par Byrrh » 26 Fév 2020, 09:45
A une époque, j'ai apprécié tous les premiers romans de Daeninckx (les deux versions de Mort au premier tour, La mort n'oublie personne, Meurtres pour mémoire, Métropolice, Cannibale, etc.). Je ne sais pas si j'aimerais encore aujourd'hui ses livres, même si j'ai souvenir qu'il écrivait bien, mieux qu'un Delteil mais quand même moins bien qu'un Vilar ou qu'un Manchette.
Dans cette interview, il exprime sa nostalgie des municipalités PCF de naguère en banlieue parisienne, qui ne menaçaient nullement la bourgeoisie mais qui "arrangeaient les bidons", c'est-à-dire qui avaient à cœur d'améliorer un peu le quotidien des pauvres, tout en ayant parfois les mêmes mœurs semi-mafieuses que les mairies de droite (cf. justement Mort d'un satrape rouge, du Delteil cité plus haut). Je dis "pauvres", car c'est le mot qu'emploie Daeninckx : il ne parle jamais de travailleurs ni de classe ouvrière, apparemment tout ça, c'est mort pour lui depuis longtemps (les travailleurs peuvent s'émanciper eux-mêmes ; les pauvres, eux, on les administre car ils sont un peu cons). On se demande d'ailleurs où réside "l'anarchisme" revendiqué de cet écrivain qui s'est éloigné du PCF il y a presque 40 ans, mais pas pour y voir plus clair politiquement, semble-t-il. Quand le journaliste l'interroge sur la croisade de Macron contre le "séparatisme islamiste", il n'a pas un seul mot pour dénoncer cette diversion, tout occupé qu'il est à pointer un aspect très particulier des problèmes de notre époque, un aspect sans doute bien réel et préoccupant (le clientélisme de certaines mairies vis-à-vis des trafiquants de drogue d'une part, des milieux religieux d'autre part), mais insuffisant pour décrire la situation. Comme un intervenant du forum, il dénonce la manifestation du 10 novembre 2019 contre les campagnes anti-musulmans, en la dépeignant comme la création d'un réactionnaire antisémite qui a les faveurs d'une mairie de l'ex-banlieue rouge (je ne sais plus laquelle ; Saint-Denis ?). Mais son angle de vue volontairement très localiste l'empêche en revanche d'avoir le moindre mot sur la stigmatisation de tout ce qui ressemble à un musulman, la moindre vision d'ensemble ; or il y a un contexte politique global au-delà du coin où il est né et où il a ses habitudes. On dirait qu'il évolue comme Jonquet à la fin de sa vie, en suivant une idée fixe qui lui masque une partie du panorama.