Le PCF aura un nouveau Congrès suite aux séquences électorales... Et cela s'annonce compliqué !
L’ancien candidat à la présidentielle a semblé hésiter vis-à-vis de la main tendue d’Emmanuel Macron pour participer au gouvernement. Sa ligne est mise en question, alors que le conseil national du parti se réunit ce week-end pour tirer le bilan des élections.
D’une ritournelle faire une cacophonie. Le 21 juin, Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste (PCF), récemment réélu député dans le Nord, pensait cultiver sa petite différence à gauche. Mais cette fois-ci, le pas de côté a viré à l’incartade. Interrogé au micro de LCI, l’ancien candidat du PCF, éliminé avec 2,28 % des suffrages exprimés au premier tour de l’élection présidentielle le 10 avril, rapporte son entretien avec Emmanuel Macron après le second tour des législatives.
Le président de la République a évoqué la formation d’un gouvernement d’union nationale. L’expression a, semble-t-il, fait vibrer une corde sensible chez l’élu nordiste : « On a déjà participé à un gouvernement d’union nationale en 1945 avec le général de Gaulle. Ce n’est pas quelque chose qui nous choque. Mais tout dépend du projet, il faut un projet high level. Si c’est un haut niveau, on est prêts à y participer, mais il faut y travailler », déclare-t-il.
Rapidement, l’extrait se répand comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Des responsables de gauche, courroucés, s’étonnent de son manque de fermeté. Dans les heures et les jours qui suivent, Fabien Roussel souffle le chaud et le froid, affirmant tantôt qu’une entrée au gouvernement n’est « pas d’actualité », tantôt que les communistes seraient « prêts à participer si c’est pour investir fortement dans le travail, avec un projet de très haut niveau ». L’ancien candidat à la présidentielle, par ailleurs sous le coup d’une enquête du Parquet national financier sur des soupçons d’emploi fictif, a-t-il voulu jouer les bons élèves ?
Quoi qu’il en soit, une partie des militant·es communistes ne s’y reconnaissent plus. Et les alliés de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), qui font leurs premiers pas mal assurés à l’Assemblée, en ont parfois perdu l’équilibre. Un député communiste croisé la semaine dernière dans les couloirs du Palais-Bourbon confiait ainsi que plusieurs de ses homologues de la Nupes lui avaient demandé quand Fabien Roussel serait « débranché ».
L’orthodoxie n’est plus comprise
Même Marie-Hélène Bourlard, militante communiste dans le Nord, d’habitude fidèle à la ligne du parti, prend cette fois-ci prudemment ses distances : « J’étais en colère : on ne va quand même pas aller au gouvernement, ça va pas la tête ! Nous, les militants, on n’est pas d’accord », explique-t-elle par téléphone le 27 juin, alors qu’elle tracte, comme souvent, pour remercier les électeurs et les électrices qui ont voté Nupes dans la 12e circonscription du Nord (où le Rassemblement national a gagné). « Il a rectifié, heureusement, car je crois que les militants l’auraient attrapé de manière virulente », précise-t-elle.
Comme pour clore l’épisode, André Chassaigne, président du groupe communiste à l’Assemblée et alter ego politique de Fabien Roussel (il est l’auteur du « manifeste » qui a fait tomber la direction de Pierre Laurent en 2018, propulsant l’actuel secrétaire national), a tenté de dissiper le malentendu le 27 juin dans L’Humanité : « Pour les communistes, il n’est pas question d’une participation gouvernementale. »
Joint par Mediapart, le porte-parole du PCF Ian Brossat estime que la polémique n’avait pas lieu d’être : « Roussel n’a jamais envisagé sérieusement de participer au gouvernement. Il faut être d’une mauvaise foi absolue pour comprendre ça. »
De même, pour l’ancien porte-parole de Fabien Roussel, Guillaume Roubaud-Quashie, tout est affaire d’orthodoxie communiste : « Fabien est très sensible au Conseil national de la résistance et il est du Nord, comme Maurice Thorez, il ne voulait donc pas dire “non” tout court à propos d’un gouvernement d’union nationale, car il aurait eu l’impression de désavouer les réflexions stratégiques du PCF, qui ont permis d’avoir le statut de la fonction publique. Mais il aurait fallu une révolution copernicienne de Macron pour qu’une participation au gouvernement soit possible. »
« La barque reste chargée à droite. Mais ce n’était pas impossible que, compte tenu du rapport des forces politiques à l’Assemblée, les choses évoluent », assume aussi Alain Pagano, membre du conseil national du PCF. Le sujet de la formulation malheureuse de Fabien Roussel a été timidement abordé en réunion de l’exécutif national lundi 27 juin. Mais nulle autocritique n’a pointé à l’horizon.
L’exégèse de la pensée rousselliste ne convainc cependant pas tout le monde. En interne, comme dans le cadre unitaire de la gauche et des écologistes, force est de constater que Fabien Roussel est devenu l’objet d’un malaise grandissant. Outre qu’il a tenu une ligne de concurrence virulente face à l’Union populaire de Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne présidentielle – en déclarant par exemple que « ça fait longtemps que le PS ne parle plus qu’aux bobos des villes et Mélenchon à la fraction radicalisée des quartiers périphériques » –, son pari politique n’a pas porté ses fruits.
« Il y a eu une idéalisation de la candidature communiste, quitte à bousiller la dynamique de Mélenchon », résume amèrement Léa Perotin, qui se présente comme secrétaire fédérale des Jeunesses communistes du Val-de-Marne (en rupture avec la ligne majoritaire du Mouvement des jeunes communistes). Quatre ans après le 38e congrès du PCF, qui avait hissé la ligne identitaire à la tête du parti, celle-ci a du plomb dans l’aile.
L’orientation du 38e congrès en question
L’idée de redonner des couleurs au parti après deux présidentielles où il s’était éclipsé derrière Jean-Luc Mélenchon avait initialement de quoi séduire. Mais le score décevant du leader communiste, l’échappée belle de Mélenchon – qui a manqué de peu la marche du second tour – et le coup de force de la Nupes ont brutalement changé la donne.
« Ce qui se passe avec la Nupes est l’inverse de ce qu’il essaye de construire depuis le dernier congrès : un rassemblement autour d’un PCF qui reviendrait aux sources de son inspiration politique. Je comprends donc qu’il ne soit pas à l’aise, mais la grandeur d’un dirigeant, c’est de saisir le moment politique. Il faut qu’il comprenne qu’on n’est pas en 2018 », tance un dirigeant national du parti sous couvert d’anonymat.
« Le sujet plus large, c’est qu’il ne faut laisser aucune prise à l’idée que la Nupes se fracturerait. Je ne vois pas pourquoi il faudrait jeter l’alliance qui a permis de doubler le nombre de députés de gauche à l’Assemblée », alerte aussi Antoine Guerreiro, membre du conseil national du PCF.
Mais la politique de la chaise vide choisie par Fabien Roussel depuis que la Nupes a été mise sur pied ne rend pas les partisan·es d’une actualisation de la ligne optimistes. Lors de la convention nationale du 7 mai, avant les législatives, le secrétaire national s’était éclipsé en prétextant un « mariage ».
Il s’est ensuite fait remplacer – tantôt par Ian Brossat, tantôt par le coordinateur de l’exécutif national, Igor Zamichiei – à tous les événements nationaux de la Nupes. Et, même si le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR, qui rassemble communistes et élu·es d’outre-mer) a changé symboliquement de nom pour s’appeler « GDR-Nupes », le fait qu’André Chassaigne – figure incontestable du PCF, et sceptique sur la Nupes – en soit de nouveau le président n’est pas un gage de rupture.
Elsa Faucillon, la députée communiste la plus en phase avec l’union de la gauche et des écologistes, est bien devenue déléguée à l’intergroupe de la Nupes, mais au sein du groupe de la GDR et a fortiori de l’appareil communiste, elle est isolée. Lorsque Jean-Luc Mélenchon avait lancé de manière non concertée l’idée d’un « groupe unique » de la Nupes à l’Assemblée nationale pour faire face à l’opposition du groupe Rassemblement national (RN), elle avait été seule à plaider pour.
Lundi 20 juin, lors de l’exécutif national du PCF, cette question a été soulevée mais vite balayée par Fabien Roussel. Signe que le parti, qui n’a jamais eu de tendances internes, cornaque les velléités d’ouverture. Pour Guillaume Roubaud-Quashie, cette attitude est un héritage du Front de gauche : « Dans le Front de gauche, on était ensemble, mais comme on faisait attention à tout ce qu’on disait, on semblait être d’accord sur tout, à tous égards. Ce qu’on souhaite, c’est un accord dynamique, c’est une polyphonie partielle. » La domination du groupe insoumis dans la Nupes n’est pas non plus pour rien dans cette frilosité.
L’implication timorée du PCF dans l’accord de la Nupes a eu des effets concrets dans le résultat obtenu aux législatives. Contrairement aux écologistes, qui passent de zéro à 23 député·es, et aux socialistes, qui passent de 28 à 31), les communistes ne gagnent qu’un seul député par rapport à 2017 (avec les élu·es d’outre-mer, le groupe GDR passe toutefois de 16 à 22 membres, dont 12 strictement communistes).
Un conseil national à fort enjeu
Cette orientation sera débattue lors d’un conseil national (parlement du parti) le week-end des 2 et 3 juillet. Celui-ci, qui devra faire le bilan critique de la séquence électorale, s’annonce passionné, si ce n’est houleux. Frank Mouly, membre du conseil national du PCF, annonce la couleur : « La présidentielle est derrière nous. On vit un épisode nouveau, une union que personne n’attendait. Il est assez paradoxal, alors que l’union est dans l’ADN du PCF, de continuer à passer plus de temps à se distinguer qu’à créer des passerelles à gauche. J’y vois une poursuite de la stratégie de distinction qui est en décalage avec ce qui se construit à la base. Cela interroge des camarades. »
Sarah Misslin, responsable de la section PCF d’Ivry (Val-de-Marne) et membre de l’exécutif national, fait partie de ces communistes qui s’interrogent. L’échappée en solitaire de Fabien Roussel la préoccupe : « C’est à l’image de sa campagne. C’est difficile d’être candidat, je n’en doute pas, mais il s’est un peu isolé d’une partie des camarades, en représentant à lui seul la ligne du parti. Il y a une espèce d’individualisme qui se dégage, c’est ce qui met des communistes en colère. »
Certains d’entre eux fourbissent leurs armes avant le prochain congrès, qui aura lieu en 2023. Les anciens tenants du texte « Pour un printemps communiste », unitaires, qui n’avaient obtenu que 12 % des voix au congrès de 2018, espèrent tirer profit de la situation nouvelle. Certains ont d’ores et déjà signé un texte, « Pour un printemps de la gauche et de l’écologie », dans l’entre-deux-tours des législatives. Celui-ci se fixait comme objectif la pérennisation de la Nupes, « condition de futures victoires contre la droite et l’extrême droite ».
« Il y a un fort mécontentement, mais les communistes restent paralysés par leur légalisme à l’égard des directions et des votes majoritaires. Ils n’ont comme seule perspective que de renverser Roussel mais n’ont aucune figure qui représente une alternative à lui », avance l’ancien dirigeant de l’exécutif national du PCF (jusqu’en 2016) Francis Parny, désormais membre de la coordination de La France insoumise.
Certain·es évoquent le nom de Pierre Laurent comme candidat à la succession. L'ancien secrétaire national, désormais président du conseil national du PCF, a mouillé la chemise pour soutenir des candidats de la Nupes. « Pierre Laurent a été beaucoup plus clair dans ses prises de parole et ses critiques sur l’orientation politique ces dernières semaines », salue aussi un cadre du parti. L’hypothèse laisse cependant un observateur circonspect : « Les unitaires sont devenus groupusculaires en interne. C’est sans espoir. »