l'engagisme

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par gerard_wegan » 24 Mai 2005, 18:04

Question marginale :

(iskra @ lundi 23 mai 2005 à 10:38 a écrit :[...] l'origine du peuplement de la Réunion (issue de l'impérialisme esclavagiste et de l'engagisme)

... c'est quoi l'"engagisme" ?
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Message par anchaing » 25 Mai 2005, 04:16

(gerard_wegan @ mardi 24 mai 2005 à 19:04 a écrit :Question marginale :

... c'est quoi l'"engagisme" ?

L'abolition de l'esclavage accordée par la révolution de 1848 devra quand même attendre le 20 décembre de l'année pour être appliqué à la Réunion, le temps pour les gros planteurs de faire terminer la saison de coupe de la canne, et pour l'émissaire de la 2ème république Sarda Garriga de rassurer ces gros planteurs sur la suite : d'abord une indemnisation conséquente pour leur "investissement" perdu, ensuite, un système qui oblige les esclaves tout juste libérés à rester chez leur maître pendant une période (ils partiront en masse car cette toute fraîche liberté avait décidemment bien trop le goût de l'esclavage...).

Mais cette abolition pose le problème de la main d'oeuvre pour l'économie de plantation qu'est alors la Réunion. Depuis l'interdiction de la traîte négrière, les planteurs ont cherché d'autres moyens de se procurer de la main-d'oeuvre : ça sera l'engagisme. Ce système expérimenté dès avant 1848 sera alors généralisé. Il s'agit d'aller chercher en Inde ou sur les mêmes côtes d'Afrique ou de Madagascar de la main-d'oeuvre soit disant libre, et de les faire venir avec un contrat signé pour 5 ou 10 ans avec une indemnité.

Evidemment, sur les côtes africaines notamment, les conditions de liberté et de libre choix des nouveaux engagés seront particulièrement incertaines, les mêmes réseaux fournissant précédement les esclaves. C'est en Inde que se fourniront en grosse majorité les planteurs réunionnais, d'où la part indienne de la population réunionnaise. Arrivés sur l'île, les engagés indiens, africains ou malgaches connaîtront les mêmes conditions de travail et de vie à peu de choses près que les anciens esclaves, notamment ils iront habiter les mêmes masures, se verront imposer les mêmes tâches, et connaîtront les mêmes sévices ; nombre de plaintes seront alors portées à l'administration locale (ce que ne pouvaient pas faire les esclaves).

Les derniers engagés arriveront sur l'île dans l'entre-deux guerre, venus de Madagascar, de l'île Rodrigues, etc...

(à préciser)
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Message par gerard_wegan » 25 Mai 2005, 13:59

pour Anchaing : merci pour ta réponse sur l'engagisme. Si tu as de bonnes références de textes historiques ou de romans sur cette question et l'après esclavage à la Réunion, peux-tu nous en faire profiter ? :smile:

( Anchaing @ mercredi 25 mai 2005 à 05:16 a écrit :Les derniers engagés arriveront sur l'île dans l'entre-deux guerre, venus de Madagascar, de l'île Rodrigues, etc...

... ça signifie que ce système a survécu, au moins partiellement, pendant plus de 70 ans !? Ce système coexistait, dans les mêmes plantations, avec le travail salarié d'anciens esclaves ?
gerard_wegan
 
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Message par Jacquemart » 25 Mai 2005, 14:15

a écrit :Une sorte de passage du statut d'esclave au statut de serf en somme ?

Le statut d'engagé n'est pas celui de serf. L'engagé est, au moins partiellement, un salarié. Il est censé être libre de sa personne, posséder les droits de tout autre citoyen, n'être pas attaché à la terre, pouvoir se marier à sa guise, etc.

Il n'est "simplement" pas libre de rompre unilatrélement son "contrat" de travail (ici, deux bonnes douzaines de guillemets ne seraient pas de trop).

A signaler qu'aux Etats-Unis, pendant la première phase de la colonisation, le peuplement s'est essentiellement fait par l'arrivée "d'engagés" (indentured servants) en provenance de Grande-Bretagne. Là-bas, c'est l'engagisme qui a été remplacé par l'esclavage.
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Message par Ottokar » 25 Mai 2005, 14:15

Un système de ce type a existé aussi pour les blancs dans les colonies américaines. Il y a eu ceux qui ont été déportés de force, bagnards, filles de joie (Manon Lescaut). Mais il y avait ceux qui signaient un contrat d'engagement en général de 7 ans : le maître leur payait le voyage et se remboursait sur leur travail (gratuit) durant cette période, à la fin delaquelle ils recouvraient leur liberté.

7 ans de salaire, c'est grosso modo ce que valait l'esclave dans les colonies au début du XIXème... mais au bout de 7 ans, il restait esclave et surtout sa descendance appartenait au maître. Cela signifie que celui-ci pouvait s'enrichir en élevant un véritable cheptel humain ! "Le capitalisme est venu au monde tout dégoûtant de sang et de sueur par toutes ses pores " écrit Marx en conclusion de sa description de l'accumulation primitive dans le Capital !

Bravo Jacquemart... le tireur le plus rapide à l'Ouest du Pecos !
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Message par Jacquemart » 25 Mai 2005, 17:47

Et pour enfoncer le clou, on peut tirer une conclusion de cette histoire : c'est que la bourgeoisie n'est adepte du "libre" marché du travail que quand ça l'arrange, c'est-à-dire quand elle est en position de force et que les prolétaires, poussés par la misère, n'ont pas d'autre choix que d'accepter "librement" de se faire exploiter.

Mais dans le passé, à chaque fois qu'il s'est présenté une situation où les travailleurs pouvaient échapper à cette exploitation (neuf fois sur dix, non en luttant, d'ailleurs, mais en prenant leurs cliques et leurs claques pour aller s'installer ailleurs, à leur compte), la bourgeoisie n'a jamais hésité à édifier un arsenal juridique et répressif pour les contraindre et "fixer" artificiellement la main-d'oeuvre.

Depuis quatre siècles, l'esclavagisme, l'engagisme, le péonage, les lois sur les pauvres, etc. ont été autant de réponses de la bourgeoisie apôtre de la "liberté" (uniquement quand ça l'arrange) à la pénurie de main-d'oeuvre.

Il existe une somme sur le sujet, malheureusement difficile à lire car très épaisse et truffée de pinaillages juridiques. Mais elle vaut le coup d'être parcourue, à défaut d'être lue en détail. Il s'agit d'un bouquin nommé "de l'esclavage au salariat", de Yann Moulier-Boutang. En vente dans toutes les bonnes librairies, n'oubliez pas de venir avec votre brouette.
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Message par gerard_wegan » 26 Mai 2005, 00:28

(Jacquemart @ mercredi 25 mai 2005 à 18:47 a écrit :Il existe une somme sur le sujet, malheureusement difficile à lire car très épaisse et truffée de pinaillages juridiques. [...] Il s'agit d'un bouquin nommé "de l'esclavage au salariat", de Yann Moulier-Boutang.

... source FNAC : 768 pages - aux PUF - 25,50€

C'est une thèse universitaire ?
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Message par anchaing » 26 Mai 2005, 03:57

(gerard_wegan @ mercredi 25 mai 2005 à 14:59 a écrit :pour Anchaing : merci pour ta réponse sur l'engagisme. Si tu as de bonnes références de textes historiques ou de romans sur cette question et l'après esclavage à la Réunion, peux-tu nous en faire profiter ? :smile:

( Anchaing @ mercredi 25 mai 2005 à 05:16 a écrit :Les derniers engagés arriveront sur l'île dans l'entre-deux guerre, venus de Madagascar, de l'île Rodrigues, etc...

... ça signifie que ce système a survécu, au moins partiellement, pendant plus de 70 ans !? Ce système coexistait, dans les mêmes plantations, avec le travail salarié d'anciens esclaves ?

Il semblerait que l'engagisme ait largement supplanté le travail salarié simple sur les plantations, et que celui-ci n'ait existé qu'à la marge (notamment pour les travaux plus qualifiés) après l'abolition et jusqu'au moins les années 1880 ; un travail universitaire intéressant a été publié dernièrement à la Réunion qui a un peu bousculé les conceptions qui avaient cours jusque là, où les historiens avaient surtout insisté sur les similitudes entre esclavage et engagisme. Je vous livre l'article paru dans le JIR lors de sa parution et qui donne quelques éléments sur l'histoire de l'après-abolition à la Réunion.

(JIR du 30 août 2004 a écrit :
“L’engagisme est un salariat contraint, pas un esclavage”
Dans ce second ouvrage consacré à l’histoire économique de l’île de la Réunion, l’engagisme, qui a occupé une place prépondérante au 19e siècle, fait l’objet d’un nouveau recadrage par le maître de conférence de l’Université de la Réunion. De quoi faire grincer certaines dents...


1642-1848 : c’est sur cette période que portait la “Contribution à l’histoire économique de l’île de la Réunion”, premier ouvrage de Ho Hai Quang, docteur d’État en sciences économiques et maître de conférences à l’Université de la Réunion. L’auteur y montrait notamment que l’esclavage avait fait son apparition dès les premiers moments du peuplement définitif de l’île et que le Code noir n’était pas un simple catalogue de punitions, mais une législation organisant un compromis social destiné à réguler le fonctionnement d’ensemble du système esclavagiste. C’était il y a six ans. Aujourd’hui, sur plus de 300 pages, Ho Hai Quang publie aux éditions l’Harmattan le volet 2 qui traite, cette fois, de la période de l’engagisme. Cet ouvrage, comme le premier, risque de provoquer des grincements de dents car une fois de plus, l’économiste balaye la plupart des interprétations communément admises. L’une des thèses fortes du livre est que le développement rapide de l’engagisme après 1848 n’est pas uniquement dû à la désertion des esclaves affranchis. HO Hai Quang soutient que c’est aussi pour faire face à la concurrence des betteraviers de métropole que les planteurs réunionnais ont massivement importé des engagés afin, d’une part, de limiter la hausse des salaires et, d’autre part, d’augmenter la productivité du travail en remplaçant les affranchis inefficaces (vieillards, enfants...) par des hommes jeunes. Une autre thèse forte de l’auteur est que l’engagisme n’est pas un esclavage mais un salariat contraint. C’est un salariat parce que l’ouvrier est un homme libre qui s’engage par contrat à travailler contre un salaire. Mais à la différence du salariat libre, dans l’engagisme,“On a affaire à un contrat de longue durée et non résiliable par le salarié“. HO Hai Quang montre également qu’après l’abolition de l’esclavage, l’économie locale n’a pas reposé uniquement sur l’engagisme, mais aussi sur “divers systèmes économiques formels ou informels de survie” mis sur pied par les Blancs paupérisés et les esclaves affranchis qui n’ont pas pu, ou voulu, rester auprès de leurs anciens maîtres. Des faits complexes dont l’universitaire a eu du mal à rendre compte de manière précise en raison du manque de statistiques. Dans la deuxième partie de son livre, HO Hai Quang s’intéresse à la crise sucrière. Son analyse tranche sur les interprétations courantes dans la mesure où s’appuyant sur la théorie économique, il soutient d’abord que la grande dépression débute en 1865 et non pas en 1863 comme on l’admet généralement. Puis, examinant les causes de la crise, il montre qu’elles proviennent surtout de l’augmentation de la productivité du travail dans l’économie betteravière. Il s’ensuit tout à la fois, une baisse continue des coûts de production et une surproduction grandissante de sucre. Le résultat d’ensemble est l’effondrement du prix de cette denrée. À La Réunion, la crise est aggravée parce que le fonctionnement des exploitations sucrières repose sur le travail des engagés. Les planteurs, qui ne peuvent ni licencier leurs ouvriers ni réduire leurs salaires, sont pris en tenaille entre la chute des cours et la rigidité des coûts de production. Beaucoup sont ruinés. La concentration des terres et des usines s’accélère alors au profit de quelques gros planteurs et d’une banque métropolitaine, le Crédit Foncier Colonial. Simultanément, l’engagisme entre aussi en crise car pour tenter de surmonter leurs difficultés, les sucriers durcissent les conditions de travail dans les plantations. Cette surexploitation des engagés va amener l’Angleterre à dénoncer en 1882 la Convention qui, depuis 1861, autorisait les colonies françaises à recruter des travailleurs en Inde. Dès lors, les planteurs ne peuvent plus remplacer les engagés rapatriés en fin de contrat, d’où une pénurie de plus en plus forte de main-d’œuvre. Enfin, les années 1860-1880 voient aussi l’arrivée des premiers immigrants libres chinois et Indo-musulmans. Ils ont pu créer un petit commerce de détail parce que les engagés, à l’inverse des esclaves, recevaient un salaire en monnaie et pouvaient donc constituer une clientèle. C’est pourquoi il est fondamental de ne pas confondre engagisme et esclavage. En définitive, l’originalité des livres de HO Hai Quang tient au fait que l’auteur applique systématiquement les outils de la théorie économique pour interpréter l’histoire de l’île. Son dernier ouvrage propose des thèses nouvelles sur les trois décennies qui ont suivi l’abolition de l’esclavage. Gageons qu’elles ne manqueront pas de susciter maints débats et controverses.
anchaing
 
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Message par gerard_wegan » 26 Mai 2005, 14:45

Merci pour ces précisions... je vais essayer de trouver le livre chez L'Harmattan (disponible en fait à la FNAC : "Histoire économique de l'île de la Réunion -- 1849-1881 Engagisme, croissance et crise" - Hai Quang Ho - 327 p. - 28,50€ / le précédent ouvrage semble aussi toujours disponible : "Contribution a l'histoire economique de l'ile de la reunion" - 19,85€)

3 questions pour Anchaing (c'est le problème avec ce forum : on y met un doigt et on y passe le bras... :smile: ) :

* je vois où est le débat -- d'ailleurs intéressant -- sur l'interprétation de l'engagisme comme travail salarié contraint ou comme esclavage. Par contre je ne mesure pas du tout les conséquences de ce débat historique aujourd'hui, au point de "faire grincer certaines dents" ! Peux-tu en dire un peu plus ?

* en sais-tu plus sur l'auteur, Ho Hai Quang ?

* qu'est-ce que JIR ?
gerard_wegan
 
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