Cela tangue à LFI, lorsque Mélenchon par Bompard interposé reprend la main le mouvement... C'est presque la rupture ?
Fidèle historique de Jean-Luc Mélenchon, le député de Seine-Saint-Denis conteste, dans un entretien au « Monde », la composition de la nouvelle direction de La France insoumise. Il estime qu’il faut l’ouvrir à toutes les sensibilités, notamment la sienne.
Pour la première fois en plus de vingt années d’engagement politique au côté de Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière fait entendre des critiques directes sur le mouvement de gauche et les choix du leader de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Le député de Seine-Saint-Denis, écarté de la nouvelle direction de La France insoumise (LFI) – au même titre que François Ruffin, Clémentine Autain, Eric Coquerel ou Raquel Garrido – appelle de ses vœux un fonctionnement plus démocratique.
L’annonce de la nouvelle direction de LFI a déclenché un vent de colère cette semaine. Que s’est-il passé ?
Cette situation insatisfaisante est le produit d’une méthode que j’ai moi-même du mal à saisir. J’ai en tout cas un radical désaccord avec le résultat, conséquence d’un processus qui ne joue pas collectif, n’associe pas assez les militants et n’intègre pas les différentes sensibilités de notre mouvement qui s’incarnent dans certaines « personnalités », comme on dit. Cela nous empêche d’arriver à un consensus. Certains ont beau s’en réclamer, il n’est pas là. Beaucoup de militants sont désarçonnés.
Je serai franc, mon problème ne porte pas sur l’absence de tel ou telle. Même si je ne compte que des amis dans cette direction, le premier désaccord que j’exprime, c’est notamment que dix-huit de ses vingt et un membres sont aujourd’hui parlementaires, avec le plus souvent des profils sociologiques comparables. Pourquoi ne pas plutôt rechercher une forme de « parité sociale » ? Avec des dirigeants issus des zones rurales, des quartiers populaires, des militants syndicaux, associatifs et surtout issus des classes populaires. Pourquoi ne pas avoir quelque chose qui ressemble mieux à la société, à ce que nous sommes et à notre électorat ? Remettons l’ouvrage sur le métier, reprenons la discussion. Et évitons que notre mouvement dit « gazeux » ne devienne un mouvement brumeux. Je lance un appel à l’apaisement, à l’unité. Je veux en être le garant.
Que ferez-vous si vous n’êtes pas entendu ?
Je demanderai une explication. Je ne connais rien d’autre en politique que la discussion pour dépasser les moments de tension. Il faut fabriquer du commun. Il ne sert à rien d’avoir des phrases définitives à ce stade.
Souhaitez-vous rejoindre cette coordination ?
Si ma personne est un problème, je ne suis pas candidat. Ce qui m’intéresse en revanche, c’est qu’une certaine tradition politique y soit portée. Je suis un républicain, social, écologiste, attaché à la laïcité émancipatrice authentique, qui essaie – c’est mon côté prof d’histoire – de rattacher le combat que nous menons à une histoire politique. Je souhaite que ce courant d’idées existe plus nettement dans cette nouvelle équipe dirigeante, non par nostalgie mais parce que je suis persuadé qu’il est une clé pour gagner demain, et en particulier en 2027.
L’exigence démocratique républicaine plus forte, en donnant des droits nouveaux aux citoyens, permet d’aller convaincre chez les 13 millions d’abstentionnistes du premier tour de la présidentielle. François Ruffin ou Clémentine Autain disent des choses stimulantes, d’autres dans lesquelles je ne me reconnais pas. Tous ces tempéraments forts, et d’autres encore, doivent se retrouver dans une équipe de direction pensante.
Vous en avez parlé avec Jean-Luc Mélenchon ?
Pas récemment. Ce n’est pas le plus important. J’aimerais le convaincre de se dire : « Peut-être, continuons à travailler. » « Pourquoi tant de barouf ? Ce n’est qu’une coordination opérationnelle », semble-t-il me répondre. Mais, par la force des choses, cela deviendra une coordination politique. Jaurès avertissait : « Qu’est-ce que l’action sans la pensée ? C’est la brutalité de l’inertie. »
Jean-Luc Mélenchon estime qu’y figurer entraîne « une obligation de discrétion absolue »…
Peut-être, mais la seule discipline que je connaisse en politique, c’est la discipline des consciences, pas celle des armées. Ma devise est : « Unité dans l’action, liberté totale dans la discussion ». Mais je ne reprocherai jamais à mes amis d’avoir pris la parole dans la presse, vu que c’était la seule façon de se faire entendre pour modifier le travail qui nous a été présenté.
Il assume que LFI ne soit pas une avant-garde, ni le reflet d’une société idéale…
C’est peut-être un désaccord que j’ai avec Jean-Luc. Je pense que ce que nous construisons doit être une forme de contre-société. Cela doit annoncer ce que nous ferions si nous dirigions le pays. Il doit y avoir un peu de VIe République là-dedans. Nous menons le combat contre un gouvernement qui refuse de se soumettre au vote. Nous ne pouvons pas théoriser au même moment le fait que nous ne votons pas. Il faudra donc consulter les militants et voter. Il y a dans le pays une puissante soif de démocratie, et elle existe évidemment aussi dans LFI. Ne fabriquons pas quelque chose qui rend confus ce que nous voulons faire demain pour la France. Nous sommes un grand mouvement populaire. Cela doit se retrouver dans la direction. Il faut faire mieux, c’est la consigne donnée.
Pour faire mieux, faut-il que LFI devienne un parti ?
Il y a plusieurs natures dans notre réalité actuelle. Être un mouvement impose que ceux qui l’animent intègrent, associent, élargissent et dépassent les contradictions inhérentes à tout collectif par la discussion. Nous l’avons fait par le passé. Alors, continuons.
Pour les militants, ne pas voter tout le temps est une chose, ne jamais voter en est une autre. D’accord pour brandir la forme mouvementiste, mais il faut produire du consensus. A ce stade, nous n’y sommes pas. La responsabilité de ceux qui animent cette coordination est de l’entendre.
Comment dénouer la situation ?
A la suite de nos discussions et de certaines prises de parole publiques, un groupe de travail de députés volontaires, de différentes sensibilités, s’est mis en place. Je n’en fais pas partie. A l’occasion du séminaire parlementaire de LFI, le 9 janvier [2023], des propositions seront faites au sujet de cette nouvelle direction. Je plaide pour qu’elles dépassent la seule question de la représentation du groupe parlementaire dans la direction.
La crise à LFI menace de déstabiliser toute la Nupes…
L’unité de LFI renforcera celle de la Nupes, qui à son tour nourrit l’unité des syndicats. Les deux permettent ainsi l’unité populaire qui est la condition des victoires, notamment contre la honteuse proposition de retraite à 65 ans. Ce que nous faisons de LFI a donc des conséquences sur l’avenir de millions de salariés, sur notre peuple. Notre responsabilité est énorme, presque écrasante. Aussi, la Nupes est un outil dont je suis plus que jamais un défenseur. Elle a besoin, pour rester forte et unie, que LFI soit forte et unie.
Vos divergences ne menacent-elles pas le combat contre la réforme des retraites ?
La bataille des retraites est un enjeu majeur. Si le camp du travail est battu sans combat, dans la division et la confusion, j’ai peur que nous ouvrions grand la porte à l’extrême droite. Le « désordre injuste » causé par la politique de M. Macron fabrique une polarisation entre l’extrême droite et nous, la Nupes. Si nous ne jouons pas notre rôle historique, la démoralisation sera terrible. Inversement, haut les cœurs, les victoires politiques de demain sont très souvent le résultat différé des victoires sociales d’aujourd’hui, pourvu que l’unité soit là. Mai 68 a produit Mai 81. Les grèves de 1995 annoncent la victoire de 1997.
La Nupes est l’outil qui doit permettre cela. Ce n’est pas qu’un combat social, c’est aussi un combat démocratique. Il faut demander la suppression de l’article 49, alinéa 3, avec lequel le gouvernement imposera peut-être ce brutal recul des droits des travailleurs.
Si la Nupes n’est pas à la hauteur, elle se disloquera et mourra. En revanche, si elle est l’instrument d’une victoire sociale et démocratique, elle prépare une possible victoire politique et électorale.
Est-ce que LFI ne contribue pas à créer des crispations en lançant une « marche pour nos retraites », le 21 janvier 2023 ?
Non. La journée du 21 janvier ne s’oppose pas et ne se substitue pas à la date que proposeront les organisations syndicales. Elle est une sommation face à un gouvernement qui menace d’une guerre éclair pour passer en force des mesures brutales et injustes sur les retraites. J’attends que les organisations syndicales décident d’une date de manifestation, et je leur dis : votre date sera la nôtre.
Le retour d’Adrien Quatennens à l’Assemblée nationale a été critiqué, tout comme ses déclarations à BFM-TV. Qu’en pensez-vous ?
Mon groupe parlementaire a réussi à adopter par vote une position commune : une sanction politique – la radiation de quatre mois du groupe – après la sanction judiciaire. Nous avons voté trois fois. Ce n’est pas rien. Je veux choyer cette méthode qui réconcilie des positions parfois très éloignées. La position adoptée est donc la mienne. Quant à ses propos récents, c’est sa responsabilité.