Social-démocratie libertaire : régression ou pari?

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par mael.monnier » 12 Août 2004, 19:31

En réponse à ton dernier message PROUDHON :

J'ai trouvé un autre exemple en Amazonie avec les huaoranis :
a écrit :La vie sociale du Huaorani est caractérisée par une absence de la hiérarchie et par une division naturelle de labour; personne donne des ordres. Malgré les rôles différents en rapport avec le sexe, il est clair qu'un trait caractéristique du Huaorani est l'égalité qui existe entre les hommes et femmes". Les hommes sont responsables de la chasse, de clarifier la forêt de la pluie pour les jardins, protéger la famille, faire des armes. Les femmes prennent soin des jardins, cuisinent, regardent les enfants, et font les objets utilisés dans la vie journalière. Mais, il n'y a pas de règles rigides.
(Source : http://www.kanada.net/worker/huaorani_fr.html)

Quant à l'exemple que tu donnes en Chine, pour confirmer qu'il y aurait une domination masculine inhérente à la nature humaine, j'ai trouvé des infos sur la communauté Moso qui montre le contraire de ce que tu veux prouver :
a écrit :
Au sud-ouest de la Chine, sur les contreforts de l'Himalaya, une ethnie de 30 000 habitants encore peu connue préserve à travers les âges des traditions et des rites particuliers. Étonnante résistance du peuple Moso, ce "royaume féminin" isolé, où nos conceptions occidentales chancellent.

Dans cette enclave coupée du monde, la femme joue un rôle de premier plan.



Les mères sont les piliers de la société. Seule l'ascendance féminine est prise en compte et la transmission du nom comme des biens est exclusivement féminine. La notion de père est inexistante. Les hommes et les femmes ne vivent pas en couple mais chacun dans sa famille d'origine. Plusieurs fois par an, l'homme va rejoindre pour quelques jours la mère et sa compagne attitrée. Plus l'homme vient de loin, plus le prestige de la femme est grand. Sans que cela soit ressenti comme de la légèreté sexuelle et tout en observant strictement le tabou de l'inceste, en particulier entre frère et sœur, les liaisons se nouent et se dénouent sans aucune contrainte sociale. Sans mariage ni infidélité, cette société exclut si radicalement la possession que la jalousie en devient honteuse.

[...]

La mère est chef de famille. Âgée, elle va préparer une de ses filles à sa succession. Il n'y a pas de partage du patrimoine à sa mort. La propriété communautaire reste la même de générations en générations et la famille, une fois sa subsistance assurée, ne fait pas d'effort pour l'agrandir au détriment d'autres familles ou embellir son patrimoine avec des oeuvres richement décorées. Il y aurait même un certain dédain ou une paresse pour ne pas améliorer la circulation de l'eau potable, installer un minimum de confort pratique et hygiénique. Au contraire chacun en profite pour organiser un rythme de vie paisible et agréable, avoir du temps pour lui.
(Source : http://www.fileane.com/eleusgate/atelier2/..._moso_chine.htm)

L'article précédent a été établi à partir du film documentaire " Un monde sans père ni mari", d'Eric Blavier et Thomas Lavachery sorti en 2000. Quant aux sïpi, je n'ai rien pu trouver sur eux sur le net...

L'article de France 5 sur le film :
a écrit :LES MOSO, LA TRIBU DES AMOURS LIBRES

Les Moso, la tribu des amours libres | Pour aller plus loin

"Les Moso, la tribu des amours libres" retrace l'histoire d'un peuple du Tibet, les Moso, dont les traditions donnent aux femmes la place qui leur convient : la première.

"Au début des temps, l'eau avait jailli de la roche. Le déluge avait couvert les champs, balayé les abris, noyé les hommes. Une femme survécut à la catastrophe. Surprise par le déferlement des eaux alors qu'elle nourrissait ses cochons, elle sauta dans l'auge de bois et fut portée par les flots. Seule sur l'étendue d'eau, la grande louche qu'elle tenait à la main lui servant de rame, la femme leva les yeux vers le ciel et, implorant les dieux, leur demanda un compagnon. Attendri, le bon esprit lui accorda cette faveur sous la forme d'un morceau de bois figurant un homme. Le bois alors s'anima. La femme avait un amant. Ainsi apparut le lac Lugu. Ainsi naquit le peuple moso."

Cette légende transmise oralement a près de 2 000 ans. Elle prit forme sur les rives du lac Lugu, à 2 700 mètres d'altitude, au Tibet, alors que la tribu moso venait de s'y implanter. Depuis lors, les Moso n'ont pas trahi leur légende. Imperméables aux us et coutumes des Chinois, leurs tuteurs, ils ont grandi au sein d'une structure familiale avant tout matriarcale. Chez eux, il n'existe ni certificat de mariage ni divorce.

Et pour cause ! Chacun est libre de vivre sa vie amoureuse comme il l'entend, à condition de respecter les lois de la consanguinité. Une femme ou un homme peut avoir un ou plusieurs partenaires qu'il retrouve discrètement la nuit. Quant au père, il ne vit jamais avec ses enfants, mais dans sa famille de naissance. L'organisation familiale écarte d'ailleurs toute personne étrangère à la lignée. Les frères et sœurs obéissent toute leur vie à leur mère, puis à la sœur aînée, lorsque la maman est décédée. Et à l'annonce d'une naissance, on souhaite avant tout une fille, les femmes disposant plus tard de l'autorité...
(Source : http://www.france5.fr/articles/W00068/923/)

Quant à la définition du communisme primitif, la voilà :
a écrit :Presque chaque année apportait, sur l'état économique des plus anciennes sociétés humaines, des aperçus jusque-là inconnus; ce qui amenait à conclure qu'il avait dû y avoir dans le passé des périodes extrêmement longues où il n'y avait pas encore de luttes de classe, parce qu'il n'y avait ni distinction de classes sociales, ni distinction entre riche et pauvre, ni propriété privée.

A noter que je n'ai jamais dit que le peuple mapuche, moso ou huaorani pouvaient être désignés comme des peuples vivant sous un communisme de type primitif.

(PROUDHON @ jeudi 5 août 2004 à 20:31 a écrit :La sortie des autres modes d'oppression ne dépendrait donc pas de la sortie du capitalisme.

Si je reprends le texte de Révolution Internationale que j'ai déjà cité, il est expliqué cela :
a écrit :Alors que dans ces sociétés archaïques l'économie domestique était une "industrie publique de nécessité sociale" confiée aux femmes (au même titre que la fourniture des vivres était confiée aux hommes), dans la famille monogamique patriarcale, elle est devenue un "service privé". La femme a, dès lors, été écartée de la production sociale et est devenue une "première servante" (Engels). Et ce n'est qu'avec l'apparition de la grande industrie dans la société capitaliste que la voie de la production sociale a pu être de nouveau ouverte à la femme. C'est pour cela que le marxisme a toujours mis en avant que la condition de "l'émancipation" de la femme se trouve dans son intégration dans la production sociale comme prolétaire. C'est dans sa place au sein des rapports de production, et dans sa participation active, en tant que prolétaire, dans la lutte unie de toute la classe exploitée que se trouve la clef du problème. C'est uniquement en posant la question en termes de classes et d'un point de vue de classe que le prolétariat pourra y apporter une réponse.

En renversant le capitalisme et en construisant une véritable société communiste mondiale, le prolétariat aura entre autres tâches celle de rétablir la socialisation de la vie domestique en la développant à l'échelle universelle (notamment à travers la prise en charge de l'éducation des enfants par l'ensemble de la société et non par la cellule familiale conçue comme première entité économique).

Sans renversement du capitalisme, la femme restera opprimée sexuellement. Car même en devenant prolétaire à son tour, le système capitaliste actuel fondé sur la propriété privée fait que la femme est toujours plus ou moins la bonniche, et que c'est toujours plus ou moins la femme qui est écartée de la production sociale de par son rôle lié à la reproduction.

Et même si un jour, sous le système capitaliste, la femme devient réellement l'égale de l'homme (congés de paternité égaux aux congés de maternité, service public de crèches permettant à chaque femme de faire garder son enfant, etc.), l'oppression sexuelle restera tant pour la femme que pour l'homme, et cela tant que le système capitaliste basé sur la famille et la propriété privée ne sera pas abolie. Les enfants seront toujours aliénés à leur famille de naissance, les femmes et les hommes resteront contraints de vivre en couple ou tout du moins au sein d'une famille économique qui entraveront leurs sexualités, etc. On ne peut donc parvenir à une véritable égalité et liberté chez les enfants, et à une véritable liberté sexuelle qu'en renversant le capitalisme.
mael.monnier
 
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Message par Proudhon » 12 Août 2004, 21:40

[QUOTE=mael.monnier,jeudi 12 août 2004 à 20:31]J'ai trouvé un autre exemple en Amazonie avec les huaoranis :
La vie sociale du Huaorani est caractérisée par une absence de la hiérarchie et par une division naturelle de labour; personne donne des ordres. Malgré les rôles différents en rapport avec le sexe, il est clair qu'un trait caractéristique du Huaorani est l'égalité qui existe entre les hommes et femmes". Les hommes sont responsables de la chasse, de clarifier la forêt de la pluie pour les jardins, protéger la famille, faire des armes. Les femmes prennent soin des jardins, cuisinent, regardent les enfants, et font les objets utilisés dans la vie journalière. Mais, il n'y a pas de règles rigides.


Quant à l'exemple que tu donnes en Chine, pour confirmer qu'il y aurait une domination masculine inhérente à la nature humaine, j'ai trouvé des infos sur la communauté Moso qui montre le contraire de ce que tu veux prouver :
Les mères sont les piliers de la société. Seule l'ascendance féminine est prise en compte et la transmission du nom comme des biens est exclusivement féminine.


Je n'ai jamais parlé de "nature humaine", ce qui supposerait des propriétés invariantes des humains, quelles que soient les époques historiques et les types de société; ce qui est contraire à de larges pans de la sociologie à laquelle je me réfère, qui a (comme Marx, quoique il a des penchants "naturalistes" dans des oeuvres de jeunesse comme les Manuscrits de 1844, où la notion de "nature humaine" intervient) une vision socio-historique de la condition humaine.

J'ai simplement suggéré que la domination masculine était ancienne (mais avec des figures diversifiées en fonction des contextes socio-historiques), plus ancienne que le capitalisme et qu'elle ne dépendait pas non plus de l'invention de la propriété privée.

Le premier cas que tu donne point justement une division sexuelle traditionnelle des rôles sociaux et des tâches ("l'intérieur" et le domestique pour les femmes/"l'extérieur" et la force physique pour les hommes).

Le second cas - qui est semble être le même, avec un nom différent, que celui que j'ai introduit - indique (comme c'était précisé dans mon extrait) que la filiation est matrilinéaire (qui ne reconnaît que l'ascendance maternelle), à ne pas confondre avec une société "matriarcale" (où le pouvoir serait aux femmes) ou "égalitaire" (car les indications de l'ethnologue Cai Hua que j'ai cité indique aussi une conception traditionnelle de la division sexuelle du travail).

Est-ce que cela signifie qu'il y aurait, comme le disait un précédent message, "une volonté de domination des hommes sur les femmes"? Est-ce qu'il y a une "volonté de domination des capitalistes sur les prolétaires" ou un "volonté d'accumuler du capital"? Il y a sans doute des volontés à l'oeuvre dans les formes d'oppression (domination masculine ou capitalisme), mais dans les analyses d'un Marx ou d'un Bourdieu, ce n'est pas le principal : il y a des "structures sociales" et des formes non-conscientes qui font que les dominants eux-mêmes sont dominés par leur domination. La naissance historique des diverses formes d'oppression humaine combinent en général différents facteurs, au sein desquels "la volonté" semble secondaire.

Tout cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas des interactions entre les modes d'oppression (par exemple entre la domination masculine et le capitalisme : la domination masculine préexistante contribue à donner une tonalité patriarcale au capitalisme et la domination masculine prend des formes nouvelles dans le capitalisme - par exemple dans les formes de hiérarchisation au sein du marché du travail), mais pas nécessairement une intégration des différentes formes d'oppression sous hégémonie capitaliste.

Abattre le capitalisme : oui! Mais ce n'est pas un préalable à l'élimination de la domination masculine. Abattre la domination masculine : oui! Mais ce n'est pas un préalable à l'élimination du capitalisme.


"Makhnovtchina, Makhnovtchina
Armée noire de nos partisans
Qui combattait en Ukraine
Contre les rouges et les blancs

Makhnovtchina, Makhnovtchina
Armée noire de nos partisans
Qui voulait chasser d'Ukraine
A jamais tous les tyrans"

("Makhnovtchina", Etienne Roda-Gil, 1968)
Proudhon
 
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Message par logan » 12 Août 2004, 22:10

Proudhon

La domination masculine est plus ancienne que le capitalisme. Engels le pote à Marx en a fait le constat il y a plus d'1 siècle.

Mais la domination masculine n'est pas universelle. Elle dépend de l'organisation sociale. Certaines tribus iroquoises relèguent les hommes au rang d'individus subordonnés au bon vouloir de leur compagne.

Les oppressions seraient 'indépendantes" du capitalisme?
Mais Comment élimine tu le racisme sous le capitalisme ?
Comment élimine tu la misère sous le capitalisme?
Comment élimine tu les intégrismes religieux sous le capitalisme?

Dans tes discours il y a un fond matérialiste
Mais alors il faut aller jusqu'au bout : comprendre dans quelle mesure les oppressions sont déterminées par l'organisation de la société.

Et Tes remarques méritent trop d'approfondissements.
Je te conseille la lecture de ceci> Feuerbach - Marx
et ceci>l'origine de la famille - engels 1884
logan
 
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Message par logan » 12 Août 2004, 23:51

a écrit :Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, néces­saires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré de développe­ment donné de leurs forces productives matérielles.
L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle, sur quoi s'élève superstructure juridique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de produc­tion de la vie matérielle conditionne le procès de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des homme qui détermine la réalité c'est au contraire la réalité sociale qui détermine leur conscience.

A un certain stade de leur développement les forces productives de la société entrent en contradiction avec les rapports de produc­tion existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété à l'inté­rieur desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes évolutives des forces productives qu'ils étaient, ces rapports deviennent des entraves de ces forces. Alors s'ouvre une ère de révolution sociale.
Le changement qui s'est produit dans la base économi­que bouleverse plus ou moins lentement ou rapidement toute la colossale superstructure. Lorsqu'on consi­dère de tels bouleversements, il importe de distinguer toujours entre le bouleversement matériel des condi­tions de production économique - qu'on doit constater fidèlement à l'aide des sciences physiques et natu­relles - et les formes juridiques, politiques, reli­gieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes de­viennent conscients de ce conflit et le mènent à bout.

De même qu'on ne juge pas un individu sur l'i­dée qu'il se fait de lui, de même on ne peut juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi ; il faut, au contraire, expliquer cette cons­cience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces producti­ves sociales et les rapports de production. (Marx, critique de l'économie politique)
logan
 
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Message par Proudhon » 13 Août 2004, 09:01

D'accord avec Logan : la domination masculine n'est pas "universelle", mais "ancienne" (ce que j'ai dit antérieurement en récusant la notion de "nature humaine").

D'accord : Marx et Engels l'avaient déjà perçu (la domination masculine est antérieure au capitalisme), mais certains "marxistes" ont du mal à l'entendre...

"Les oppressions seraient 'indépendantes" du capitalisme?
Mais Comment élimine tu le racisme sous le capitalisme ?
Comment élimine tu la misère sous le capitalisme?
Comment élimine tu les intégrismes religieux sous le capitalisme?", demandes-tu.

La misère ? C'est en grande partie (en tout cas aujourd'hui), un produit du capitalisme.

Le racisme? C'est en interaction avec le capitalisme (comme la domination masculine) - par exemple dans la mise en concurrence de la force de travail -, mais ce n'est pas "dépendant" du capitalisme, comme partie-prenante du "système capitaliste". Cela pourrait perdurer dans un après-capitalisme (que je n'ose pas alors appeler "socialisme" ou "communisme") et servir d'axe à de nouvelles sociétés oppressives.

Les intégrismes religieux? Je dirais des choses similaires.

"comprendre dans quelle mesure les oppressions sont déterminées par l'organisation de la société"? OK. C'est ce qu'a essayé de faire Bourdieu dans le sillage critique de Marx. Mais il n'y a pas nécessairement (je reprends mon hypothèse 2) "l'organisation de la société" comme un tout unique, mais la société peut imbriquer des modes d'oppression divers (capitalisme, domination masculine, racisme, intégrismes religieux, etc.), à la fois autonomes et en interaction, mais n'étant pas intégrés dans un seul "système" sous hégémonie capitaliste.

"L'origine de la famille - engels 1884"? C'est justement un livre basé sur les connaissances ethnologiques du 19° siècle, qui ont largement été renouvelées aujourd'hui. Engels s'appuie notamment sur les analyses de l'anthroplogue américain Lewis Henry MORGAN (1818-1881).

Quelques livres qui nous aident à pénétrer dans les complications de l'ethnologie du 20° siècle (après Morgan et Engels) :

* Margareth Mead : Moeurs et sexualité en Océanie (textes de 1928 et 1935), Plon, 1963 (réédiiton "Terre humaine/poche")
* Louis Dumont : Homo hierarchicus - Le système des castes et ses implications, Gallimard, 1966 (réédition poche "TEL")
* Pierre Clastres : La société contre l'Etat - Recherches d'anthropologie politique, Editions de Minuit, 1974
* Jean-Loup Amselle : Logiques métisses - Anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs, Payot, 1990
* Cai Hua : Une société sans père ni mari - Les Na de Chine, PUF, 1997

L'extrait du texte de 1859 de Marx que tu cites constitue sans doute le texte le plus économiste de Marx et le plus simplificateur : il fait quelques pages, et dans les milliers de pages écrites par Marx au cours de sa vie (en tout cas si on se limite déjà aux 4 volumes publiés à La Pléiade chez Gallimard, qui n'en constitue qu'une partie) on ne trouve pas de telles formules aussi simplificatrices et économistes. C'est simplement un synthèse réductrice de l'hypothèse 1 dont on a déjà parlé.

Par rapport à cette vision restreinte du matérialisme, un matérialisme économiste, on a dans d'autres textes de Marx une vision élargie du matérialisme : non pas les "rapports économiques" au sens restreint, mais la vie au sens large dans ses différentes dimensions, intégrant la subjectivité humaine et la sensbilité :

* "Chacun de ses rapports humains avec le monde, voir, entendre, sentir, goûter, penser, contempler, vouloir, agir, aimer, bref tous les actes de son individualité, aussi bien que, sous leur forme directe, ses organes génériques sont, dans leur comportement envers l'objet, l'appropriation de celui-ci; ce comportement et cette appropriation sont l'affirmation de la réalité humaine; c'est l'activité humaine et la souffrance humaine, car, au sens humain, souffrir, c'est jouir de soi." (Manuscrits de 1844, Oeuvres II, Gallimard, collection "Bibliothèque de la Pléiade", 1968, p.83). Cette vie multidimensionnelle tend alors a être atrophiée par l'hégémonie de la veleur marchande dans la société capitaliste : "A la place de tous les sens physiques et intellectuels est apparue l'aliénation pure et simple des sens, le sens de l'avoir." (ibid.)

* "Le grand défaut de tout de tout matérialisme passé (y compris celui de Feueurbach), c'est que la chose concrète, le réel, le sensible, n'y est saisi que sous la forme de l'objet ou de l'intuition, non comme activité humaine sensible, comme pratique; non pas subjectivement. Voilà pourquoi le côté actif se trouve développé abstraitement, en opposition au matérialisme : celui-ci ignore naturellement la réelle activité sensible comme telle. Feuerbach veut des objets sensibles, réellement distincts des objets pensés : mais il ne saisit pas l'activité humaine elle-même comme activité objective." (1° Thèse su Feueurach, 1845, Oeuvres III, Gallimard, collection "Bibliothèque de la Pléiade", 1982, p.1029). On a là un matérialisme sensible et pratique, intégrant la subjectivité (une subjectivité productrice d'objectivité via la praxis), opposé au matérialisme antérieur, trop "fixiste" (et pourquoi pas, par anticipation, contre le matérialisme économiste de certains "marxistes"?).

* "Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, c'est la vie qui détermine la conscience." (L'idéologie allemande, en collaboration avec Engels, 1845-1846, dans Oeuvres III, op. cit., p.1057). "La vie", c'est plus large que "les rapports économiques".

Ne trouve-t-on pas chez Marx une critique de la marchandisation propre au capitalisme au nom des potentialités créatrices de l'individualité écrasées par l'hégémonie de la mesure marchande des activités, donc une critique plus "individualiste" que "collectiviste" du capitalisme? Pour étayer cette hypothèse, voir Philippe Corcuff, La question individualiste - Stirner, Marx, Durkheim, Proudhon (Editions Le Bord de l'Eau, 2003, pp.24-36 et 45-47).


"Makhnovtchina, Makhnovtchina
Armée noire de nos partisans
Qui combattait en Ukraine
Contre les rouges et les blancs

Makhnovtchina, Makhnovtchina
Armée noire de nos partisans
Qui voulait chasser d'Ukraine
A jamais tous les tyrans"

("Makhnovtchina", Etienne Roda-Gil, 1968)
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Message par logan » 13 Août 2004, 09:49

a écrit :L'extrait du texte de 1859 de Marx que tu cites constitue sans doute le texte le plus économiste de Marx et le plus simplificateur : il fait quelques pages, et dans les milliers de pages écrites par Marx au cours de sa vie (en tout cas si on se limite déjà aux 4 volumes publiés à La Pléiade chez Gallimard, qui n'en constitue qu'une partie) on ne trouve pas de telles formules aussi simplificatrices et économistes. C'est simplement un synthèse réductrice de l'hypothèse 1 dont on a déjà parlé


Bien D'autres passages célèbres de Marx posent les choses dans les mêmes termes (idéologie allemande, introduction à la critique de l'économie politique, le manifeste...).
Ce passage c'est la base même de toute la réflexion de Marx, c'est le socle de sa pensée qui constitue le matérialisme historique.
Les milliers de pages du capital ne sont qu'une application spectaculaire de cette méthode!

a écrit :"L'origine de la famille - engels 1884"? C'est justement un livre basé sur les connaissances ethnologiques du 19° siècle, qui ont largement été renouvelées aujourd'hui. Engels s'appuie notamment sur les analyses de l'anthroplogue américain Lewis Henry MORGAN (1818-1881).

Suit une liste de textes...
Mais l'intérêt de lire Engels et pas seulement Morgan ou un ethnologue c'ets de voir la méthode matérialiste dialectique appliquée à l'histoire de la famille de la propriété et de l'état.
Bien sur l'ethnologie a évolué, a fait des découvertes depuis. Mais le bouquin d'Engels est tout de même indispensable, ne serait-ce que pour comprendre 1/ la nature de l'état et 2/ le fait que l'exploitation dépend des conditions matérielles d'une société.
Dans certaines tribus le surplus est détruit et non accumulé par exemple.
Dans certaines tribus les prisonniers ennemis sont abattus; dans d'autres ils deviennent des esclaves. Qu'est ce qui fait cette différence? La "nature oppressive" des tribus? Absolument pas. Engels nous le révèle.

La pensée de Marx est plus qu'une réflexion contre la marchandise : elle est un réquisitoire contre le capitalisme et l'exploitation d'autrui en général.

Mais ce réquisitoire n'a rien de moral et cette pensée n'a rien de partielle : Marx montre que dans toute société fonctionnant sur le principe du capital la lutte de classe est inévitable, l'exploitation est inévitable, la misère est inévitable, les idées réactionnaires sont inévitables.
Cette pensée n'a rien de neutre : Marx montre qu'une autre société est possible à travers l'analyse serrée du principe du fonctionnement du capital. Mais cette société sans exploitation n'est possible qu'à la condition du renversement du principe capitaliste.

Combien de jeunes tombent dans l'intégrisme religieux parce que la société ne leur offre aucune place? Parce qu'ils végètent au chomage? Ce fut flagrant en Algérie ou l'explosion du chomage et la dégradation de la vie a précédé la vague intégriste.

Comment lutter contre le sexisme si les femmes ne travaillent pas et qu'elles sont dépendantes de leur mari financièrement? Les années 60-70 et les conquêtes du féminisme ont été possibles grace à l'extension du salariat aux fammes, grace à la massification du salariat féminin. (puis par les luttes, on n'a jamais rien sans elles!)
On voit que ces oppressions partielles sont inévitablement liées à l'organisation sociale et aux conditions mlatérielles d'existence.

On peut résumer le programme du SELS en 1 phrase : Tentative de supprimer les oppressions dans le cadre d'une société basée sur l'exploitation, mais sans toucher à cette exploitation! Dans ce sens Proudhon (le vrai) leur était bien supérieur.

Lutter contre la misère, le racisme, le sexisme sans toucher au capital, c'est essayer de vider une baignoire avec une petite cuiller alors que le robinet est ouvert.
logan
 
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Message par Proudhon » 13 Août 2004, 10:06

(logan @ vendredi 13 août 2004 à 10:49 a écrit :On peut résumer le programme du SELS en 1 phrase : Tentative de supprimer les oppressions dans le cadre d'une société basée sur l'exploitation, mais sans toucher à cette exploitation! Dans ce sens Proudhon (le vrai) leur était bien supérieur.


Si on est seulement dans le combat et la polémique (pour "gagner", mais "gagner" quoi? la réassurance provisoire que "j'ai bien raison" et que "je suis dans la bonne tribu"?) : la discussion rationnelle et argumentée s'émousse. On n'apprend plus rien des objections du conradicteur (ça ne nous lance pas sur de nouvelles pistes, mais ça nous conduit à réciter la messe). Et on penche de plus en plus vers la mauvaise foi. Traduire : "Combattre et abolir le capitalisme ne suffit pas pour combattre la variété des formes d'oppression" (hypothèse SELS) par "Ne pas toucher à l'exploitation capitaliste" est typique d'une mauvaise foi de curé (qui ne veut pas être dérangé pour dire sa messe). C'est une autre façon de dire : "Tu es un sale déviationniste, petit-bourgeois, contre-révolutionnaire, réformiste" (l'envers du : "Moi, je suis un vrai révolutionnaire, dans la ligne", qui est une variante : "Moi et mes potes on est les meilleurs"). Bref, dans ce cas, il vaut mieux arrêter la discussion et laisser dire la messe devant de moins en moins de fidèles...
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Message par logan » 13 Août 2004, 10:16

a écrit :Si on est seulement dans le combat et la polémique (pour "gagner", mais "gagner" quoi? la réassurance provisoire que "j'ai bien raison" et que "je suis dans la bonne tribu"?) : la discussion rationnelle et argumentée s'émousse. On n'apprend plus rien des objections du conradicteur (ça ne nous lance pas sur de nouvelles pistes, mais ça nous conduit à réciter la messe). Et on penche de plus en plus vers la mauvaise foi. Traduire : "Combattre et abolir le capitalisme ne suffit pas pour combattre la variété des formes d'oppression" (hypothèse SELS) par "Ne pas toucher à l'exploitation capitaliste" est typique d'une mauvaise foi de curé (qui ne veut pas être dérangé pour dire sa messe). C'est une autre façon de dire : "Tu es un sale déviationniste, petit-bourgeois, contre-révolutionnaire, réformiste" (l'envers du : "Moi, je suis un vrai révolutionnaire, dans la ligne", qui est une variante : "Moi et mes potes on est les meilleurs"). Bref, dans ce cas, il vaut mieux arrêter la discussion et laisser dire la messe devant de moins en moins de fidèles...


1/ Je n'ai pas de "potes" ni n'appartient à une tribu
2/ Est-ce que j'ai écrit que tes idées étaient petites bourgeoises?
3/ C'ets assez marquant de voir que dès qu'il y a des éléments de divergences on se fait traiter de "fidèles" de "curé" ou de "sectaires"
Je pense (naivement?) que la discussion est utile justement là ou il y a divergence.

Pour l'instant tu apportes des arguments flous qui me semblent juste être nets sur le rejet du marxisme et du capitalisme comme système. (Pour corcuff cela ne fait aucun doute, il se dit non-marxiste)

C'ets toi même qui écrit (débordant peut etre les analyses du SELS):
a écrit :Abattre le capitalisme : oui! Mais ce n'est pas un préalable à l'élimination de la domination masculine

Moi je pense que si, un prélalble à son élimination totale, même si cela ne résoud pas tout mécaniquement.
logan
 
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Message par mael.monnier » 13 Août 2004, 17:55

(PROUDHON @ vendredi 13 août 2004 à 10:01 a écrit : D'accord : Marx et Engels l'avaient déjà perçu (la domination masculine est antérieure au capitalisme), mais certains "marxistes" ont du mal à l'entendre...
Qui ? Dans tout ce que j'ai dit ou cité, je n'ai jamais défendu cette thèse. J'ai simplement soutenu que l'oppression de la femme est liée à l'apparition d'une structure familiale monogamique et de la propriété privée avec la disparition du communisme primitif. Comme l’a dit l’anthropologue Eleanor Leacock, citée dans une brochure de la LICR, la Ligue pour une Internationale Communiste Révolutionnaire, : “La subordination du sexe féminin était basée sur la transformation de son travail socialement nécessaire en service privé, à travers la séparation de la famille du clan. Ce fut dans ce contexte que le travail des femmes, domestique ou autre, en vint à être effectué dans les conditions d’un esclavage virtuel.”
Comme je l'ai cité aussi, "ce n'est qu'avec l'apparition de la grande industrie dans la société capitaliste que la voie de la production sociale a pu être de nouveau ouverte à la femme", ce qui a permis aux femmes de faire régresser l'oppression sexuelle dont elles étaient victimes.

(PROUDHON @ jeudi 12 août 2004 à 22:40 a écrit :Je n'ai jamais parlé de "nature humaine", ce qui supposerait des propriétés invariantes des humains, quelles que soient les époques historiques et les types de société; ce qui est contraire à de larges pans de la sociologie à laquelle je me réfère, qui a (comme Marx, quoique il a des penchants "naturalistes" dans des oeuvres de jeunesse comme les Manuscrits de 1844, où la notion de "nature humaine" intervient) une vision socio-historique de la condition humaine.

J'ai simplement suggéré que la domination masculine était ancienne (mais avec des figures diversifiées en fonction des contextes socio-historiques), plus ancienne que le capitalisme et qu'elle ne dépendait pas non plus de l'invention de la propriété privée.

Cela dépend de quoi alors ? Et quand donc cette oppression est-elle apparue si elle n'est pas liée à la disparition du communisme primitif ?

(PROUDHON @ jeudi 12 août 2004 à 22:40 a écrit :Abattre le capitalisme : oui! Mais ce n'est pas un préalable à l'élimination de la domination masculine. Abattre la domination masculine : oui! Mais ce n'est pas un préalable à l'élimination du capitalisme.

En tout état de cause, l'élimination de l'oppression de la femme ne peut se faire que par la socialisation de la puériculture (donc par la fin de la puériculture en tant qu'élément relevant d'une sphère privée et par une égalité des droits en la matière pour écarter les inégalités de richesse), qui peut certes se faire sous le régime capitaliste - même si cela va à l'encontre de l'idéologie individualiste du capitalisme - mais qui constitue un pas en avant vers le socialisme puis le communisme. Le féminisme fait donc pour moi une partie intégrante du combat socialiste, socialisme qui ne peut de toute façon se faire sans libération de la condition féminine et sans libération de la famille.
mael.monnier
 
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