Je ne crois pas me tromper en pensant que, sur le forum, cette camarade intervenait parfois sous le pseudo de Kaïre. En mars 2019, elle avait posté la présentation qui suit :
Kaïre a écrit :Mon combat politique ? Il a commencé dès mon arrivée à Paris débarquant de province. Les premiers militants que j’ai rencontrés, c’étaient les bons : les anarchosyndicalistes de la CNT. Je n’attendais que ça, des révolutionnaires, des gens qui se battaient contre cette société pourrie.
Car révoltée, je l’étais depuis longtemps.
On était au début de la guerre d’Algérie, j’avais 13 ans et des poussières et je venais de perdre ma mère, épuisée et malade de neuf grossesses tous les deux ans. Des ouvriers algériens travaillaient dans le parc de la maison de fonction que nous occupions car mon père dirigeait l’usine d’armement d’à côté et il y avait droit. Nous n’avions pas la télévision, mais on écoutait la radio (Ah ! Le château des Carpathes de Jules Verne en feuilleton…).
C’était le début des « événements ». Tout naturellement, comme j’étais très curieuse, je suis allée les voir, avec de l’eau et des bonbons, pour en savoir plus. Et j’ai commencé à discuter avec l’un d’eux qui, je l’ai su plus tard, était trésorier du FLN local. Très vite, j’ai été convaincue que c’était une guerre dégueulasse que menait la France, que ces gens avaient bien raison de se battre pour leur liberté. J’ai commencé à aller dans le bidonville d’à côté, bisous aux enfants et aux mamans, longues discussions… Et à convaincre mes copines de l’institution de bonnes sœurs où j’étais. Nous formions un petit groupe pour l’indépendance de l’Algérie.
Evidemment, tout ça n’a pas duré très longtemps. Scandale ! La fille de… ! J’ai eu droit à tout. Mon père, le curé, les bonnes sœurs, les flics… « Tu vas te faire violer ». Comme je n’avais reçu aucune éducation sexuelle, je ne comprenais rien. Je récitais l’évangile « tu aimeras ton prochain comme toi-même, tous les hommes sont frères… ». Il faut dire que mon père était un catholique intégriste, tendance monseigneur Lefebvre et qu’il nous imposait non seulement la grand messe du dimanche, mais tout le reste des c… Bénédicité, prière en commun, vêpres, semaine sainte, mois de marie, « si vis pacem, para bellum », etc. La totale ! Plus tard, je me suis dit qu’il devait être sympathisant OAS, mais il était bien plus que ça, comme je l’ai appris récemment : mes frères et sœurs ont dû observer une minute de silence lors de l’exécution de Bastien Thiry !
Rapidement, je me suis dit que des gens qui faisaient tout le contraire de ce qu’ils m’enseignaient ne valaient rien et j’ai, comme on dit, perdu la foi catholique et toute confiance en eux.
Je me suis mis à chercher. Peu à peu, je me suis fabriqué un syncrétisme confus d’existentialisme avec Sartre, de marxisme avec Garaudy (!), d’une sorte d’individualisme héroïque avec Zarathoustra de Nietzsche, le loup de Vigny, Alceste du Misanthrope, Ruy Blas, Cyrano de Bergerac… Tous ces personnages me fascinaient, je me récitais de longues tirades à chaque bagarre avec mes parents (mon père s’étant remarié avec une sorte de Folcoche, pétainiste comme lui, que je haïssais).
J’ai regardé du côté du PC, mais je ne connaissais personne. Les ouvriers de l’usine qui passaient tous les matins devant la maison, comment les rencontrer ? Et puis, je me posais des questions. 56, la Hongrie, comment peut-on être communiste et tirer sur des travailleurs ? Impossible. Si c’est ça le communisme, pas question. Dommage, en théorie, ce serait tellement bien.
Après l’échec de toute notre classe de bonnes sœurs au bac, mon père furieux m’a inscrit au lycée de jeunes filles. Une autre vie, les garçons de l’autre lycée, premiers cafés, premières cigarettes… Découverte de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, et de tant d’autres dont je n’avais jamais entendu parler. Qu’est-ce que j’ai lu…
J’appris que la prof d’histoire-géo était au PC. Malgré mes réticences, je suis allée la voir pour adhérer. Mais elle m’en a dissuadé, c’était une opposante. (Elle nous a d’ailleurs hébergés quelques fois, bien plus tard quand nous descendions distribuer le premier bulletin de la ville).
Voilà où j’en étais. Révoltée voire révolutionnaire, vomissant les bourgeois, mon milieu, les injustices, la guerre, toute cette société pourrie, mais personne.
Bac en poche, première année de pionne d’internat dans la ville pour pouvoir enfin me barrer de chez moi. Un rêve, Paris. Mutée en proche banlieue, j’ai vite arrêté. J’avais le même âge que les filles que j’étais censée surveiller, autant dire que la hiérarchie n’a pas supporté très longtemps les rapports que nous avions. Des tas de petits boulots, les galères…
Et j’ai rencontré les anars. Enfin, des révolutionnaires, des gens avec lesquels je pouvais partager ma révolte et faire enfin quelque chose. J’écrivais dans la version française du Combat syndicaliste alors bilingue, j’écoutais avec admiration les vieux réfugiés espagnols racontant leur révolution, Léo Ferré aux galas de la FA, etc.
Et puis un jour, sur le trottoir de je ne sais plus quelle rue, un petit jeune (devenu un petit vieux comme moi une petite vieille, - c’est pour rire !) qui vendait un petit journal, Voix Ouvrière. Moi, le mot ouvrier, ça me parlait, suis allée le voir. Et patatras ! D’abord un doigt, puis le bras, puis tout. Rendez-vous, lectures intensives, je ne savais rien, lui, comme d’autres ensuite, m’ont tout appris. Entre l’anarchisme et le marxisme, le communisme et le stalinisme, pas photo. Je suis devenue trotskyste.
Et voilà, le reste est une autre histoire.
Tout ça (beaucoup trop long, excuses) pour dire qu’on n’est pas condamné par le hasard de la naissance à une classe et à la vie qu’elle vous assigne. L’exploitation, le logement insalubre, les paies misérables, je n’ai rien vécu de tout cela, le lot de la condition ouvrière. J’étais matériellement une privilégiée. Mais bien des chemins peuvent amener à la conscience et l’engagement révolutionnaires.
Cependant, s’il n’y avait pas eu la guerre d’Algérie, la rencontre avec un militant FLN, une s… de belle-mère, etc. que serais-je devenue ? Beau mariage, mômes, bonnes et bagouzes ? Parfois je me demande, puis ne regrette rien. Je sais contre quoi et qui je me bats, j’en ai vécu une toute petite partie de l’intérieur, bien suffisante pour vomir le tout et travailler comme je peux à sa destruction.
, une série de quatre romans de Vicente Blasco Ibáñez sur la Révolution française (
). Ça ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval, mais j'en ai déjà trois sur les quatre...