artza a écrit :Hé oui combien de maternités, de lits d'hosto , de bureaux de poste, de gares, d'écoles rurales fermées...
Justement, dans mon coin, on a droit à une demande de placement en redressement judiciaire pour l'hôpital local appelé "Hôpital des Portes du Sud" ou encore "Hôpital Feyzin-Vénissieux".
C'est un hôpital privé un peu particulier, issu de la fusion en 2008 de deux cliniques, une mutualiste (la clinique de la Roseraie) et une privée (la polyclinique des Minguettes), mais c'est le seul qui se trouve à proximité d'une grande partie de Vénissieux, Saint-Fons et Feyzin et il se situe juste à côté des Minguettes. Ainsi, en cas d'urgence ou autres, une bonne partie de la population la plus pauvre va voir en priorité cet hôpital-là.
L'hôpital "privé à but non lucratif" pratique le mélange des genres, suivant le médecin sur lequel on tombe (et en fonction de sa clinique d'origine) il pourra, ou pas, y avoir des dépassements d'honoraires. Les plus pauvres se retrouvent ainsi régulièrement avec des dépassements d'honoraires qu'ils ont le plus grand mal à payer, et qui, au bout de quelque temps, sont réclamés par huissier.
C'est un hôpital propre et récent (créé en 2008 au moment de la fusion), de qualité médiocre mais enfin, cela dépend des services. Il fait l'affaire pour des choses telles que des entorses, mais les habitants se donnent le mot, si c'est plutôt grave il vaut mieux aller ailleurs. Régulièrement des problèmes sont relatés par les gens du coin. Nous y avons été nous-mêmes confrontés : une fois, la fille de ma compagne était enceinte et elle souffrait de douleurs abdominales terribles. Arrivée aux urgences, après rapide auscultation et simple interrogatoire, il lui a été dit : "
mademoiselle, vous faites une fausse couche, retournez chez vous, ça partira tout seul dans les toilettes" ! Revenue à la maison, elle souffrait toujours. Elle était pâle comme un linge, la douleur était abominable. Elle y est retournée. Elle a été refoulée : "
vous êtes déjà venue ! On vous a dit de rester chez vous !" Son copain a fini par l'emmener à l'hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, aux Urgences gynécologiques. Ils l'ont accueillie, heureusement : elle faisait une grossesse extra-utérine, une hémorragie avait commencé et ils l'ont prise en charge immédiatement. "
Si vous aviez attendu une heure de plus, vous ne seriez plus là" !
Cet épisode lui a fait perdre une trompe. Elle est allée porter plainte contre le premier hôpital au commissariat de police, pour non-assistance à personne en danger. La plainte a dû disparaître dans les marécages administratifs, nous n'en avons plus jamais eu de nouvelles. Ce qui ne nous a pas surpris (ici, les gens sont habitués à ce que leurs plaintes n'aboutissent à rien, sans préjuger de la cause).
Avec la faillite de l'hôpital (il n'est pas fermé, une procédure est en cours et il sera peut-être repris, mais d'ores et déjà le service d'urgence est fermé la nuit depuis le mois de mars), la population locale est tout de même catastrophée. Sans parler du personnel, environ 520 personnes, en comptant l'EHPAD La Solidage qui se trouve à côté.
Ici, un article de la feuille municipale de Vénissieux qui donne des précisions sur la fragilité du modèle économique de l'hôpital privé d'une part et sur ce qui l'a achevé d'autre part (le coût de l'énergie par exemple... avec une facture passée de 540.000 euros à 5 millions d'euros).
https://www.expressions-venissieux.fr/2 ... ment-88221Voilà. A Saint-Fons, ville en croissance (passée en quelques années de 15.000 à 19.000 habitants), le bureau de poste a été restructuré et n'a plus de facteurs, ceux-ci sont basés à Lyon. Tous les samedis matin, des gens déboussolés viennent à 9h retirer des lettres ou colis pour lesquels ils ont reçu un avis de passage dans leur boîte, et on leur répond qu'il faut repasser après 10h car leurs paquets sont à Lyon et les facteurs de Lyon ne les amènent pas avant.
L'un des principaux organismes de HLM locaux a fermé son antenne dans la ville, les locataires de Saint-Fons doivent désormais se déplacer à Vénissieux.
Il y a eu beaucoup d'emplois supprimés dans les entreprises des environs, par exemple Bosch, Carbone Savoie, Renault Trucks... Saint-Fons est devenue la deuxième ville la plus pauvre de la Métropole de Lyon après Vaulx-en-Velin (et devant Vénissieux), c'est-à-dire, la deuxième aussi de toute la région Auvergne-Rhône-Alpes.
La débrouille est devenue la règle pour beaucoup et l'économie souterraine est omniprésente. Pas seulement pour la drogue, mais aussi pour les cigarettes et toutes sortes d'autres choses, l'un des sports favoris étant la revente non déclarée avec une marge, de produits en promotion dans les supermarchés. Bien avant le confinement, il y eut d'épiques batailles de clients chez LIDL pour mettre la main sur des quantités d'huile ou de Nutella à chaque opération de promotion, une fois la Préfecture a même dû faire intervenir la police pour filtrer les entrées puis a carrément interdit à LIDL de vendre de l'huile. Des mamans dans les cités confectionnent et vendent de gros gâteaux décorés pour se faire un petit complément de revenus, en comptant sur le bouche-à-bouche ou internet. Les habitants des pavillons qui ont une petite piscine se mettent à la louer, trois fois dans la journée. De plus en plus de gens élèvent des poules, mais du fait de la pollution aux perfluorés à cause de l'usine chimique de Pierre-Bénite il est interdit de les consommer, ainsi que leurs oeufs (mais je doute que l'interdiction soit respectée ou même simplement connue). L'épicerie solidaire permet à des gens presque sans le sou de se nourrir, mais parfois ils comptent les centimes et doivent choisir entre la bouteille d'huile ou la bouteille de lait (et rien d'autre). On s'habitue aux mortiers d'artifice, il y en a quasiment tous les soirs pendant les beaux jours et cela dure des mois. On s'habitue aux odeurs de la chimie ou de la raffinerie ou des deux stations d'épuration, au bruit des alarmes qui se déclenchent toutes les nuits dans des locaux d'activité déserts, à une voiture qui brûle de temps en temps (pas si souvent que ça, en temps normal).
Pourtant on ne peut pas dire qu'il n'y a rien de fait pour les jeunes, il y a vraiment beaucoup de choses, aussi bien assurées par la mairie de Vénissieux que par celle de Saint-Fons, avec de plus un tissu associatif bien fourni et solide. Mais ça ne change rien à la réalité de l'absence de perspectives autres qu'un petit boulot mal payé et mal considéré de temps en temps.
Voici un petit aperçu de la vie par chez nous, qui doit ressembler à celle de bien d'autres quartiers populaires du pays, j'imagine.