par Sinoue » 15 Mai 2021, 17:39
Je ne connais que peu de membres du NPA, quelle que soit la tendance, j’ai donc bien du mal à me forger une opinion quant à ces derniers revirements, malgré tout significatifs à la modeste échelle de l’extrême gauche française. Né il y a 12 ans, le NPA s’est rapidement englué dans un état de crise permanente. Phénomène prédit par bien des commentateurs, les protagonistes de ce nouveau n’en ignoraient pas les risques, mais désiraient en faire l’expérience tout de même. J’ai trouvé l’expérience bancale d’entrée, tant les débats qui cristallisaient le parti anticapitaliste n’avaient pas grand-chose à voir avec le développement de la lutte de classe : le port de l’uniforme sexiste uniquement pour les femmes, les alliances avec les partis bourgeois…
Si les années 2000 annonçaient des lendemains potentiellement plein d’espoir pour l’extrême gauche, grâce notamment aux scores électoraux inversés par rapport à la déconfiture achevée du PCF ; les années 2010 ont révélé une extrême gauche délaissée par la majeure partie de la jeunesse, notamment sa partie radicalisée plus intéressée par le combat religieux, et aussi délaissée par une partie des classes populaires désormais méfiante envers toute forme d’organisation pré-existante. La génération liée à mai 68 est en train de partir à la retraite, et les plus jeunes générations ne semblent pas prendre le relais militant, ni du point de vue de la ferveur, ni du point de vue de la réflexion théorique. Pourtant le capitalisme est toujours là, en train de mener l’humanité à sa perte.
Quelle perspective pour l’extrême gauche révolutionnaire, plus d’un siècle après la dernière révolution prolétarienne victorieuse ? Si ses sections françaises faisaient figure d’eldorado au vue des camarades étrangers, ce n’est désormais plus qu’un lointain souvenir, les quelques implantations ouvrières sont très clairsemées, en tout cas ne sont pas en mesure de servir de noyau d’appui pour les prochains mouvements prolétariens. Que faire ? Aujourd’hui, comme depuis longtemps, il ne reste, selon moi, que 4 politiques proposées par les « forces » en présence.
Soit, comme semble le faire le groupe « Révolution permanente », on continue la politique du NPA, pourtant déjà hégémonique au cours de la dernière décennie. C’est ce que semble prétendre ce courant dominant en rappelant à l’ancienne direction les « principes fondateurs » du APA (Ancien Parti Anticapitaliste ^^). En quoi consiste cette politique ? C’est au gré de chacun de juger : j’y vois un mélange de gauchisme dans les paroles, mêlée à des tractations à mi-mots envers les partis réformistes afin de grossir artificiellement les rangs du « parti ». Cette politique déjà pratiquée par feu la LCR depuis des décennies, avec les résultats que l’on sait : un délitement progressif des rangs militants, dont les plus convaincus finissent par grossir les rangs des partis bourgeois. Donc si la situation sociale ne bouge pas, on risque de voir Anasse Kazib papoter avec les « réformistes » d’ici une quinzaine d’années. Qu’est-ce qui différencierait l’ancien du nouveau NPA ? Seule une remontée des luttes pourrait éclairer ces camarades sur l’incohérence de cette politique, puisque des décennies d’échecs et de trahisons n’y parviennent pas.
Quelle autre politique l’extrême gauche révolutionnaire pourrait-elle proposer ? Celle qui est encore largement hégémonique, non pas dans le milieu spécifiquement militant, mais chez les gens qui souhaitent simplement se mettre à l’écart de l’exploitation capitaliste : le large courant libertaire qui s’est notamment signalé lors de « Nuit debout », incitant les jeunes révoltés à refuser toute forme d’organisation « pyramidale », et à ne plus occasionner la moindre référence à la lutte de classe. S’il ne s’agit pas d’un courant structuré en tant que tel, il est assez dominant : les ZAD, les organisations à vocation libertaire, une partie des gilets jaunes… Je pense qu’il n’est qu’une conséquence des nombreuses défaites ouvrières : « Puisque nous n’arriverons pas à renverser la dictature capitaliste, prenons-en acte, et contentons-nous de vivre à côté ». Rien de neuf sous le soleil, ce n’est là qu’une nouvelle résurgence des vieilles rêveries coopératistes, démontées au XIXème siècle par… les faits et l’argumentation marxiste. Tant que la classe ouvrière ne réagira pas, qu’elle laissera la bourgeoisie maintenir des millions de gens au chômage à ses côtés, ce courant « d’idées » restera dominant, emprunt d’esprit petit bourgeois individualiste.
Il existe encore une autre politique très minoritaire, mais qui connaît un certain succès, se rapprochant d’ailleurs du premier décrit. Il s’agit de la vieille méthode dite « trotskyste » de l’infiltration de partis « de gauche » aux effectifs militants pas trop minables, autrement dit « l’entrisme ». J’en parle car, dans ma région, les organisations pratiquant cela semblent connaître un regain d’intérêts auprès de jeunes militants. Je pense que c’est une politique assez proche de celle du NPA car elle part de ce constat : « On regarde autour de nous, il n’y a pas de jeune génération révolutionnaire (contrairement à ce qu’explique Révolution permanente), alors il faut aller là où les quelques jeunes politisés se trouvent : dans les partis réformistes. Certains se raccrochent aux explications de Trotsky dans les années 30… alors que la situation n’a rien à voir. Bref, c’est aussi une conséquence de l’absence de combats d’envergure, qui ne forme pas de noyaux militants spécifiquement ouvriers, entrainant les militants révolutionnaires à ne pas assumer leur propre politique étant donné qu’ils ne disposent pas de base ouvrière suffisante, ceci dans le but de justifier sa propre existence. C’est la « politique » que pratique aussi l’ex-fraction l’étincelle, à un autre degré. C’est ce que pratique le groupe TMI (Tendance Marxiste internationaliste) au sein de LFI, à l’aide d’un nombre non négligeable de jeunes recrues. La différence est que Trotsky justifiait cela par la mainmise dictatoriale qu’imposaient les staliniens sur la classe ouvrière, phénomène absent de nos jours.
La dernière politique consiste à… militer en direction de la classe ouvrière, en tant que seule classe à même de pouvoir renverser la dictature bourgeoise. C’est-à-dire à persévérer la politique communiste révolutionnaire. Mais pourquoi vouloir continuer cela alors que cette politique a montré son échec depuis de nombreuses décennies ? Tout simplement parce-que je n’en vois pas d’autres ^^ Reste à se demander pourquoi la classe ouvrière reste autant muette malgré toutes ces attaques ? On peut trouver plein d’explications : ceux qui ont un boulot se considèrent déjà chanceux de leur situation, les nombreuses trahisons des partis se réclamant de la classe ouvrière qui discréditent les « nouvelles », la longue expérience de la bourgeoisie qui sait comment redistribuer les miettes du Capital afin d’éviter toute révolte, les licenciements et délocalisations qui désertifient les noyaux militants, la terrifiante dictature bourgeoise qui dissuade les quelques têtes révoltées de sortir du rang… bref, on peut trouver 1000 explications à cette lutte de classe qui semble ne fonctionner que dans un sens. Néanmoins, la majeure partie des gens continue à travailler durement pour ne récolter que des clopinettes.
Le militantisme en milieu ouvrier est très désespérant aujourd’hui, du moins selon mon expérience personnelle. Je pense que ce n’est pas une raison pour en abandonner l’orientation. En vertu de la paupérisation de la majeure partie de sa population, le capitalisme n’investit plus dans la production industrielle, plus assez bénéficiaire ; alors la spéculation devient la « valeur-refuge », en témoigne le succès spectaculaire des « bitcoins », annonçant en partie le prochain krach financier. Mais il ne s’agit pas d’attendre avec espérance une nouvelle crise majeure du capitalisme, celui-ci arrive systématiquement à s’en relever : ou en pratiquant le fascisme afin d’exterminer toute velléité ouvrière, ou en misant sur l’endettement de l’état chargé d’entretenir le « surplus » au sein « d’ateliers nationaux », de grands chantiers, un New Deal quoi.
Comment redonner espoir à une jeunesse militante, alors que la situation est proprement désespérante ? Comment construire un parti révolutionnaire alors que la période ne l’est pas ? Il n’y a pas de recette miracle, et justement, le principe est de ne pas illusionner les militants avec de faux espoirs : Contrairement à ce que dit « Révolution permanente » en se regardant le nombril, il n’y a pas réellement de nouvelle génération révoltée, du moins pas encore. Il est désormais temps de construire un grand parti regroupant toutes les personnes subissant l’exploitation capitaliste, sans perdre de vue le fait que seule la classe ouvrière a les moyens techniques d’organiser un nouveau type de société. La classe ouvrière n’a jamais été aussi nombreuse à l’échelle du monde, et le capitalisme a rarement employé autant de régimes ouvertement dictatoriaux. Il n’est pas impossible que ce durcissement de la lutte de classe abaisse les illusions réformistes de certains, mais cela ne suffit pas, il faut aussi sincèrement réfléchir à quel type d’organisation on monte. C’est pourquoi j’ai pondu ce pavé ^^