TÊTE DE LISTE DE COMBAT OUVRIER
Gabriel Jean-Marie : « Les travailleurs doivent lutter pour instaurer leurs propres organes de pouvoir »« Notre société aujourd'hui n'est pas conçue, n'est pas organisée dans l'intérêt du plus grand nombre », explique Gabriel Jean-Marie.Gabriel Jean-Marie mènera la liste de Combat Ouvrier aux élections territoriales de juin prochain. Il s'agit clairement d'un programme de lutte et de rupture pour en finir avec la logique capitaliste.En 2015, lors des premières élections territoriales, Combat Ouvrier avait enregistré environ 2 500 voix. Votre objectif premier est-il de faire mieux en juin prochain ?Lorsque nous nous présentons aux élections, c'est toujours pour récolter le plus de voix possible. Si nous parvenons à dépasser le score de 2015, cela ne pourra que nous satisfaire. En outre, cela signifiera que les électeurs adhèrent au programme que nous entendons développer. Je rappelle qu'il s'agit d'un programme de combat, de lutte et de rupture. L'objectif étant de créer un parti communiste révolutionnaire, afin que les travailleurs puissent appliquer leur politique.
Quelles actions prioritaires allez-vous mettre en place, si les urnes vous sont favorables ?Appliquer tout simplement le programme de Combat Ouvrier. Nous voulons mettre en place la répartition du travail entre tous, sans baisse de salaire : le Smic à 1 800 euros net ; l'augmentation des salaires, des minima sociaux, et des pensions versées aux retraités ; l'échelle mobile des salaires, ainsi, dès lors que les prix augmenteront, les salaires augmenteront ; le contrôle des fonds publics et des profits des entreprises par les travailleurs ainsi que l'abolition du secret bancaire, du secret commercial et du secret des affaires.
Nous disons aussi qu'il faudra procéder à l'expropriation des gros possédants. Des secteurs sont essentiels au bon fonctionnement de la société, et il est hors de question qu'ils se retrouvent entre les mains de privés qui font la pluie et le beau temps.
Évidemment, tout cela ne peut s'inscrire que dans le cadre d'une lutte collective offensive, large, et profonde des travailleurs.
Auriez-vous pu établir une liste commune avec Marcel Sellaye, à la tête de la liste baptisée Respé (Rézistans - Espwa - Émansipasion), soutenue par le Groupe Révolution Socialiste ?Respé se réclame, comme nous, du mouvement ouvrier. Il faut s'en féliciter, puisqu'à l'occasion de cette campagne électorale, le temps de parole accordé au mouvement ouvrier sera double. Cependant, s'il n'y a pas de liste commune, c'est qu'il existe une différence. Respé est un acronyme, et il faut en chercher la signification. Notre liste, elle, s'intitule « Combat Ouvrier, faire entendre le camp des travailleurs », c'est clair, net et précis. Par ailleurs, faire entendre le camp des travailleurs, c'est un programme politique.
« Les assistés, ce sont les capitalistes martiniquais »Comment jugez-vous la mandature d'Alfred Marie-Jeanne ? A-t-il été l'homme de la situation ?Pour les capitalistes, il a été très certainement l'homme de la situation. Il les a toujours choyés, il leur a accordé de nombreuses aides et autres subventions. Pour les travailleurs, le bilan est plus discutable. Alfred Marie-Jeanne a quand même agi à l'encontre de travailleurs en lutte, et je pense singulièrement à ceux du PNRM (ndlr : Parc naturel régional de la Martinique). Mais Serge Letchimy, en son temps à la Région, avait mené la même politique de soutien au grand capital dans le sillage du gouvernement Hollande et du CICE (ndlr : crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) : des milliards accordés aux capitalistes.
Quel bilan dressez-vous de ces cinq années de fonctionnement de la CTM ? La promesse d'une plus grande efficacité a-t-elle été respectée ?La CTM est une institution qui a été mise en place non pas par la volonté des travailleurs mais par celle de l'État français et aussi des notables de Martinique. Nous avons bien vu que cette institution était d'abord là pour aider les possédants. S'agissant de son efficacité, en réalité, toutes les décisions prises par la collectivité sont soumises au contrôle de légalité du préfet, par conséquent, le pouvoir réel se trouve entre les mains du gouvernement français. Certains l’oublient peut-être : la loi permettant la mise en place de la collectivité unique avait été taillée sur mesure pour Serge Letchimy et le PPM, mais ils ont perdu les élections de 2015. En somme, le gouvernement favorise le camp qu'il préfère, parce qu'il veut toujours avoir la main sur ce qu'il se passe en Martinique. L'enjeu est que sa politique ne soit pas remise en cause.
Selon vous, faut-il renforcer les moyens de l'Assemblée de Martinique, face au président du Conseil exécutif ? Faut-il procéder à un rééquilibrage entre les deux pôles ?Nous n'allons pas rentrer dans ces considérations-là. L'Assemblée de Martinique n'est pas un projet des travailleurs. C'est pourquoi ils doivent lutter pour instaurer leur propre gouvernement, leurs propres organes de pouvoir. Nous n'avons donc pas à améliorer le fonctionnement d'une collectivité qui n'est pas l'expression de la volonté des travailleurs. Au contraire, tout cela participe de l'organisation de cette société capitaliste qui fonctionne en opprimant et en maintenant en bas de l'échelle les petits. Les travailleurs doivent mettre en place des assemblées qu'ils contrôlent totalement, afin qu'ils puissent mener la politique qui défend leurs intérêts, ceux de la majorité delà population.
« Plus les travailleurs sont en lutte, mieux ça vaut »Êtes-vous satisfait de la façon dont les différents fonds européens sont consommés par la Martinique ?Vous savez, on entend souvent dire que nous sommes des assistés. En réalité, les assistés, ce sont les capitalistes martiniquais. Il est de notoriété publique que les fonds européens sont raflés par les békés, notamment dans le secteur de la banane. Ce ne sont donc pas les petits planteurs martiniquais qui en bénéficient majoritairement, puisqu'ils sont eux-mêmes victimes des gros rapaces que sont les possédants békés. Je rappelle que les fonds européens, c'est avant tout de l'argent public. Il faudrait par conséquent que cet argent permette d'abord de répondre aux besoins de la majorité de la population et non aux besoins d'une minorité.
Plus de cinq ans après la fusion, la question de l'organisation d'un organigramme est toujours à l'ordre du jour.
Comment parvenir à une organisation optimale de tout le personnel de la CTM ?
En l'état actuel des choses, il y a très certainement des intérêts antagonistes qui expliquent cette situation, plus de cinq ans après la fusion. Les agents de cette collectivité sont des travailleurs qui ont eu par le passé l'occasion de pointer du doigt des difficultés et de faire des propositions. Si nous avions des élus de Combat Ouvrier à la CTM, ils n'iraient certainement pas à l'encontre des demandes des agents. Ils sont de la maison, ils savent là où ça bloque, là où ça pèche.
La Martinique est confrontée à des problèmes récurrents : sargasses, vieillissement de sa population, jeunes qui quittent le pays, gestion et valorisation des déchets, menace sur l'octroi de mer, manque d'attractivité... Quelles sont vos solutions ?Notre société aujourd'hui n'est pas conçue, n'est pas organisée dans l'intérêt du plus grand nombre. En ce qui concerne les sargasses, je peux vous certifier que s'il y avait une base de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, du côté du François ou du Robert, il n'y aurait pas un brin d’algues. Jusqu'à présent, les solutions n'ont pas été trouvées, parce qu'il n'y a pas d'intérêts pour l'État français. De surcroît, ceux qui ont les moyens peuvent s'installer ailleurs, lorsqu'ils sont incommodés. S'agissant de nos jeunes qui quittent le pays, le phénomène se poursuit, parce qu'ils n'ont pas la possibilité de s'épanouir professionnellement ici. D'autant plus que l'objectif de ceux qui ont le pouvoir n'est pas de développer l'emploi en Martinique mais de faire le plus de profit possible. Dans cette optique-là, mais aussi vu l'urgence de faire face à une situation dégradée, les solutions de Combat Ouvrier seraient essentiellement celles indiquées précédemment, dans notre programme de lutte.
Un mot sur l'octroi de mer, qui est menacé...L’octroi de mer est une imposition spécifique supposée protéger la production locale. Il alimente une bonne partie du budget des collectivités. L'octroi de mer est néfaste pour la population car il est un des responsables de la vie chère.
En France, il n'y a pas d'octroi de mer, l'État verse une dotation globale de fonctionnement aux collectivités. Ce même État n'agit pas de la même façon ici ou, en tout cas, la dotation qu'il verse n'est pas suffisante pour faire fonctionner les collectivités. En réalité, si l'État ne gaspillait pas une bonne partie de son argent — cela se chiffre en milliards d'euros —, avec des exonérations d'impôts, le CICE, une distribution différente de l'argent public pourrait profiter à la majorité de la population. Il faut aussi imposer davantage les bénéfices des grosses entreprises pour les besoins des collectivités publiques.
Comptez-vous amender l'Accord territorial de relance pour la refondation delà Martinique, adopté en février dernier par le président Marie-Jeanne et le préfet, et qui devrait, à terme, mobiliser plus de 800 millions d'euros ?C'est un plan qui fait saliver toute la classe capitaliste ainsi que les entreprises locales. Une minorité va capter cet argent et la majorité ne bénéficiera que du ruissellement. Ce plan de relance va permettre de poursuivre le remplissage des coffres de ceux qui possèdent déjà. En ce qui concerne le PGE (ndlr : prêt garanti par l'État), Bernard Hayot a quand même empoché 115 millions d'euros, alors qu'il n’en avait absolument pas besoin. Il a profité de cette opportunité. De plus, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé qu'une très grande partie de ces prêts serait très certainement transformée en subventions. Cela signifie que de l'argent public serait tout simplement donné à des entreprises, qui se sont séparées de leur personnel. Et donc, là encore, ce serait tout bénéfice pour ces capitalistes.
Certains secteurs économiques tels que le tourisme, l'événementiel ou encore le petit commerce sont sinistrés, à cause de la crise sanitaire. Envisagez-vous des mesures spéciales pour pérenniser leurs activités ?S’il y a des secteurs sinistrés, d'autres ne le sont pas comme la grande distribution. La crise sanitaire a été une formidable aubaine pour certains. Elle leur a permis de baisser les salaires, de remettre en cause les droits sociaux, de licencier... Les puissants en ont profité pour récupérer le plus d'argent possible, tandis que d'autres, qui n'ont pas les reins suffisamment solides, ont trinqué. Et cela s'est traduit par du chômage partiel, c'est-à-dire une baisse de revenu pour les salariés, des faillites d'entreprises, et des licenciements secs. Eh bien, pour aider les secteurs sinistrés, il faudrait prendre l'argent dans les caisses des gros possédants et de leurs actionnaires qui continuent de s'enrichir. Pas sur l'argent public.
Au moment où nous nous rencontrons, plusieurs conflits sociaux sont à « la une » de l'actualité : Odyssi, Setrac, le Chum, Bamaryl. La CTM peut-elle mettre en place un mécanisme pour prévenir ces conflits ?Nous appelons à la lutte, par conséquent, nous considérons que plus les travailleurs sont en lutte, mieux ça vaut. Cela veut dire que les travailleurs sont conscients, déterminés, qu'ils ne veulent plus accepter de prendre de coups. Alors qu'on ne compte pas sur nous, si nous sommes à la CTM, pour mettre en place un mécanisme destiné à prévenir les conflits. Qu'on ne compte pas sur nous pour jouer les pompiers et interdire les luttes. Au contraire, nous appelons les travailleurs à renverser cette société, à renverser les capitalistes. Nous luttons aussi pour une généralisation des grèves, des luttes collectives et générales. Frapper tous ensemble, faire peur au grand patronat. C'est comme cela que les travailleurs obtiendront des avancées réelles. La grève générale voilà ce qu'il faut, comme en 2009 et encore mieux.