millions ! millions ! châteaux ! liste civile !
Un jour je descendis dans les caves de Lille
Je vis ce morne enfer.
Des fantômes sont là sous terre dans des chambres,
Blêmes, courbés, ployés ; le rachis tord leurs membres
Dans son poignet de fer.
Sous ces voûtes on souffre, et l'air semble un toxique
L'aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique
L'eau coule à longs ruisseaux ;
Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente,
Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante
S'infiltrer dans ses os.
Jamais de feu ; la pluie inonde la lucarne ;
L'oeil en ces souterrains où le malheur s'acharne
Sur vous, ô travailleurs,
Près du rouet qui tourne et du fil qu'on dévide,
Voit des larves errer dans la lueur livide
Du soupirail en pleurs.
Misère ! l'homme songe en regardant la femme.
Le père, autour de lui sentant l'angoisse infâme
Etreindre la vertu,
Voit sa fille rentrer sinistre sous la porte,
Et n'ose, l'oeil fixé sur le pain qu'elle apporte,
Lui dire : D'où viens-tu ?
Là dort le désespoir sur son haillon sordide ;
Là, l'avril de la vie, ailleurs tiède et splendide,
Ressemble au sombre hiver ;
La vierge, rose au jour, dans l'ombre est violette ;
Là, rampent dans l'horreur la maigreur du squelette,
La nudité du ver ;
Là frissonnent, plus bas que les égouts des rues,
Familles de la vie et du jour disparues,
Des groupes grelottants ;
Là, quand j'entrai, farouche, aux méduses pareille,
Une petite fille à figure vieille
Me dit : J'ai dix-huit ans !
Là, n'ayant pas de lit, la mère malheureuse
Met ses petits enfants dans un trou qu'elle creuse,
Tremblants comme l'oiseau ;
Hélas ! ces innocents aux regards de colombe
Trouvent en arrivant sur la terre une tombe
En place d'un berceau !
Caves de Lille ! ou meurt sous vos plafonds de pierre !
J'ai vu, vu de ces yeux pleurant sous ma paupière,
Râler l'aïeul flétri,
La fille aux yeux hagards de ses cheveux vêtue,
Et l'enfant spectre au sein de la mère statue !
Ô Dante Alighieri !
C'est de ces douleurs-là que sortent vos richesses,
Princes ! ces dénûments nourrissent vos largesses,
Ô vainqueurs ! conquérants !
Votre budget ruisselle et suinte à larges gouttes
Des murs de ces caveaux, des pierres de ces voûtes,
Du coeur de ces mourants.
Sous ce rouage affreux qu'on nomme tyrannie,
Sous cette vis que meut le fisc, hideux génie,
De l'aube jusqu'au soir,
Sans trêve, nuit et jour, dans le siècle où nous sommes
Ainsi que des raisins on écrase des hommes,
Et l'or sort du pressoir.
C'est de cette détresse et de ces agonies,
De cette ombre, où jamais, dans les âmes ternies,
Espoir, tu ne vibras,
C'est de ces bouges noirs pleins d'angoisses amères,
C'est de ce sombre amas de pères et de mères
Qui se tordent les bras,
Oui, c'est de ce monceau d'indigences terribles
Que les lourds millions, étincelants, horribles,
Semant l'or en chemin,
Rampant vers les palais et les apothéoses,
Sortent, monstres joyeux et couronnés de roses,
Et teints de sang humain !
Il fut aussi un opposant résolu à la peine de mort et il a laissé certains des plus beaux textes abolitionistes. Voici par exemple un extrait de son intervention lors d'un procès que son fils dû subir pour avoir "manqué de respect à la loi", en fait pour avoir écrit un article qui relatait une execution mouvementée :
a écrit :Quoi ! un homme, un condamné, un misérable homme, est traîné un matin sur une de nos places publiques ; là, il trouve l’échafaud. Il se révolte, il se débat, il refuse de mourir. Il est tout jeune encore, il a vingt-neuf ans à peine... – Mon Dieu ! je sais bien qu’on va me dire C’est un assassin ! Mais écoutez !... – Deux exécuteurs le saisissent, il a les mains liées, les pieds liés, il repousse les deux exécuteurs. Une lutte affreuse s’engage. Le condamné embarrasse ses pieds garrottés dans l’échelle patibulaire, il se sert de l’échafaud contre l’échafaud. La lutte se prolonge, l’horreur parcourt la foule. Les exécuteurs, la sueur et la honte au front, pâles, haletants, terrifiés, désespérés, – désespérés de je ne sais quel horrible désespoir, – courbés sous cette réprobation publique qui devrait se borner à condamner la peine de mort et qui a tort d’écraser l’instrument passif, le bourreau (mouvement), les exécuteurs font des efforts sauvages. Il faut que force reste à la loi, c’est la maxime. L’homme se cramponne à l’échafaud et demande grâce. Ses vêtements sont arrachés, ses épaules nues sont en sang ; il résiste toujours. Enfin, après trois quarts d’heure, trois quarts d’heure !... (Mouvement. M. l’avocat général fait un signe de dénégation. M. Victor Hugo reprend.) – On nous chicane sur les minutes : trente-cinq minutes, si vous voulez ! – de cet effort monstrueux, de ce spectacle sans nom, de cette agonie, agonie pour tout le monde, entendez-vous bien ? agonie pour le peuple qui est là autant que pour le condamné, après ce siècle d’angoisse, messieurs les jurés, on ramène le misérable à la prison. Le peuple respire. Le peuple, qui a des préjugés de vieille humanité, et qui est clément parce qu’il se sent souverain, le peuple croit l’homme épargné. Point. La guillotine est vaincue, mais elle reste debout. Elle reste debout tout le jour, au milieu d’une population consternée. Et, le soir, on prend un renfort de bourreaux, on garrotte l’homme de telle sorte qu’il ne soit plus qu’une chose inerte, et, à la nuit tombante, on le rapporte sur la place publique, pleurant, hurlant, hagard ; tout ensanglanté, demandant la vie, appelant Dieu, appelant son père et sa mère, car devant la mort cet homme était redevenu un enfant. (Sensation.) On le hisse sur l’échafaud, et sa tête tombe ! – Et alors un frémissement sort de toutes les consciences. Jamais le meurtre légal n’avait apparu avec plus de cynisme et d’abomination. Chacun se sent, pour ainsi dire, solidaire de cette chose lugubre qui vient de s’accomplir, chacun sent au fond de soi ce qu’on éprouverait si l’on voyait en pleine France, en plein soleil, la civilisation insultée par la barbarie. C’est dans ce moment-là qu’un cri échappe à la poitrine d’un jeune homme, à ses entrailles, à son coeur, à son âme, un cri de pitié, un cri d’angoisse, un cri d’horreur, un cri d’humanité ; et ce cri, vous le puniriez ! Et, en présence des épouvantables faits que je viens de remettre sous vos yeux, vous diriez à la guillotine : Tu as raison ! et vous, diriez à la pitié, à la sainte pitié : Tu as tort !
Cela n’est pas possible, messieurs les jurés. (Frémissement d’émotion dans l’auditoire.)
Après l'écrasement de la commune, il fait savoir qu'il offre l'asile sous son toit à Bruxelles aux proscrits. Le résultat ne tarde pas : il est lui-même expulsé de Belgique ! et c'est au Luxembourg qu'il rédige "L'Année Terrible", dont voici un extrait :
a écrit :Sur une barricade, au milieu des pavés
Souillés d'un sang coupable et d'un sang pur lavés,
Un enfant de douze ans est pris avec des hommes.
– Es-tu de ceux-là, toi ? – L'enfant dit : Nous en sommes.
– C'est bon, dit l'officier, on va te fusiller.
Attends ton tour. – L'enfant voit des éclairs briller,
Et tous ses compagnons tomber sous la muraille.
Il dit à l'officier : Permettez-vous que j'aille
Rapporter cette montre à ma mère chez nous ?
– Tu veux t'enfuir ? – Je vais revenir. – Ces voyous
Ont peur ! Où loges-tu ? – Là, près de la fontaine.
Et je vais revenir, monsieur le capitaine.
– Va-t'en, drôle ! – L'enfant s'en va. – Piège grossier !
Et les soldats riaient avec leur officier,
Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle ;
Mais le rire cessa, car soudain l'enfant pâle,
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint s'adosser au mur et leur dit : Me voilà.
La mort stupide eut honte, et l'officier fit grâce.
Enfant, je ne sais point, dans l'ouragan qui passe
Et confond tout, le bien, le mal, héros, bandits,
Ce qui dans ce combat te poussait, mais je dis
Que ton âme ignorante est une âme sublime.
Bon et brave, tu fais, dans le fond de l'abîme,
Deux pas, l'un vers ta mère et l'autre vers la mort ;
L'enfant a la candeur et l'homme a le remords,
Et tu ne réponds point de ce qu'on te fit faire ;
Mais l'enfant est superbe et vaillant qui préfère
À la fuite, à la vie, à l'aube, aux jours permis,
Au printemps, le mur sombre où sont morts ses amis.
La gloire au front te baise, ô toi si jeune encore !
Doux ami, dans la Grèce antique, Stésichore
T'eût chargé de défendre une porte d'Argos ;
Cinégyre t'eût dit : Nous sommes deux égaux !
Et tu serais admis au rang des purs éphèbes
Par Tyrtée à Messène et par Eschyle à Thèbes.
On graverait ton nom sur des disques d'airain ;
Et tu serais de ceux qui, sous le ciel serein,
S'ils passent près du puits ombragé par le saule,
Font que la jeune fille ayant sur son épaule
L'urne où s'abreuveront les buffles haletants,
Pensive, se retourne et regarde longtemps.
Par la suite, il ne cessa en tant que député de réclamer l'amnistie des communards. On peut voir ici le brouillon d'un de ses discours à ce sujet. L'attitude de Hugo au sujet de la commune n'est certes pas celle d'un révolutionnaire, c'est celle d'un humaniste qui n'admet pas la brutalité de la répression. Mais elle est à opposer à celle des autres écrivains français comme Gustave Flaubert, George Sand ou Jules Verne qui ont écrit des horreurs à ce sujet.