par Plestin » 16 Juil 2023, 16:24
J'oserai un parallèle entre la colère explosive de ces jeunes et le mouvement des black blocs, et même celui des gilets jaunes.
Le système capitaliste qui, dans un pays comme la France, est encore fort supportable et fort agréable à une partie conséquente de la population, la bourgeoisie grande et moyenne mais aussi une partie de la petite et des couches supérieures (en revenu) de la classe ouvrière, devient de plus en plus insupportable et invivable pour un nombre croissant d'habitants, tant parmi les couches les plus démunies que chez certaines catégories de travailleurs et de petits-bourgeois qui voient leur niveau de vie chuter parfois brutalement.
Chez certains qui, peut-être, il n'y a pas si longtemps, espéraient beaucoup d'un changement de gouvernement (surtout parmi les travailleurs et les petits-bourgeois), la désillusion est désormais bien présente et s'ajoute au désespoir.
On se retrouve avec un schéma typique de la petite-bourgeoisie radicale impatiente : "je crois au changement par les urnes" devient désormais "il n'y a plus d'espoir et je veux tout casser pour manifester mon mécontentement", comme certains à d'autres époques ont pu par exemple commettre des attentats anarchistes. Qui d'entre nous n'a pas entendu un jour de ces gens pleins d'illusions la veille dire le lendemain que la seule solution était de tout casser ? (avant de revenir éventuellement au bercail à l'illusion électorale suivante). Et les reportages sur les black blocs "vus de l'intérieur" sont assez édifiants, des gens qui en ont marre et qui se disent que la solution n'est pas de se contenter d'un défilé plan-plan avec les syndicats en écoutant du Manu Chao (ce qui est vrai), donc tout casser est un meilleur moyen de se faire entendre (mais de faire entendre quoi ? une autre forme d'illusion, "voyez comme nous sommes furieux, donc débrouillez-vous au gouvernement pour mener une autre politique" ?)
Or, la vraie solution passe par des luttes d'ampleur de la classe ouvrière - luttes qui ne sont pas là, en particulier sous la forme de grèves puissantes et contagieuses - c'est-à-dire une chose sur laquelle beaucoup de ces gens n'ont pas prise du tout ou alors n'ont pas conscience d'avoir prise. Elle passe aussi par la construction, longue et patiente dans ces conditions - un véritable travail de fourmi - d'un instrument pour changer la société, à savoir le parti ouvrier communiste et révolutionnaire, c'est-à-dire quelque chose qui est bien trop sérieux, bien trop peu visible et qui nécessite de la patience et un engagement sur un bien trop long terme pour pouvoir constituer le moindre exutoire à une colère immédiate. "Bien trop long terme" jusqu'à nouvel ordre, bien entendu, puisque la situation peut basculer à tout moment, mais là maintenant tout de suite cela n'est pas visible.
Ainsi, les jeunes déboussolés trouvent un exutoire immédiat en détruisant ce qu'ils ont sous la main surtout si cela symbolise l'Etat oppresseur (mais pas que) et en faisant un concours du quartier qui fera le plus parler de lui, les travailleurs et petits-bourgeois des territoires semi-ruraux laissés pour compte occupent les ronds-points et se heurtent en manifestation à la police mais rangent leur gilet jaune pour ceux d'entre eux qui retournent travailler dans leur boîte, certains petits-bourgeois voire travailleurs des villes participent aux black blocs qui s'en prennent surtout aux symboles de multinationales comme les vitrines des banques, les fast-foods etc., se croient anticapitalistes et se heurtent eux aussi à la police qui incarne la défense du système. Très peu sont en mesure d'entrevoir la moindre solution dans un travail de fourmi qui, de plus, les rebute bien souvent.
Plus largement, beaucoup de ces révoltés ont conscience des énormes problèmes causés par le système capitaliste et peuvent se retrouver dans sa dénonciation, souhaitent autre chose, mais c'est un peu comme tourner en rond dans une grande salle qui s'appellerait "capitalisme" en cherchant l'issue : il y en a bien une qui s'appelle "communisme", mais devant il y a une rangée de vigiles rébarbatifs qui s'appellent Chine, Corée du Nord ou autre, qui n'incarnent pas du tout la société souhaitée et donc pour ces gens ça ne peut pas être de ce côté-là que se trouve la solution ; incapables d'identifier la vraie sortie, ne comprenant rien à rien en matière de communisme, ils sont condamnés à tourner en rond dans la salle du "capitalisme" en cherchant désespérément et avec fracas une autre issue qui n'existe pas et n'existera jamais.
Tout cela ne change rien à la tâche des révolutionnaires, mais tous ces événements sont d'abord des convulsions générées par le système et qui accompagnent son pourrissement alors que l'outil pour y mettre fin n'est pas encore prêt. C'est pourquoi cela n'a pas vraiment de sens de s'enthousiasmer de ces crises d'épilepsie en y voyant comme certains courants un symptôme de radicalisation ou de développement des luttes qui nous rapprocherait du but. Car ce qui se manifeste là, c'est avant tout le symptôme du retard des idées communistes révolutionnaires.
Mais on ne peut préjuger pour autant de la nature des événements qui conduiront le parti à émerger enfin, ni de la vitesse du phénomène à laquelle la classe ouvrière sera en mesure de redevenir un pôle d'attraction... et de traction (une locomotive).