François Maspéro...

[Byrrh]

Sur pas mal de livres anciens de ma bibliothèque - des ouvrages édités dans les années 1960 et 1970 -, j'ai déjà remarqué de petits tampons à l'encre violette : les lettres "JL" dans un cercle. Comme il ne s'agit que d'ouvrages pouvant intéresser des militants d'extrême gauche, j'en suis venu rapidement à penser que ce tampon se rapportait à la librairie La Joie de Lire.

Grâce à Google Books, j'ai pu extraire ce message d'un bouquin que je ne lirai sans doute pas (LSD 67 d'Alexandre Mathis, paru en 2013), mais qui confirme cette hypothèse :

La Joie de Lire instaurera un code secret pour repérer les livres volés. Un coup de tampon plus petit que l'ongle du petit doigt inscrivant dans un cercle JL sera apposé après la dernière page sur l'intérieur de la couverture de chaque livre. Quand le livre aura été payé, le même tampon sera apposé à côté avec une couleur différente. Un seul tampon signifiera que le livre a été volé. Ceci n'aura pas vraiment d'impact.

Ce qui est dingue, c'est que sur tous mes livres concernés, il n'y a toujours qu'un seul tampon !

Volés ? Ou alors les vendeurs de la librairie ont vite trouvé ce système trop fastidieux ?...

[com_71]

Il y avait pas mal de coulage... et un - au moins - lieu de revente (Fac de Vincennes).

[Byrrh]

Un témoignage assez amusant, trouvé dans ce document intitulé « L'apport des Editions Maspero au mouvement associatif bruxellois » (janvier 2015) : https://ep.cfsasbl.be/IMG/pdf/contribut ... debat3.pdf

Degée, Jean-Luc
Formateur dans diverses associations d’éducation permanente liégeoises (notamment à Peuple et Culture W-B et à l’Université populaire de Liège), membre du Conseil Supérieur de l’Education Permanente

L’arrache-livre

J’avais 14 ans en 1968 : la petite radio transistor qui m’avait été offerte ouvrait mes oreilles au monde ; en me remémorant l’époque, je peux encore percevoir les bruits des barricades véhiculées sur les ondes.

Un peu plus tard, je fais mes premières expériences de mobilisation en impulsant une grève des lycéens en sciences humaines de Liège 1 pour s’opposer à la suppression du cours d’actualité.

Je rédige un court compte rendu de cette action et l’envoie à différents hebdomadaires que j’ai repérés au présentoir de la librairie Bellens : Combat, La Gauche, Le Drapeau Rouge, Clarté, L’Exploité, La Voix du Peuple... autant de titres qui me semblaient alors refléter la révolution en marche.

L’hebdomadaire du Parti Communiste Wallon accepte de publier l’article en brève de La Voix du Peuple et me propose de rencontrer deux responsables politiques à la gare des Guillemins.
Dès la première rencontre, ils me confient une première tâche : faire partie d’un trio de vendeurs de journaux, porte à porte dans une cité d’Ougrée : nous ferions de la sorte nos premières armes de « pionniers ».

J’y fais la connaissance d’un jeune de la Maison Heureuse de Bressoux, tenté comme moi par l’engagement ; nous sommes demandeur d’une formation politique.

Après plusieurs mois et quelques dizaines de journaux écoulés, souvent par sympathie pour notre dévouement sans pour cela adhérer au programme « grippiste », on nous propose de participer à une première rencontre d’étude autour d’un livre qui, nous dit-on, a formé toute une génération de communistes dans le monde.

Nous nous retrouvons donc avec deux adultes d’une quarantaine d’année dans une salle du Parc de Cointe occupée par un groupe de pionniers, plus jeunes que nous et pris en charge par Roger Faufra qui aura une certaine renommée comme peintre paysagiste.

Deux petits bouquins sont offerts à chacun d’entre nous : nous découvrons la « Petite collection Maspero », déclinée en bleu et vert sous le titre ABC du communisme.

Alors que nous commençons à nous familiariser à eux, les soupeser, les retourner, les feuilleter et en découvrir le sommaire en couverture, l’un des adultes nous prévient : le livre est une réédition d’un ouvrage écrit en 1919, on peut oublier le nom de ses auteurs, Boukharine et Préobrajenski, qui sont avérés être « des espions trotskystes ».

Pendant ce temps, l’autre adulte arrache, proprement certes mais aussi définitivement, les 25 premières pages de l’introduction rédigées par un historien qualifié de contre-révolutionnaire.

Les livres qu’on nous avait fournis subissent le même sort, puis l’objet ainsi mutilé nous est rendu : on nous invite à lire le premier chapitre du texte ainsi assaini pour la prochaine séance. Nous comprenons que nous venons d’avoir notre première leçon d’orthodoxie stalinienne.

Ce sera pour ma part la seule : sur le chemin du retour je m’arrête à la librairie Romain Roland pour y racheter les deux volumes de la « Petite collection Maspero » et je plonge avidement dans la préface interdite de Pierre Broué :

« La soumission à un dogme, l’obéissance passive, l’état d’esprit quasi religieux d’adoration au moins extérieure des dirigeants, d’imitation servile de modèles intangibles, tous ces traits étaient radicalement étrangers à l’esprit (...) de Boukharine et Préobrajenski »... mais parfaitement adaptés à nos maoïstes wallons...

A contrario, le livre que Maspero a eu l’heureuse initiative de republier avec une introduction en situant le contexte, témoigne de la démarche critique et créative de l’éducation populaire.

Les Editions Maspero resteront pour moi la découverte et la joie de lire le monde pour imaginer le changer.

« Grippiste » : du nom de Jacques Grippa, un stalinien belge qui fut pro-Pékin pendant un certain temps.
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Jacques_Grippa

[Gayraud de Mazars]

Salut camarades,

Déjà en mars 1960, l'économiste du PCF, Jean Baby, critiquait violemment la déstalinisation dans Critique de base édition Maspero, il est exclu immédiatement !

Jacques Grippa eut une réelle importance pour le mouvement Maoïste occidental, car il créa dès le 11 septembre 1963 à Bruxelles, le numéro 1 de La Voix du peuple. D'ailleurs le 22 novembre 1963, est créé le premier parti prochinois d'Europe, le Parti communiste de Belgique...

Simple hasard, ou ironie de l'Histoire ?

Le Maoïsme français n'est pas né dans une banlieue ouvrière ou dans un village de paysans, mais tout simplement au 40 rue François 1er (Paris 8ème), tout près de l'Avenue Georges V et du très chic restaurant le Fouquet's ! Une adresse pour le moins bourgeoise... Voilà arrivé Jacques Vergès et sa luxueuse revue Révolution !

Fraternellement,
GdM

[artza]

Maspéro fit de la belle et bonne ouvrage, utile.

De temps à autre quelques étrons comme ce "Du trotskysme" d'un certain Kostas Mavrachis qui vient de passer l'arme à gauche je crois.

[Byrrh]

Denise Avenas et Alain Brossat, dans De l'antitrotskysme (éd. François Maspero, coll. Cahiers libres, 1971), lui avaient consacré un chapitre intitulé « Les Charybde et Scylla du stalinisme : Leo Figuères et son acolyte maoïste, Kostas Mavrakis ».

Depuis, Mavrakis était passé du stalinisme à l'extrême droite. Il est effectivement mort il y a quelques jours.

J'avais lu que Maspero n'était pas très fier d'avoir édité un certain nombre de sottises maoïstes (Jean Daubier, Charles Bettelheim, etc.).