Cyrano a écrit :«A l'échelle de l'humanité …» on peut pas grand-chose, n'est-ce pas ? Je ne vois pas, on peut juste attendre en priant. C'est paralysant. Et c'est noyer le poisson.
Mais là, chez nous, bien au chaud, on peut avoir quelques avis et même plus ?
A l'échelle de l'humanité, on ne pourrait alors avoir aucun avis sur la vaccination obligatoire des enfants ? Pourquoi être favorable à la vaccination d'enfants dans les pays riches?
Pourtant, je crois que LO n'a jamais soutenu une quelconque opposition à la vaccination? Il y a dans le journal, un article de 2017 avec pour titre: "L’opposition à la vaccination : une campagne obscurantiste". Y'avait pas encore la justification anti-Macron.
Quand je lis que le vaccin «c'est juste "plutôt un progrès", et encore : c'est avant tout une manne pour les laboratoires fabricants de vaccins» je me dis: mais il se passe quoi, là? La copine qui m'apporte le journal en est à dire que le vaccin ne sert à rien, qu'il faut que l'humanité entière soit vaccinée. C'est quoi ces bêtises? Je remarque que Combat Ouvrier, dans son dernier numéro, a publié un article expliquant le pourquoi et le comment des vaccins contre le Covid.
Je ne vois pas trop pourquoi on ne pourrait pas se poser le problème du vaccin à l'échelle de l'humanité alors que c'est ce que l'OMS fait tous les jours avec ce vaccin comme avec d'autres... avec ses limites bien sûr (son budget, consacré à tous types de problèmes de santé dans le monde entier, c'est à peu près ce que l'Etat français a lâché l'an dernier pour soutenir les entreprises du secteur culturel pendant la pandémie). En ce moment, l'OMS s'oppose d'ailleurs en paroles (elle n'a aucun pouvoir réel) aux grandes puissances qui la financent, au sujet de la 3ème dose des pays riches alors qu'une bonne partie de l'humanité n'a même pas reçu la première.
Question : le plus grand progrès c'est la première dose dans le monde entier ou la 3ème dans les pays riches ? Dans les deux cas c'est exactement le même vaccin, mais pas le même progrès. Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut pas de 3ème dose, ni que le vaccin n'est pas un progrès, c'est juste une question de sens des priorités et de mise en situation. S'il y avait assez de doses pour tout le monde, la question, on ne se la poserait même pas ; pourquoi donc n'y a-t-il pas assez de doses pour tout le monde ? Aujourd'hui, les capacités de production sont pourtant bien supérieures à celles d'il y a 6 mois...
Mais jusqu'à preuve du contraire l'industrie a opté pour un modèle, celui qui consiste à ne pas tenter d'éradiquer la maladie en fournissant à bas coût des vaccins au monde entier, mais à devenir éternellement fournisseurs de vaccins de rappel coûteux dans les pays riches. Bref, les industriels torpillent l'immense progrès qu'est leur propre vaccin et transforment un outil d'éradication d'une maladie, en vache à lait pour leurs profits. Ce faisant, ils contribuent à pérenniser la maladie.
Cela ne concerne pas que la pandémie de Covid-19 : c'est tout simplement le modèle économique prévu par les grands labos pour tous les vaccins futurs, contre toutes les maladies nouvelles ou pas. Et c'est un désastre même par rapport à ce qui pouvait se faire jusqu'à présent dans le cadre d'institutions comme l'OMS et qui ne pourra continuer à se faire que si quelques capitalistes indiens ou chinois sont d'accord pour se contenter des miettes qui n'intéressent plus les grands labos européens ou américains, et pour continuer à fournir les pays pauvres en vaccins contre la tuberculose, la diphtérie, le tétanos ou autre, à la place des pays riches qui les fabriquent de moins en moins.
Nous sommes encore dans une période charnière, sur la lancée de celle où dans le cadre du système capitaliste l'éradication de maladies restait une chose possible, comme cela a fonctionné pour la variole et comme cela a presque réussi pour la polio (qui ne subsiste plus que dans des zones en guerre en Afghanistan et au Pakistan, où les vaccinateurs risqueraient leur vie, mais qui reste du coup une menace tant qu'on n'en aura pas terminé). Pour la polio, il a fallu utiliser massivement le vaccin oral à virus vivant atténué, un outil formidable car efficace et bon marché, qui a permis un véritable effondrement du nombre de malades dans le monde, mais qui n'a pas permis l'éradication complète de la maladie (le virus vivant atténué étant dans de rares cas susceptible de retrouver sa virulence, notamment chez les immunodéprimés). Pour peaufiner le travail quand les malades sont devenus beaucoup, beaucoup moins nombreux, il a fallu passer au vaccin polio injectable, à base de virus inactivé, beaucoup plus cher et par définition moins facile à administrer qu'un vaccin oral dans les campagnes reculées sans infrastructures d'un pays pauvre.
Question : l'immense progrès, c'est le vaccin oral ou le vaccin injectable ? Là c'est facile de répondre : sans le vaccin oral malgré ses imperfections, l'injectable aurait coûté trop cher pour le budget de l'OMS, n'aurait jamais été utilisé à aussi grande échelle et on ne se serait jamais trouvés aussi près d'éradiquer la maladie, alors même que seul l'injectable le permettait. Du coup, on aurait aujourd'hui beaucoup plus de polio dans le monde. Donc, le plus grand progrès c'est celui qui semble le moins bon des deux vaccins.
Avec les vaccins diphtérie-tétanos-coqueluche et hépatite B, les taux de couverture vaccinale ont atteint 85% dans le monde grâce aux campagnes de l'OMS. Avec le vaccin Haemophilus influenzae type B, plus cher, la couverture n'est déjà plus que de 72%.
La couverture vaccinale était très mauvaise en Afrique contre la méningite A. Il existait pourtant des vaccins ciblant plusieurs types de méningite (A, C, W135, Y) mais onéreux et donc peu accessibles aux pays pauvres, même via l'OMS. Heureusement que l'on n'a pas eu besoin d'attendre que les grands labos occidentaux trouvent une solution. Celle-ci est venue d'un grand laboratoire (privé) indien, le Serum Institute of India (SSI) qui a développé en partenariat avec l'OMS (= grâce aux quelques sous de l'OMS qui, pour lui, n'étaient pas quantité négligeable contrairement aux labos occidentaux) un vaccin spécifique contre la méningite A : cela aurait pu passer pour une régression face à un vaccin luttant contre quatre formes de méningite, mais c'est tout le contraire qui s'est produit. Comme l'écrit l'OMS :
La méningite A est une infection souvent mortelle et qui laisse des séquelles permanentes graves chez une personne sur cinq. Avant l’introduction du MenAfriVac en 2010, vaccin révolutionnaire mis au point en collaboration avec le Serum Institute of India dans le cadre du projet de vaccins contre la méningite dirigé par l’OMS et le programme PATH, la méningite à méningocoques du sérogroupe A était à l’origine de 80 à 85 % des épidémies dans la ceinture africaine de la méningite. En 2012, le MenAfriVac est devenu le premier vaccin dont l’utilisation hors chaîne du froid a été autorisée lors des campagnes de vaccination, car il peut se conserver quatre jours sans réfrigération, à des températures pouvant atteindre 40° C. Fin 2019, le MenAfriVac avait été administré lors de campagnes à près de 350 millions de personnes vivant dans 24 des 26 pays de la ceinture de la méningite. Désireux de pérenniser les effets spectaculaires de ces campagnes, le Ghana et le Soudan ont été les deux premiers pays à intégrer le MenAfriVac dans leur calendrier de vaccination systématique en 2016, suivis du Burkina Faso, du Mali, du Niger, de la République centrafricaine et du Tchad en 2017, de la Côte d’Ivoire en 2018, et de la Gambie et du Nigéria en 2019.
J'ai parlé de période charnière et c'est pour cela : désormais, pour tenter d'éradiquer une maladie dans le monde, il ne faudra plus beaucoup compter sur l'appui des vaccins de Sanofi, Pfizer, Merck, GSK ou Novartis, seulement peut-être sur celui des quelques entreprises comme SSI capables de faire du développement à bas coût (jusqu'à ce que, ayant pris de l'ampleur, ces entreprises aient des ambitions de rentabilité bien plus grandes que ce qu'un programme de l'OMS pourra leur offrir, et s'en détournent). Sanofi et Cie continueront à créer des vaccins nouveaux, très chers, destinés aux pays riches et représentant un certain progrès (cela dépendra de la maladie, du contexte sanitaire et du mode d'utilisation du vaccin), voire un grand progrès dans les pays en question (et on y sera favorables), mais plus à l'échelle de l'humanité. C'est ce phénomène auquel on assiste aujourd'hui, et dont les péripéties du vaccin contre la Covid-19 ne sont que l'un des révélateurs.
Depuis l'échec de Sanofi contre la dengue il y a quelques années, quasiment tous les vaccins en cours de développement dans les "pipelines de R&D" de ces laboratoires visent désormais ce type de marché. Il y aura des vaccins grippe améliorés, des vaccins contre l'herpès, contre le virus respiratoire syncytial responsable de bronchiolites pour les nourrissons des pays riches, contre la fièvre jaune amélioré pour les voyageurs des pays riches mais pas pour les populations dans lesquelles la fièvre jaune est endémique, contre les infections nosocomiales des pays riches etc., presque tous très chers.
Quand on dit que le capitalisme est la cause de nombreux maux, des fois, certains sont sceptiques : comment, on ne pourrait plus aujourd'hui faire ce qu'on est parvenus à faire hier ? Nous étions pourtant bien déjà en système capitaliste ? Mais le capitalisme, peut-être qu'on ne l'explique pas assez, c'est aussi un processus, et ce qui était possible dans un passé (parfois idéalisé) peut ne plus l'être aujourd'hui.
C'est donc en ce sens que je relativise le progrès représenté par le vaccin. Le vaccin est en lui-même un vrai progrès mais les défauts du système à son point de sénilité actuel en atténuent fortement la portée. Et cela n'est pas seulement vrai que pour la pandémie de Covid-19.
Évidemment, qu'il faut se faire vacciner si ce n'est déjà fait. Je n'ai jamais soutenu le contraire. Je reviendrai plus tard sur les questions liées au pass sanitaire, aux manifestations etc. qui nécessitent d'autres développements, mais je crois qu'il faut d'abord bien être conscient du niveau de dégradation de la société capitaliste qui conduit à torpiller plus que jamais certaines des meilleures découvertes scientifiques, et qui forme la toile de fond de tout le reste.