Servier condamné

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Servier condamné

Message par com_71 » 30 Mars 2021, 08:07

Le Monde a écrit :Irène Frachon : « Ce procès Mediator est une occasion ratée »

La pneumologue de Brest, qui a assisté à l’intégralité du procès, et dont la déposition limpide, pendant plus de sept heures à la barre, a marqué l’audience, raconte au « Monde » les impressions ambivalentes que lui laisse le jugement.

Propos recueillis par Henri Seckel, publiés le 30/03/2021

Le procès du Mediator n’aurait peut-être jamais eu lieu sans la persévérance d’Irène Frachon, qui fut l’une des premières, à la fin des années 2000, à faire le lien entre la prise du médicament des laboratoires Servier et certaines affections cardiaques et pulmonaires mortelles.

La pneumologue de Brest, qui a assisté à l’intégralité du procès, et dont la déposition limpide, pendant plus de sept heures à la barre, a marqué l’audience, raconte au Monde les impressions ambivalentes que lui laisse le jugement.

Voilà plus de dix ans que vous avez engagé le combat contre Servier, et le laboratoire est aujourd’hui reconnu coupable par la justice. Quel sentiment cela vous inspire-t-il ?

Depuis dix ans, je n’ai cessé de dire qu’on marchait sur la tête. Là, les choses reviennent à l’endroit. Depuis dix ans, le discours de Servier, c’est : ni responsable, ni coupable. Il fallait impérativement que le tribunal le dise : Servier, c’est responsable, et coupable.

Le laboratoire s’est arc-bouté sur un mensonge gigantesque en niant la structure chimique de son médicament et l’intention de dissimulation pourtant évidente. Entendre la condamnation pour tromperie aggravée de Servier en tant que personne morale, c’était absolument fondamental : la justice reconnaît que les manœuvres de ce laboratoire en font une firme pharmaceutique déviante et délinquante.

Mon deuxième motif de satisfaction a été la reconnaissance du préjudice d’anxiété des victimes. Depuis des années, cette anxiété déferle, je la vois, je la lis, je la partage. Désormais, elle est reconnue de manière forte.

Le tribunal a tranché nettement : Servier a menti, vous avez dit vrai.

Servier n’a rien avoué et continue à nier. Et le scandale du Mediator continue à être minimisé et qualifié dédaigneusement de « scandale médiatique » par toute une partie du monde médical qui protège Servier.

Mais là, on est passé de « scandale médiatique » à « pharmaco-délinquance », « crime industriel », termes que j’utilise et que je revendique. La médiatisation n’a jamais été une fin en soi. Elle est un moyen qui a permis, dans la douleur, d’obtenir la vérité.

Craigniez-vous que cela n’arrive pas ?

Je me méfiais, parce que depuis dix ans, j’ai vécu beaucoup de jugements très insatisfaisants autour du Mediator, que ce soit la condamnation de mon livre [Mediator 150 mg, combien de morts ? (Editions-Dialogue, 2010), dont Servier avait provisoirement fait censurer le titre], les difficultés qu’ont eues beaucoup de journalistes à s’extirper de procédures bâillons intentées par le laboratoire…

J’ai tellement l’habitude des décisions juridiques frileuses, voire absurdes. Au civil, régulièrement, on marche sur la tête. Récemment, un juge de la cour d’appel de Marseille a encore considéré qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves que le Mediator était un médicament défectueux. En 2021.

Les sommes obtenues par les victimes, environ 180 millions d’euros en tout, sont-elles à la hauteur ?

L’indemnisation pour les victimes de tromperie [158 millions d’euros] me paraît plutôt satisfaisante, c’est même une belle victoire, je trouve. Je ne parle pas des victimes d’homicides et de blessures involontaires, parce que là, j’ai entendu des chiffres qui me semblent insuffisants pour réparer le préjudice. Depuis dix ans, il est très rare que je sois réellement satisfaite d’une décision de justice. J’espérais qu’on aurait cette fois un jugement exemplaire. Je suis désolée, mais ça n’est pas le cas.

Qu’est-ce qui vous déçoit dans le jugement ?

Sur le plan pénal, il n’y a eu que du sursis. Quand la présidente dit « ce délit est gravissime » et prononce des peines avec sursis en deçà des réquisitions du parquet, le message est totalement contradictoire et incompréhensible – « c’est gravissime, mais vous ne ferez pas de prison ». Nicolas Sarkozy qui passe un petit coup de fil pour pousser un pote, il prend du ferme. Je ne défends pas Sarkozy, mais c’est stupéfiant. Et quand je pense à tous les « gilets jaunes » qui vont au trou… Je suis désolée, mais ça ne va pas. La question n’est pas de mettre quelqu’un en prison, mais le signal qui est adressé à propos de cette délinquance en col blanc n’est pas rassurant.

« Délinquance en col blanc » ?

Si on gomme les costards cravates, on a affaire à des délinquants, à des dealers de drogue, mais je constate avec dépit une sorte de pétrification des juges devant les puissants. Imaginez une femme de 60 ans qui se promène dans la rue, un motard lui arrache violemment son sac, cette femme tombe et meurt quelques jours plus tard d’une hémorragie cérébrale. Imaginez cette même femme qui consomme du Mediator et meurt d’une crise cardiaque, parce que son cœur a lâché à cause d’un médicament qu’un laboratoire lui a vendu pour gagner de l’argent. On est dans la même logique : ni le motard ni Servier ne voulaient la mort de cette femme, ils voulaient son argent, au risque de mettre sa vie en danger. Mais dans un cas, le délinquant ira en taule pour agression et homicide involontaire. Dans l’autre, l’industriel coupable de tromperie et d’homicide involontaire bénéficie d’une peine clémente.

Le parquet peut faire appel.

J’espère qu’il le fera. Tout le monde perçoit la dissonance entre la reconnaissance de la culpabilité et la modicité des peines. Cela dit, cette dissonance aurait existé même si les réquisitions du parquet avaient été suivies.

Il y a un problème. Si on va taper dans le code de la consommation, c’est que le droit pénal n’est pas adapté à ce type de délits. Voyez les débats concernant l’amiante : est-ce qu’on peut parler d’empoisonnement ou pas ? On tourne autour de la qualification de ces délits. A un moment, il va falloir qu’on avance. Ne pas nommer les choses entraîne beaucoup de confusion, les gens ne savent plus quoi penser.

On voit bien que l’affaire du Mediator est bien plus qu’une affaire de pharmacovigilance, mais les citoyens voient que ça ne bouge pas plus que ça. Le grand public risque d’être flippé, comme moi, de constater que même si le crime pharmaceutique est reconnu, il n’est en réalité pas puni.

Ce procès a tout de même eu un retentissement important, non ?

Je pense que c’est une occasion ratée. Jusqu’à présent, les procès des grandes affaires sanitaires ne sont pas très aboutis, on galère, on n’arrive pas suffisamment à caractériser les délits, à identifier les coupables, et au bout d’un moment, les responsables ne sont plus là…

On avait une occasion en or de tracer les limites qu’on ne peut pas franchir dans le domaine de la santé publique, des limites qui rassurent. Là, bien que la tromperie soit reconnue, le signal envoyé est anormalement faible.

Vous avez assisté à l’intégralité du procès. Comment avez-vous jugé l’attitude des laboratoires Servier pendant l’audience ?

On aurait dit une mafia, toujours en bande, avec des moyens financiers insolents. Ils forment une espèce de bloc fermé, arc-bouté sur des vérités alternatives et leur culture du mensonge.

J’ai trouvé les prévenus hostiles, ne manifestant pas d’empathie, pas d’émotions véritables, les choses étaient dites sous la contrainte, il s’en est dégagé un sentiment d’étrangeté. Et puis il y avait leurs gardes du corps à l’entrée de la salle d’audience, ils repartaient dans des voitures aux vitres teintées… Franchement, on se demandait à qui on avait à faire. Tout ça donnait une impression générale très inquiétante.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Servier condamné

Message par com_71 » 26 Mars 2022, 10:44

L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Servier condamné

Message par Cyrano » 26 Mars 2022, 13:29

Le mieux, c'est d'aller à la source, lire l'article du Canard Enchaîné de mercredi, puisque les deux liens citent ce journal comme source.
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Re: Servier condamné

Message par Plestin » 26 Mars 2022, 20:20

On peut y ajouter une subvention probablement équivalente de la part de France Relance, pour contribuer à un investissement de la filiale chimique de Servier, Oril Industrie à Bolbec (Seine-Maritime), visant à augmenter la capacité de production d'une substance parfaitement inutile destinée au médicament inefficace Daflon. Celle-ci n'est pas incluse dans l'article du Canard Enchaîné.
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Re: Servier condamné

Message par Zorglub » 26 Mars 2022, 21:28

Cela faisait un peu trop tâche, au moment d'une campagne, et parce que, notamment, l'association des victimes du Mediator s'en était indigné.
Le gouvernement a décidé d'annuler la subvention de 800 k€ : https://www.francetvinfo.fr/sante/affaires/affaire-mediator/info-franceinfo-le-gouvernement-annule-sa-subvention-de-800-000-euros-aux-laboratoires-servier_5046661.html
Outre la subvention relevée par Plestin, gageons que le prochain gouvernement rattrapera le temps perdu.
Zorglub
 
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