Comment tortiller pour défendre le secret des affaires au moment où le rapport sur Orpea est tenu secret ? Marianne s'y colle... En tout cas ça fait causer.
Une idée pour 2022
[b]Peut-on abolir le secret des affaires comme le propose Nathalie Arthaud ?[/b]
Par Pierre Lann
Publié le 29/03/2022 à 7:00
La candidate de Lutte Ouvrière réclame la suppression du secret des affaires, invoqué par le ministère de la Santé pour ne pas publier le rapport d'inspection sur les dérives d'Orpea, le leader mondial des Ehpad. Si sa suppression est peu réaliste, le secret des affaires devrait être appliqué de manière plus stricte, selon des spécialistes interrogés par « Marianne ».
Qu'est-ce qu'elle propose ?
Si elle était élue présidente de la République le 24 avril prochain, Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) assure que sa première mesure serait d'instaurer un « gouvernement des travailleurs » et « d'abolir le secret des affaires ». Un principe technique, qui est au cœur d'une actualité brûlante. Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée à l'Autonomie, a annoncé ce samedi 24 mars qu'elle ne pouvait pas rendre public le rapport d'inspection commandé par son ministère sur les pratiques de l'entreprise Orpea, dénoncée dans le livre-enquête de Victor Fontanet, Les Fossoyeurs.
« Nous avons sollicité les directions des affaires juridiques des ministères sur ce point. Je n’ai pas le droit de le rendre public pour des raisons de confidentialité et de secret des affaires. L’objectif est que l’enquête judiciaire aille au bout du travail d’instruction », a-t-elle expliqué au Journal du dimanche. Selon la ministre, ce rapport révèle pourtant des « dysfonctionnements graves » au sein du leader mondial des Ehpad. Toujours selon Brigitte Bourguignon, l'État a déposé une plainte, qui pourrait également bloquer la publication du rapport d'inspection.
« Ce secret des affaires est là pour cacher les méfaits, les mensonges et l'argent dans un certain nombre de grandes entreprises », a estimé Nathalie Arthaud, ce lundi 28 mars sur RTL. La candidate du parti trotskiste Lutte Ouvrière et réclame sa suppression pour que tout « puisse être mis sur la place publique ». Consacré par une loi adoptée en 2018, le secret des affaires a été vivement contesté par des parlementaires de gauche, des associations de lutte contre la corruption, et des journalistes. Ceux-ci estimaient que la définition du secret des affaires était trop large, et qu'elle aurait par exemple permis aux laboratoires Servier d'échapper au scandale du Mediator. Le Conseil Constitutionnel a toutefois fini par juger la loi conforme.
Qu'est-ce que cela changerait ?
Si la notion existait dans le droit français, elle n'était encadrée par aucun texte jusqu'à 2018. « Les pouvoirs publics ont bien adopté une loi dite de blocage en 1968. Elle sanctionnait la communication de documents, ayant une nature économique, commerciale, industrielle financière ou technique à des autorités étrangères, mais elle s'est révélée inefficace. En 1987, la justice américaine a estimé que cette loi n'empêchait pas la communication d'informations à leurs juridictions », relate à Marianne le docteur en droit Alexis Deprau.
La France semblait donc se trouver dans une situation de fragilité face à l'espionnage économique, en ne disposant pas d'outils efficaces pour protéger les informations stratégiques de ses entreprises. Un « vide juridique » dénoncé depuis le début des années 2000 par l'ancien député Bernard Carayon (UMP), partisan d'une politique publique d'intelligence économique. S'inspirant de la législation américaine — qui punit de prison l'espionnage économique — Bernard Carayon a ainsi œuvré pour consacrer le principe. Sans succès.
Il a donc fallu attendre une directive européenne de 2016, pour transposer et définir dans le droit français le secret des affaires. Adoptée en procédure accélérée, la loi du 30 juillet 2018 a défini cette notion par trois éléments. Une information peut être protégée : si elle n'est pas connue par les autres acteurs du secteur d'activité concerné, si son caractère secret lui donne une valeur commerciale, et si elle est effectivement protégée par son détenteur.
Ainsi, la stratégie commerciale d'une entreprise, ses fichiers clients ou ses activités de recherche peuvent être considérés comme des secrets. Au contraire, la loi ne doit pas permettre de dissimuler des pratiques illicites, comme la corruption ou des montages d'évasion fiscale. La loi sanctionne donc celui qui se trouve de manière illicite en possession d'une information considérée comme secrète. Des exceptions sont toutefois prévues pour les enquêtes des pouvoirs publics, pour les journalistes et pour la révélation d'infractions.
Contrairement au projet de Bernard Carayon, la loi ne prévoit toutefois pas de sanction pénale pour une violation au secret des affaires. L'entreprise concernée peut toutefois demander à la justice de faire cesser l'infraction, en exigeant par exemple la destruction de disques durs sur lesquels les informations seraient stockées. Des dommages et intérêts peuvent aussi être exigés.
Est-ce que c'est réaliste ?
C'est une question très épineuse. Supprimer le secret des affaires risque de mettre en danger les informations stratégiques de certaines entreprises françaises. Et dans le même temps, une interprétation extensive de ce secret peut nuire à la révélation d'informations d'intérêt général. D'horizons divers, les spécialistes interrogés par Marianne s'accordent sur un point : le rapport d'inspection sur les agissements du groupe Orpéa devrait être rendu public. « Le secret des affaires garantit des données stratégiques mais il n'est pas là pour protéger les entreprises contre des turpitudes. On ne peut pas l'invoquer pour des violations de l'éthique ou de la loi », résume l'ancien député Bernard Carayon, devenu avocat, interrogé par Marianne. Interrogé sur les raisons de cette non-publication, le cabinet de Brigitte Bourguignon n'avait pas encore répondu, à l'heure où nous publions ces lignes.
Mais faut-il jeter le bébé avec l'eau du bain en supprimant le secret des affaires ? « Il faut une analyse fine et ne pas se lancer dans de grandes invocations »note le lanceur d'alerte Raymond Avrillier, interrogé par Marianne. « La définition du secret des affaires est trop floue et elle nuit à la démocratie. Mais il faut reconnaître qu'il y a une vie privée de l'entreprise, et des informations qui relèvent du secret industriel et commercial. Tout est une question de balance, de savoir ce qui prime entre l'intérêt public et l'intérêt privé. La balance penche trop souvent du côté des intérêts privés des entreprises au détriment des documents et informations d’intérêt public supérieur », note Raymond Avrillier.
Ce lanceur d'alerte a ferraillé avec Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie, pour obtenir la publication d'un accord passé entre l'État et des sociétés autoroutières. Pour empêcher la publication de ce document, Emmanuel Macron se réclamait du secret des affaires. Raymond Avrillier a fini par avoir gain de cause. De la même manière, le journal Le Monde a fait l'amère expérience du secret des affaires pour son enquête sur les « Implant Files », qui mettait en évidence de grave défaillances dans le contrôle, par les autorités sanitaires de nombreux pays, de la mise sur le marché de certains dispositifs médicaux comme des stimulateurs cardiaques. Sur le fondement du secret des affaires, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a refusé l'accès à certains documents — qui semblaient pourtant présenter un intérêt public évident — jusqu'à que le tribunal administratif l'y contraigne en partie.
Il semble donc que la définition juridique du secret des affaires confère un pouvoir d'interprétation important au juge, ou à l'autorité qui est chargée de l'apprécier. Une précision législative pourrait atténuer le risque qu'une information publique soit censurée. Mais, pour des raisons stratégiques et de sûreté économique, il semble toutefois peu réaliste d'abolir purement et simplement le secret des affaires.
Voilà. Le secret des affaires c'est pas bien quand ça cache des fraudes ou des actes illégaux, mais c'est bien quand ça prépare des plans de licenciement, des rachats d'entreprise qui vont entraîner des licenciements, ou des actions sur les prix qui vont rançonner le consommateur ou l'utilisateur final et qui, venant d'entreprises françaises, sont logiquement bons pour la Nation, n'est-ce pas, donc il faut absolument le protéger.