En m'y reprenant à plusieurs fois, j'ai lu le dernier ouvrage de CD ("casus belli"). 
Le livre est bien écrit comme toujours, mais n'est pas toujours facile. On peut être rebuté par son amour immodéré des définitions prises de tête, les descriptions par le menu de tortures indiennes raffinées, les discussions pointues sur les motifs comparés pour lesquels on peut manger son voisin, les différentes formes de chasses aux têtes et autres joyeusetés pratiquées par nos ancêtres (y compris les nobles et gentils Iroquois). On découvre que la chasse aux têtes a été un sport beaucoup plus répandu que je le croyais, moi qui ne connaissais que les Jivaros et les Arumbayas de l'Oreille cassée ! Le nombre de peuples cités, de références impressionne. Et comme CD assume sa filiation avec le courant marxiste, dans le cours du livre comme en conclusion, cela nous le rend sympathique. 
Ceux qui veulent juste jeter un oeil peuvent s'économiser la première partie sur les différentes formes d'affrontements dans les sociétés primitives, d'autant qu'une annexe reprend ses définitions ("conventionnaires" ou pas, "résolutoires" ou non). En, gros, il distingue dans ces confrontations brutales, d'une part celles qui relèvent de la sphère privée de celles qui relèvent de l'affrontement collectif. Et aussi celles qui se donnent des limites, comme les duels arrêtés "au premier sang", ou combats entre champions : Horaces contre Curiaces, David contre Goliath, les tournois (ou le sport moderne). Se surimpose une autre distinction entre les conflits qui  aboutissent à une conclusion ("résolutoires") ou pas (peuples ou tribus en guerre permanente comme dans la Guerre des Boutons ou Les rivaux de Painful gulch chez Lucky Luke). 
Si on trouve qu'il coupe les cheveux en quatre (huit, douze ou plus), quand on lit la suite, les débats qui opposent "faucons" vs "colombes ", on comprend qu'il en ait eu besoin de pour éviter de tomber dans des généralités et dire un peu n'importe quoi. Même quand on ne partage pas son amour immodéré de la définition précise et des tableaux à double entrée.
Pour moi, le plus intéressant c'est la fin, les chapitres 7 ("l'enjeu des ressources") et 9 (conclusion). Il montre que les ressources ne sont pas un enjeu des guerres primitives. Si ce n'en est pas un dans les buts proclamés, on pourrait dire que c'est pareil aujourd'hui : en Ukraine l'Europe défend "la liberté", la "démocratie", des idéaux et pas des terres, rares ou pas. Mais ce n'en est pas un non plus dans ce qu'ils font. Il donne quantité d'exemples où des victoires ne s'accompagnent ni de pillages ni d'accaparement de territoires ou de ressources. Ou  alors de ressources symboliques comme les têtes, dont l'utilité sociale objective est mince, avouons-le...  Le raisonnement matérialiste n'est pas évacué, et il donne des raisons objectives à ces affrontements : en gros, dans un monde où les groupes humains sont très dispersés, ne se côtoient guère, sauf entre groupes connus et alliés, tout "étranger" est perçu comme un ennemi potentiel. Au risque de ne pas nous plaire, Il fait référence (mais sous forme d'hypothèse) au comportement des primates. Pour les humains, l'amélioration des techniques et le progrès des forces productives accroît la densité des populations et fait naître la possibilité de ces conflits autour de ressources que l'on peut désormais accaparer et stocker.   
La conclusion nous parle davantage avec des réflexions sur l’État, et la réaffirmation bienvenue que tout cela n'est que transitoire. L’État qui a "le monopole de la violence légitime" selon la définition de Max Weber admise sans réfléchir par les sociologues a canalisé la violence, mais comme il dit c'est "L’État contre la violence (des autres)". Et les États nationaux, qui semblent aujourd'hui si ancrés dans l'histoire des hommes ne sont qu'une forme d'organisation du territoire. Demain, avec une organisation de la production  au niveau de la planète, ils nous sembleront aussi ridicules et surannés que les guerres entre comtes et barons du Moyen-Age. 
Cela vaut le coup au moins de jeter un oeil aux chapitres 7 et 9, et même de prendre le temps de le lire sérieusement. Le livre a eu plein de bonnes critiques, et elles me semblent plus que méritées.
			
		

