Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longtemps

Marxisme et mouvement ouvrier.

Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longtemps

Message par Cyrano » 22 Jan 2023, 16:12

Albert Fournier avait été avocat. A 44 ans, en 1926, il est élu député communiste à Paris. C'est Albert Fournier qui parle au nom du Parti communiste en 1928 lors de la discussion sur le projet des assurances sociales.

Journal Officiel. Chambre des députés, séance du vendredi 9 mars 1928. Pages 1337-1344.
M. le président. … Dans la discussion générale, la parole est à M. Fournier, mandaté par le groupe communiste.

M. Albert Fournier. Messieurs, la France républicaine s'est enfin décidée, bien tardivement et da façon très timide, à s'intéresser à la question des assurances sociales. De nombreux pays étrangers, et parmi eux les plus voisins, ont introduit depuis des années déjà ce principe dans leur législation. L'Allemagne a commencé à s'y intéresser en 1881, il y a de cela quarante-sept années. Sans la guerre et sans le rattachement de l'Alsace et de la Lorraine à la France, il est permis de se demander si ceux qui gouvernent au nom de la démocratie auraient consenti à s'intéresser à ce sujet. […]

Le parti communiste tient à présenter ses critiques, à signaler les insuffisances du texte qui nous est proposé et à faire connaître l'esprit du contre-projet qu'il compte défendre.
De toute façon, ce n'est pas dans un but d'opposition systématique que le parti communiste intervient dans ce débat. […]

J'en arrive donc tout de suite aux corrections et modifications que M. Antonelli a exposées dans son rapport très complet.
Je donne lecture des demandes de correction auxquelles il peut être donné satisfaction sans modifier le texte du Sénat .
[…] [lecture de la la longue liste des articles à modifier : presque tout . Je ne transcris pas, ouf, ouf.].

Considérons d'abord l'assurance-maladie. En plus des frais médicaux et pharmaceutiques et des interventions chirurgicales, la loi accordera-t-elle les soins dentaires, les cures spéciales, les frais d'appareils de prothèse, d'orthopédie, de lunettes, de bandages, de bandes artificielles ?

M. le président de la commission. C'est incontestable.

M. Albert Fournier. Il faudrait le spécifier. Ce serait plus clair.

M. le président de la commission. Je l'ai dit. […]

M. Albert Fournier. Les prestations sont elles-mêmes insuffisantes. En cas de maladie, vous accordez le demi-salaire moyen. C'est insuffisant.
Nous sommes, nous, comme nous l'avons dit lors de la discussion de la proposition de loi sur les accidents du travail, pour le salaire vital. Il faut donner à ceux qui ne peuvent pas gagner leur vie par leur travail un salaire leur permettant de vivre.
Nous sommes, d'autre part, contre le délai de carence. Vous l'avez fixé à six jours. Nous pensons que, dès les premiers jours, le travailleur malade doit être secouru.

Nous n'acceptons pas les 15 et 20 p. 100 que vous voulez faire payer à l'assuré. C'est un contrôle singulier. Vous pensez qu'ainsi il sera moins incité à recourir au praticien. On ne va chez le médecin que lorsqu'on est malade, on y va rarement pour le plaisir.
En ce qui concerne la maternité, vous parlez également du demi-salaire. Ce n'est point suffisant. D'autre part, les six semaines avant et six semaines après ne suffisent pas. Nous demanderions huit semaines. En effet, la femme qui travaille deux mois avant l'accouchement le fait au prix de sa santé et surtout de celle de l'enfant. Il faut donc qu'elle puisse, dès ce moment, abandonner son travail.

En matière d'invalidité, le taux de pension fixé à 10 p. 100 est insuffisant. De plus, vous éliminez les invalides de moins des deux tiers et vous soumettez les pensionnés à un régime de surveillance, de visites et de contre-visites qui nous paraît dangereux.
Enfin, la gratuité des soins médicaux et pharmaceutiques n'est accordée aux invalides que pendant les cinq premières années. Nous la réclamons d'une façon constante.

En ce qui concerné la vieillesse, nous pensons que l'âge de soixante ans est trop élevé. Les statistiques officielles de la mortalité prouvent que le quart à peine des gens atteignent et dépassent soixante ans. Vous serez d'accord avec moi pour dire que, si cela est vrai pour la collectivité, ce doit être aussi vrai, sinon plus, pour les travailleurs. Plus on a travaillé, peiné, souffert, plus on doit être usé. Cela est exact pour le matériel; ce doit être exact pour les humains.
L'ouvrier, à soixante ans, ne jouira pas de sa pension. C'est un leurre, un mirage ; or, dans une loi semblable, il ne convient pas d'agir de la sorte ; il faut donc abaisser l'âge.

Enfin, il y a une insuffisance, que je qualifie de majeure en ce qui touche le chômage.
En vérité, le chômage n'a pas la part belle dans votre loi. Je sais bien qu'il y a eu des manifestations de points de vue opposés, qu'il a fallu répondre à des attaques et à des critiques, mais enfin le fait est là: votre texte ne prévoit presque rien pour le chômage.[…]

La confédération générale du travail, en 1920, dans un de ses comités confédéraux nationaux a, en effet, senti qu'il y avait là une faiblesse. Elle a demandé qu'on fasse un peu plus pour le chômage. En 1927, également, elle a, dans un de ses congrès, voté une résolution demandant que l'on envisageât une mesure pour le chômage. Sur ce point, ni le parti communiste, ni la confédération unitaire n'ont varié un seul moment; toujours ils uni été pour l'incorporation de l'assurance-chômage dans la loi. […]

Les crises de chômage nous ont prouvé qu'il faut beaucoup plus, et elles ne sont pas près de prendre fin, car, avec la période de rationalisation dans laquelle nous rentrons, de nombreux ouvriers sont jetés sur le pavé.
Je n'ai pris qu'un exemple; vous le connaissez comme moi. Dans une brochure qu'elle a publiée, la maison Michelin montre quelles sont les réductions de personnel qu'elle a opérées dans son seul atelier de mécanique d'entretien. Sur un effectif de 443 ouvriers, qui aurait été nécessaire en 1920 pour produire 300 pièces par jour, elle a pu arriver à une réduction de 158 ouvriers.
Le résultat normal, certain, de la rationalisation capitaliste, c'est le chômage. Or, l'ouvrier qui n'aura pas de travail devra vivre quand même; c'est donc un problème qui mérite attention. […]
L'assurance-chômage doit donc être mise à la charge des patrons et de l'Etat responsable de ces crises. Nous n'acceptons pas qu'on considère .le chômage comme un risque professionnel ; nous disons qu'il est un risque social. […]

Nous estimons que cette tentative, qui, soi-disant, doit avoir un caractère provisoire, est tout à fait regrettable. Nous soulignons cette carence, en ce qui concerne 1'assurance-chômage. Une véritable loi sur les assurances sociales ne saurait porter ce titre sans y comprendre l'assurance relative au chômage.

Telles sont, messieurs, les trop nombreuses insuffisances du projet qui nous est renvoyé par le Sénat. Mais, à côté des insuffisances, il y a pire, il y a les dangers et les menaces. Je crois devoir les dénoncer.

D'abord, les cotisations. Je n'apprendrai rien à personne en disant que noue ne sommes pas partisans de la double cotisation, ni de la cotisation ouvrière.

M. Henri Barabant. Alors, il n'y aura pas d assurances sociales.

M. Albert Fournier. Nous le verrons tout à l'heure.
Voyons les arguments qui ont été donnée pour faire payer la cotisation. Hier, M. Lobas, avec force, en a résumé certains.
Premier argument: «L'ouvrier doit accepter la cotisation, -car elle lui donnera le droit de réclamer sa part de gestion». -t-il été dit.
A notre avis, le droit de gestion des assurés est total et n'est nullement acquis par un versement quelconque. L'intéressé a le droit de gérer lui-même sa propre affaire aire et de disposer de ce qui lui appartient; le subordonner l'acceptation de la cotisation c'est avoir une mauvaise perception des assurances sociales.

Deuxième argument: «Les assurances sociales sont une œuvre de solidarité demandant un effort de tous.» C'est, évidemment, une œuvre de collaboration entre le patronat et la classe ouvrière qui nous est- proposée. L'assurance sociale présentée sous cette forme constitue une véritable nationalisation de la misère des travailleurs.

Troisième argument: « L'ouvrier peut payer la cotisation, car il a le moyen de faire augmenter d'autant son salaire par l'action syndicale.»
La réponse est aisée. L'action pour le refus du versement de la cotisation est préférable à l'action pour sa récupération par une augmentation des salaires. Si les ouvriers sont assez forts pour arracher des salaires ils seront également assez forts pour empêcher que l'on prélève une cotisation sur ce qu'ils gagnent. Moins que jamais nous ne pouvons accepter une cotisation ouvrière à l'heure où le patronat poursuit une politique acharnée de diminution des salaires. […]

Les cotisations admises comme base financière du projet du Sénat prennent aux yeux des travailleurs – et ils le disent – le caractère le caractère d'une véritable escroquerie nationale. Si nous retenons le chiffre de 45 milliards de salaires payés en France, nous voyos que, sur ce chiffre il y aurait 2.250 millions représentant les 5 p. 100 des ouvriers et 2.250 millions représentant les 5 p. 100 du patronat. La classe ouvrière serait donc frappée, à partir de la promulgation de la loi, d'un nouvel impôt direct correspondant à ces 2.500 millions de cotisations ouvrières. Quant aux 2.500 millions de versements patronaux, ils seraient récupérés sur les consommateurs, c'est-à-dire qu'ils constitueraient un impôt indirect frappant encore les travailleurs.

M. le président de la commission. Mais en échange de leurs versements, les ouvriers ne recevront-ils rien?

M. Albert Fournier. […] La confédération générale des travailleurs unitaires s'est élevée tout de suite et avec force contre la cotisation ouvrière. «Les travailleurs, a-t-elle dit, ne doivent pas voir leur situation aggravée par une loi sdoi-disant destinée à leur venir en aide.» […] Nous rejetons ce double prélèvement et surtout le prélèvement ouvrier. […]

En 1910, lors de la discussion de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes, le groupe socialiste s'est divisé; mais une fraction assez importante, suivant Jules Guesde, s'est élevée contre le principe de la cotisation ouvrière. […]
Jules Guesde s'exprimait ainsi, à la séance du 30 mars 1910:
« Je dis que ces 80 millions par an enlevés à la classe ouvrière constituent un prolongement et une aggravation de l'exploitation patronale. Après l'employeur qui prélève sur le produit du travail ouvrier le plus qu'il peut, un maximum de bénéfices, de dividendes et de profits, vous voudriez, vous, pouvoirs publics, vous, élus du suffrage universel, ajouter une nouvelle prise à la prise déjà opérée; c'est ce qui me parait impossible et, si 'osais aller jusqu'au bout de ma pensée, je vous dirais: vous ne pouvez pas doubler le vol patronal d'un vol législatif.»

L'amendement présenté par Jules Guesde s'opposait à tout prélèvement sur le salaire ouvrier. Il était en sorte la reproduction d'un texte que son auteur avait déjà proposé en 1894 et par lequel il entendait interdire toute retenue sur le salaire pour la constitution des caisses de secours et de retraites.
Telle était la pensée de Jules Guesde et de nombreux socialistes. Nous estimons que nous restons dans la tradition en nous opposant à l'adoption de la cotisation ouvrière. […]

Les maladies elles-mêmes sont le plus souvent engendrées par le fait de la vie en société, et ce que j'entends établir, c'est la responsabilité de la société dans la circonstance. Les maladies sont soit épidémiques, soit endémiques. Elles dépendent du climat ou du sol, de l'insuffisance de protection de la santé publique ou de la mauvaise organisation du travail au regard de l'hygiène.
C'est ainsi que la tuberculose et la syphilis sont des maladies sociales. Qui est responsable d'avoir mal organisé le travail et mal protégé contre les épidémies les êtres humains, sinon la société ?
La société a donc le devoir de couvrir ces risques.
De même, l'alcoolisme est une autre maladie sociale.[…]

Pour l'assurance-vieillesse, à 55 ans, après 37 ans de travail, l'ouvrier a bien acquis le droit au repos avant que son organisme ne soit dans un état physique trop précaire.
S'il a travaillé dans une usine rationalisée, s'il est égoutier, mineur, terrassier, fondeur ou tisserand, par exemple, l'ouvrier est assez usé à l'âge de 50 ans pour mériter la tranquillité que peut lui assurer une retraite suffisante.
Le progrès ne consiste pas à accorder une pension de retraite à un demi-mort ayant perdu la majeure partie de ses facultés, mais au travailleur qui a donné à la collectivité son temps de travail assidu.
Une société qui permet l'oisiveté et une vie de débauche et de plaisir à ses privilégiés ne saurait trouver exagérées les prétentions légitimes des vieux, travailleurs. [...]

Je me résume.
Le parti communiste, d'accord avec la C. G. T. U., n'est pas pour le vote de n'importe quelle loi sur les assurances sociales. Ni le parti communiste, ni la C.G.T.U., n'entendent aider le capital à enchaîner davantage le prolétariat sous le couvert de la solidarité ou de la prévoyance.
Nous avons donc déposé un contre-projet. Nous présenterons, s'il est repoussé, des amendements au texte de la commission.
Depuis 1920, le prolétariat de ce pays vit sur la promesse de la loi sur les assurances sociales, véritable panacée des maux de la classe ouvrière. Depuis 1920, on retire les projets pour les sortir à la veille de nouvelles élections.
On fait autour de cette loi une démagogie électorale odieuse. Nos préoccupations sont tout autres. Il faut qu'une bonne fois pour toutes les parlementaires soient mis en face de leurs responsabilités.

Ceci dit, le parti communiste et la confédération générale du travail unitaire rappellent aux ouvriers que, sur cette question comme sur celle des salaires et sur toutes les revendications qui posent à leur origine le problème du régime actuel, les assurances sociales, telles que la classe ouvrière devrait en bénéficier, ne pourraient et ne pourront se réaliser que le jour où le prolétariat, par la force, en aura imposé la charge aux profiteurs du capital.

(Applaudissements à l'extrême gauche communiste.)
Cyrano
 
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Re: Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longt

Message par Zorglub » 22 Jan 2023, 18:54

Merci pour cette trouvaille. Le galimatias de la gauche et de son CNR ramené à ce qu'il est, la nationalisation de la misère.
Zorglub
 
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Re: Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longt

Message par Cyrano » 24 Jan 2023, 10:55

L'intervention d'Albert Fournier, député du PCF, en 1928 est particulièrement savoureuse.
Ce que le PCF dénonce, ce qu'il refuse en 1928, ce sera pourtant accepté dans la Sécurité sociale mise en place à la Libération – une Sécu tant vantée par le PCF de 1945 reniant ce qu'il avait dit et écrit en 1928. Même remarque pour la CGT de la Libération caguant sur ce qu'elle refusait en 1928 sous le sigle CGTU.
On peut s'amuser à comparer ce que le PCF disait en 1928 et les articles sur la Sécu des ordonnance du 19 octobre 1945 (et du 4 octobre pour les cotisations). Ça sent le kif-kif, bonnet blanc – blanc bonnet.

Le ticket modérateur:
PCF en 1928: Nous n'acceptons pas les 15 et 20 p. 100 que vous voulez faire payer à l'assuré. C'est un contrôle singulier. Vous pensez qu'ainsi il sera moins incité à recourir au praticien. On ne va chez le médecin que lorsqu'on est malade, on y va rarement pour le plaisir.
Ordonnance de 1945: Article 24 : La participation de l'assuré aux tarifs prévus aux articles 10, 11, 14, 16, 18 et 19 ci-dessus est fixée à 20 p. 100.

Les prestations en cas d'arrêt-maladie:
PCF en 1928: Les prestations sont elles-mêmes insuffisantes. En cas de maladie, vous accordez le demi-salaire moyen. C'est insuffisant.
Ordonnance de 1945: Article 27. L'indemnité journalière est égale à la moitié du gain journalier de base.

Délai de carence:
PCF en 1928: Nous sommes, d'autre part, contre le délai de carence. Vous l'avez fixé à six jours. Nous pensons que, dès les premiers jours, le travailleur malade doit être secouru.
Ordonnance de 1945: Article 26. L'indemnité journalière prévue à l'article 22 b est accordée à partir du quatrième jour qui suit le point de départ de l'incapacité de travail.

Le congé-maternité:
PCF en 1928: En ce qui concerne la maternité, vous parlez également du demi-salaire. Ce n'est point suffisant. D'autre part, les six semaines avant et six semaines après ne suffisent pas. Nous demanderions huit semaines.
Ordonnance de 1945: Article 46. Six semaines avant la date présumée de l'accouchement et huit semaines après celui-ci, l'assurée reçoit une indemnité journalière de repos calculée comme il est indiqué à l'article 27 [demi-salaire].
A bin tiens? Les mères ont gagné magnanimement 2 semaines après leur accouchement par rapport à 1928.

Les cotisations :
PCF en 1928: D'abord, les cotisations. Je n'apprendrai rien à personne en disant que noue ne sommes pas partisans de la double cotisation, ni de la cotisation ouvrière. […].
Premier argument: «L'ouvrier doit accepter la cotisation, -car elle lui donnera le droit de réclamer sa part de gestion». a-t-il été dit. A notre avis, le droit de gestion des assurés est total et n'est nullement acquis par un versement quelconque. L'intéressé a le droit de gérer lui-même sa propre affaire aire et de disposer de ce qui lui appartient.
[…] La confédération générale des travailleurs unitaires s'est élevée tout de suite et avec force contre la cotisation ouvrière.

Ordonnance de 1945 (4 octobre) : Art. 32. Le taux de la cotisation des assurances sociales est de 12 p. 100. La moitié de la cotisation est à la charge de l’employeur, l’autre moitié à la charge du salarié ou assimilé.
L'Humanité du 10 mars 1928 avait sous-titré: «L'escroquerie au prélèvement sur le salaire.»

Si on prend les grandes lignes, on comprend ce qu'écrivait Ambroise Croizat en 1947, sur les différences Assurances sociales de 1928-1930 et la Sécurité sociale de 1945-1946 :
«Dans le projet français, la grande nouveauté est l'assurance de la longue maladie, qui permettra aux malades, aux tuberculeux notamment, non seulement de percevoir, pendant trois ans, une allocation substantielle, mais surtout de recevoir gratuitement sous la surveillance constante de leur caisse les soins de toute nature qu'exigerait leur état.»
Cyrano
 
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Re: Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longt

Message par Gayraud de Mazars » 24 Jan 2023, 12:30

Salut camarades,

Les lois sociales de la Libération furent le fruit d'un compromis historique entre la bourgeoisie et le mouvement ouvrier. Quelques réformes et la création d'organismes paritaires en échange de l'encadrement de la classe ouvrière pour la faire produire et du renoncement à toute tentative révolutionnaire. Compromis qui a duré jusqu'à une période récente et auquel la majorité de la bourgeoisie et de ses politiciens paraissent décider à mettre fin vu le changement du rapport de forces et le durcissement de la concurrence internationale.

On pourrait dire assez de la légende du CNR, largement propagée par le PCF. Mais c'était malgré tout progressiste. Dans les faits, le parti Communiste à quand même vendu les travailleurs pour aider la bourgeoisie à reconstruire tout son système, à faire repartir l'économie capitaliste, fut-ce en faisant nationaliser quelques entreprises. La bourgeoisie à effectivement du accepter ce contrat, jusqu'à une époque récente. Maintenant, elle se sent les mains libres, et c'est la guerre totale contre les travailleurs.

Presque 78 ans de la Sécurité Sociale...

«La sécu, elle est à nous, on s’est battus pour la gagner on se battra pour la garder ! » Combien de fois, dans les cortèges, avons-nous entendu cette juste revendication !

Dès le Moyen-âge, mais surtout dès les XVIe et XVIIIe siècles, les travailleurs ont cherché à s’organiser contre les malheurs de leur temps, par les aides, les charges de bienfaisance et de secours, qui furent assumées par les confréries, les corporations, les compagnonnages ; tout cela était affaire de charité plus ou moins bien ordonnée, sachant que les miséreux étaient susceptibles de répression et condamnés pour vagabondage !

La Révolution française, par la Loi le Chapelier de 1791, supprime les corporations et condamne tout ce qui peut porter atteinte à la liberté individuelle. Cependant, dans la loi, elle reconnait le devoir théorique de l’Etat d’apporter une assistance nationale. Tout au long du XIX° siècle, le développement des théories du libéralisme et de l’individualisme a réduit l’assistance publique à un phénomène et un mécanisme inhumain et humiliant ! On voit apparaître les caisses d’épargne, les compagnies d’assurance, les Mont-de-Piété ; même les groupements mutualistes ne sont tolérés que par leur neutralité politique et sont strictement surveillés. Toutefois, ils ont servi de support à la résistance ouvrière comme celle des Canuts de Lyon en 1831. À partir de la fin du XIX° siècle et au début du XXe siècle nait une législation sociale. En 1893 apparaît l’assistance médicale gratuite et en 1905 l’assistance aux vieillards et aux infirmes, mais devant l’échec des caisses de retraites privées se créent les premiers régimes d’assistance obligatoire comme celles des mines, en 1894, des chemins de fer en 1909, retraites ouvrières et paysannes en 1910. Enfin, la loi du 8 avril 1898 fait jouer la responsabilité de l’employeur en cas d’accident du travail.

Cependant, l’Allemagne de Bismarck et la Grande-Bretagne furent novatrices bien avant la France en matière de « sécurité sociale », assurance maladie en Allemagne dès 1893, prestations maladie et chômage en Grande-Bretagne en 1911…

La période de 1919 à 1939 est marquée en Europe et en Amérique par un développement des assurances sociales inspirées du modèle allemand. Elles ont pour principe « de protéger les plus pauvres des salariés de l’industrie, contre certains risques en s’inspirant du système de l’assurance ».

L’Europe  occidentale d’après-guerre entre dans une période de profondes réformes sociales ; c’est le welfare state ou l’Etat-providence. Des systèmes de sécurité sociale voient le jour en Belgique ; en France et en Grande-Bretagne, l’Etat intervient fortement dans l’économie et le domaine social : partout, on nationalise. La crise de surproduction des années 30 est analysée comme une faillite du libéralisme, engendrant le chômage et autres calamités. D’ailleurs, l’intervention de l’Etat pendant la guerre a fait preuve de son efficacité, dans l’effort de guerre par exemple. Elle a aussi et surtout non seulement mis en évidence l’efficacité de l’Etat et sa capacité à établir un peu d’égalité dans les sacrifices, mais a créé une aspiration dans les populations à un mieux vivre dans un monde plus juste.

En France, le programme d’action du CNR adopté en mars 1944 prévoit « Le retour à la nation des moyens de production monopolisés […] des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurance et des grandes banques ».

La charte du CNR prévoit notamment, sur le plan économique, l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie. Elle prévoit une organisation rationnelle de l’économie, avec le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun. Enfin elle prévoit le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie.

Sur le plan social, la Charte du CNR réclame le droit au travail et le droit au repos, un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine. Elle prévoit aussi un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas, où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec la gestion du système appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat, et une retraite permettant aux vieux travailleurs de vivre dignement jusqu’à la fin de leur vie.

A la libération, pour les entreprises dont les patrons avaient collaboré avec l’ennemi, les nationalisations se font « par en bas » comme chez Berliet à Lyon. A Toulouse, dans l’aéronautique, on aboutit à la création de comités mixtes à la production, même si les directions patronales protestent contre ces « spoliations ». Chez Renault ou dans les mines du Nord-Pas-de-Calais, la situation est plus compliquée, certains cadres sont arrêtés ou révoqués. Chez Renault, placé sous séquestre, c’est la nationalisation.

Les mouvements de résistance, la CGT et le Parti communiste, font pression sur les chefs d’entreprise, pour qu’ils « collaborent » avec eux dans le cadre de « comités patriotiques d’entreprise ». La classe ouvrière au sortir de la guerre aspire à de nouveaux rapports sociaux avec l’entreprise.

Pour les résistants, ces comités se devaient d’être l’organe d’un contrôle ouvrier, ou d’une participation directe à la gestion, les syndicats devant jouer un rôle premier. A cette époque, 65 % des Français et 79 % des ouvriers estimaient devoir participer à la gestion des entreprises. Si la création des comités d’entreprise a suscité la vindicte des chambres patronales, il faut rappeler que la CGT et le PCF ne croyaient pas à la cogestion en régime capitaliste. Cependant, le PCF ne poussait pas alors aux nationalisations, préférant comme mots d’ordre : « la lutte contre les trusts et la confiscation des biens des traîtres ». De plus, les communistes hésitaient sur le statut des nationalisations dans un régime qui reste capitaliste. près l’élection de l’Assemblée constituante du 21 octobre 1945, les nationalisations sont mises en chantier avec l’appui de la population. Mais les nationalisations n’ont pas été faites pour transformer la condition ouvrière, elles visaient plutôt à moderniser l’économie en donnant à la puissance publique la maîtrise des investissements dans le secteur public.

Même la planification qui se met en place à cette époque ne vise pas à instaurer le socialisme en France, il s’agit de moderniser et d’équiper le pays. C’est dans ce climat, sous l’égide du communiste Ambroise Croizat, celui qu’on appelait « le ministre des travailleurs » et de Pierre Laroque, par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 que la Sécurité sociale a été créée, « destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptible de réduire ou de supprimer leur capacité de gains, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. »

Sur le principe, la Sécurité sociale reste « un système de protection pour les individus et leurs familles, contre un certain nombre d’éventualités susceptibles de réduire ou de supprimer leurs ressources, ou de leur imposer des charges supplémentaires. »

La Sécurité sociale, c’est une réorganisation de ce qui existait avant, on ne partait pas de rien. La sécurité sociale, c’est la garantie de conditions de vie décentes. « La Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toute circonstance il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes […] Le but final à atteindre et la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité » (exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945). Son principe consistait à unifier les différents régimes d’assurance sociale en un régime unique. « Cette unité de la Sécurité sociale s’entend en un double sens : d’une part, elle signifie que tous les facteurs d’insécurité doivent être couverts par des institutions communes ; d’autre part, elle signifie que dans un même cadre géographique il ne peut et ne doit exister qu’une seule institution couvrant l’ensemble des bénéficiaires. »

On passait d’un régime d’assurance où chaque citoyen était couvert en fonction de ses versements, à un système de transferts sociaux, les prestations étant identiques quels que soient les revenus des assurés, tandis que les cotisations seraient proportionnées aux salaires. De plus, vieille revendication ouvrière, la gestion des caisses se ferait par les représentants élus des principaux intéressés, salariés et patrons. Dans l’imaginaire collectif, la création de la Sécurité sociale fait partie des « conquêtes de la Libération » ; cependant, le bilan est à nuancer. La Sécurité sociale s’inscrit dans un système capitaliste malgré sa création, les nationalisations des plus grandes entreprises et des principaux organismes de crédit…

Le programme économique et social de la Résistance était ambitieux et le gouvernement de De Gaulle avec les ministres communistes l’a réalisé dans ses grandes lignes, toutefois, bien sûr, sans instaurer pour autant le socialisme.

Ce qui apparait comme un progrès à défendre aujourd'hui, la sécurité sociale, a été au sortir de la guerre, qu'un compromis entre la bourgeoisie et le mouvement ouvrier, dominé à l'époque par la CGT et le PCF...

Fraternellement,
GdM
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Re: Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longt

Message par com_71 » 24 Jan 2023, 12:57

Il serait bien que tu donnes la (les ?) source(s) de ces développements bien discutables.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longt

Message par Gayraud de Mazars » 24 Jan 2023, 13:03

Salut camarade Com,

La source en partie, un article que j'avais écrit pour La Riposte en 2015... Plus quelques commentaires d'échanges que j'avais eu avec des camarades sur la question...

Fraternellement,
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Re: Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longt

Message par com_71 » 24 Jan 2023, 16:33

Bien. Donc tu parles d'"un compromis entre la bourgeoisie et le mouvement ouvrier, dominé à l'époque par la CGT et le PCF..." pour ce qui fut la politique du gouvernement que s'était donné la bourgeoisie française.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longt

Message par Cyrano » 24 Jan 2023, 17:44

Gayraud:
«On pourrait dire assez de la légende du CNR, largement propagée par le PCF. Mais c'était malgré tout progressiste.»
Ah, le CNR, malgré tout, hein, ah oui, ah là là, c'était quelque chose. Mais zut, pourquoi ne pas aller le voir ce satané programme dont le PCF et la CGT nous rabâchent maintenant les oreilles – alors qu'il était tombé dans l'oubli. Et même Fabien Roussel qui parle des jours heureux, puisque certaines publications du programme du CNR étaient sous-titrées ainsi.

On peut y regarder ensemble dans ce programme jugé progressiste ?
En mars 1944, lorsque paraît le fameux programme, les soldats allemands étaient encore partout en France, y'avait pas eu de débarquement en Normandie ou en Provence, ni à Golfe-Juan en provenance de l'ile d'Elbe.
Aussi ce programme est avant tout un programme de lutte – de résistance, en somme; un texte qui tient en même pas 3000 mots.
Après une brève entrée en matière, le gros du texte est occupé par un "Plan d'action immédiate" qui n'est qu'un plan de guerre contre l'occupation allemande. Ensuite, on trouve un chapitre de "mesures à appliquer à la libération", deux fois moins important que le plan d'action immédiate. Une p'tite conclusion et puis c'est tout.

C'est dans la deuxième partie qu'on peut trouver un chapitre "b) Sur le plan social". Nous y v'la dans les mesures progressistes.
Pour s'amuser, on peut visualiser cette partie "(b" en la surlignant. Vous la voyez, là en jaune? Ah OK, dis donc, c'est concis non?
Si peu? Et c'est avec ça qu'on me gâte la mousse de ma bière en ramenant les mesures sociales du programme du CNR. Ça doit pas être très détaillé.
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Re: Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longt

Message par Cyrano » 24 Jan 2023, 17:49

Donc, vous m'suivez, on est en "b) Sur le plan social". Alors, vite, y'a quoi comme plan social dans cette partie jaune (voir ci dessus, svp)?
Pour la "Sécurité sociale", y'a écrit:
«un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État
C'est le titre, non? mais non, pauvres buses, c'est pas le titre c'est le texte, le fameux plan sur la Sécu, vous l'avez sous les yeux. Eh oui, c'est tout, c'est un peu vague.

On va se consoler avec les retraites, ça sera peut-être plus causant:
«une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours
Hein? sans déc? Encore plus subliminale que le "plan" pour la Sécu? Oui, c'était possible, la preuve.

Ça serait tordant si on mettait ça dans un film avec un fan-club qui applaudit: des paroles progressistes et creuses proférées par n'importe quel démago-gogue [pas terrible l'écriture inclusive, là].

Cher Gayraud, franchement, pfff, oublions ce pauvre CNR mis en place par Jean Moulin sur demande de de Gaulle qu'avait besoin de ça pour bomber le torse auprès des alliés.
Cyrano
 
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Re: Sécurité sociale, retraites : ce qui se disait y'a longt

Message par Cyrano » 25 Jan 2023, 14:54

Gayraud, j't'en veux pas, mais dis moi. Tu écris:
«"La sécu, elle est à nous, on s’est battus pour la gagner on se battra pour la garder ! " Combien de fois, dans les cortèges, avons-nous entendu cette juste revendication !»

Cette juste revendication?
Mais quand la sécu a-t-elle été à "nous"? Quand? j'voudrais bien le savoir. Pasque si la sécu est à "nous", y'a pas d'quoi pavoiser et le crier sur les toits. "Nous" n'avons même pas pu empêcher la fin de la franchise postale entre la Sécu et ses assurés. Alors…

Et encore pire: quand s'est-on battu pour l'avoir?! Celle-là elle est bien bonne. L'Huma du 30 septembre 1945 a juste vaguement parlé des ordonnances à paraître (en octobre). En n'utilisant même pas l'expression "sécurité sociale" mais "assurances sociales". On va peiner à trouver des combats pour cette Sécu. Pourquoi trouver juste une telle ânerie?

Alors, il nous reste «Nous nous battrons pour la garder». Bien sûr, bien sûr, avec des généraux comme ça: de défaite en défaite jusqu'à la victoire finale?
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