(canardos @ mercredi 4 juin 2008 à 07:32 a écrit :désolé,Marchauciel, mais cette décision de justice, en assimilant la virginité à une qualité essentielle de la femme dont la dissimulation entrainerait ipsofacto une annulation du mariage, cree une jurisprudence fondée sur un critere totalement réactionnaire et sexiste, une jurisprudence qui si elle est confirmée se retournera forcement contre les femmes.
Pas (plus) convaincu par ça. Rien ne dit que c'est cela l'interprétation à donner à la décision du juge. Je dirais presque que c'est tout le tintouin autour de la décision qui lui donne ce sens (ce qui avait été ma première réaction aussi). Le juge ne dit pas ici que la virginité est une condition essentielle du mariage, il ne grave pas ça dans le marbre, il dit que dans ce cas précis ça l'était pour l'un des conjoints et qu'il a été abusé, et il défait le mariage avec l'accord des deux parties prenantes et leur évite un divorce couteux (j'ai connu ça, même avec consentement mutuel absolu sans enfants et tout tout, ça coûte bonbon et ça fait enrager de devoir dépenser du fric pour des conneries pareilles).
Je dis pas que tout est simple dans cette décision, qu'il n'y pas des risques (comme celui de voir plein de filles muslumanes courrir se faire recoudre l'hymen), mais je trouve qu'on l'a beaucoup trop chargée et qu'on y projette trop de trucs par rapports à sa portée réelle.
Sur l'agument "la fille est OK avec la rupture du mariage, mais l'est elle vraiment ?", je me méfie un peu : ça me rappelle les travers de la position abolitionniste sur la question de la prositution, qui nie systématiquement la parole des prostituées et prétend savoir mieux q'elles ce qu'elles pensent en réalité au fond d'elle même. Un juge n'est pas là pour faire de la psychanalyse (ouf !), il se prononce à partir des éléments précis et affichés qu'il a dans un cas précis.
Maintenant, je constate que cette décision soulève de fait un débat sur le statut du mariage, et c'est parfois assez intéressant. Je copie ci dessous une tribune "de gauche à consonnance antilibérales" parue dans l'Huma, dont je ne partage pas le point de vue et qui me semble être le piège dans lequel il ne faut pas se laisser enfermer :
- le discours antiprivatisation est ici hors sujet, et je trouve qu'il est toujours plus sain que l'Etat se mêle le moins possible de si et comment les gens baisent.
- sa conclusion est éloquente : "Nous sommes des défenseurs laïques de l’institution du mariage face à ceux qui veulent se la réapproprier : les religieux les plus rétrogrades." En l'occurence, ce qu'il faut critiquer ici (et non la défendre), c'est l'institution du mariage elle-même, dont l'auteur de l'article rappelle ici la perspective un peu archéo : "le mariage consacre un lien d’amour. Enfin, la perspective du mariage est de créer une famille et donc de s’engager à élever ensemble les enfants nés de l’union". C'est bien parce que l'Etat s'occuppe de définir une partie des termes du contrat (l'"amour", "céer une famille" etc, je me demande même si la fidélité n'est pas encore inscrite dans cette définition du mariage...) que l'on se retrouve à devoir "juger" à tout bout de champ. Ce qui est progressite, c'est la logique du Pacs : des gens choisissent de vivre ensemble pour des raisons qui ne regardent qu'eux et selon des modalités qu'ils définissent, l'Etat se contente de reconnaitre cette existence pour la partie "succession" et éventuellement "parentalité" (ou pour les mutations dans l'Education Nationale...)
Le député UMP qui, tire comme conclusion de l'affaire qu'il faut réformer l'article 180 (celui utilisé pour procéder à l'annulation) pour en écarter "les moeurs" me semble faire un petit pas dans la bonne direction....
a écrit :
Tribune de Ollivier Joulin, vice-président du TGI de Bordeaux
Une lecture dévoyée du Code civil
La tendance actuelle est à la privatisation. Notre régalienne justice ne fait pas exception à ce mouvement : il faut « dépénaliser le droit des affaires », « déjudiciariser le règlement des litiges entre particuliers ». Il a même été envisagé de confier les divorces aux notaires. C’est dans ce contexte que l’on apprend qu’un juge lillois a entériné l’accord des deux époux qui visait à faire prononcer l’annulation de leur mariage « pour erreur dans la personne ou sur les qualités essentielles de la personne » : l’épouse qui s’affirmait vierge ne l’était pas, le mari qui avait pris soin de le vérifier le soir des noces s’estimait trompé. Les époux étant d’accord, le juge sans autre motivation consacre l’annulation de l’union.
_ La révélation de cette décision a déchaîné bien des réactions. Voici ce que peut dire un juriste engagé, un magistrat du Syndicat de la magistrature. Le mariage après avoir été un sacrement religieux est devenu une institution laïque. Le Code civil détermine des conditions essentielles pour se marier : un consentement libre et éclairé, ce qui proscrit les mariages « arrangés » ou les mariages forcés ; un projet matrimonial, ce qui exclut les « mariages blancs », des obligations générales de respect mutuel, de fidélité (mais l’adultère n’est plus une cause péremptoire, obligatoire de divorce), de secours et d’assistance, de communauté de vie : en quelques mots pudiques, le mariage consacre un lien d’amour. Enfin, la perspective du mariage est de créer une famille et donc de s’engager à élever ensemble les enfants nés de l’union. Le mariage est aussi un contrat, une convention passée entre deux personnes, par lequel celles-ci déterminent des modalités de leur union.
_ Il est possible d’annuler un mariage, c’est-à-dire de faire prononcer en justice l’inexistence de l’union célébrée dans des conditions très restrictives, lorsque l’union célébrée est absolument contraire aux principes fondamentaux de cette institution : en cas de bigamie, par exemple. En annulant un mariage pour défaut de virginité de l’épouse, le jugement de Lille va au-delà : il « privatise » en quelque sorte l’institution du mariage. Il admet qu’une condition privée, intime, de virginité soit posée en raison de convictions religieuses et qu’en l’absence de cette « qualité substantielle » l’épouse ruine le fondement de ce mariage. C’est la porte ouverte à des demandes d’annulation fondées sur des considérations très étrangères à notre république laïque : ici on vérifiera la circoncision du mari, pourquoi pas l’excision de l’épouse, là le respect de rites religieux ou sectaires…
_ La manière dont la chancellerie, le ministère de la Justice a pu banaliser cette décision, dans un premier temps, étonne également : les époux étaient d’accord, il s’agit d’une erreur sur les qualités essentielles de la personne, il n’y a donc rien à dire. Lorsqu’il s’agit de ce que les juristes dénomment « l’état des personnes », il existe pourtant un « ordre public » qui permet au ministère de la Justice de veiller par l’intermédiaire de ses procureurs de la République au respect de règles fondamentales : c’est à l’initiative du procureur de la République que sont engagées bien des procédures d’annulation pour bigamie ou pour mariage (supposé) blanc. Ce ministère, qui veille en particulier sur la réalité de l’intention matrimoniale de tout couple mixte et qui suscite de vives réactions comme celle du collectif « Les Amoureux au ban public », ignore tout à coup qu’il a aussi pour mission de faire respecter l’institution du mariage dans le cas patent d’une atteinte intolérable aux droits de la femme, au principe de l’égalité des sexes, à la laïcité de l’union ?
_ Oui, le juge pouvait, malgré l’accord des parties, refuser de prononcer l’annulation en considérant qu’il n’était pas admissible de considérer que la virginité était une condition substantielle possible à l’union matrimoniale. Non, il n’est ni utile ni nécessaire de modifier l’article 180 du Code civil qui permet de prononcer la nullité du mariage forcé, sans consentement et dont l’interprétation a été dévoyée dans le procès de Lille. Au total, le constat peut être fait que, sous couvert d’un pseudo-libéralisme contractuel (les époux étant « libres » de définir ce qu’est le mariage), on favorise l’émergence de communautarismes : il serait alors admissible que dans telle communauté la virginité soit une condition de validité du mariage. Notre république laïque s’est appropriée l’institution religieuse du mariage, ce n’est pas pour revenir à une conception étriquée de cette institution. Nous sommes des défenseurs laïques de l’institution du mariage face à ceux qui veulent se la réapproprier : les religieux les plus rétrogrades.
Dans l’édition de l’Humanité du mercredi 4 juin 2008