Pierre Naville

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par com_71 » 03 Sep 2004, 08:38

(Daisy @ vendredi 3 septembre 2004 à 09:30 a écrit : à partir de 1939 il est parti en vrille... et a fini au PSU
On pourrait en dire autant de beaucoup...
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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com_71
 
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Message par piemme » 28 Juin 2006, 15:40

Je vous soumets cet extrait de "Psychologie, marxisme, matérialisme" (1945), qui débute par une citation du Capital :
a écrit :"« Pour Hegel, le processus de pensée, dont il fait même, sous le nom d’idée, un sujet autonome, est le créateur de la réalité qui n’en est que le phénomène extérieur. Pour moi, au contraire, le monde des idées n’est que le monde matériel, transposé et traduit dans l’esprit humain » (Le Capital, préface à la seconde édition (1872)).

Ce texte, si l’on veut bien y regarder de près, est assez caractéristique. Marx y distingue la pensée ou l’esprit humain, des idées. La pensée y apparaît comme la forme, comme le réceptacle des idées ; les idées se reflètent dans l’esprit ; les idées représentent ici plutôt ce que nous appellerions aujourd'hui l’idéologie, c'est-à-dire une expression symbolique imagée de conception qui orientent, provoquent ou masquent l’activité humaine sociale, expression le plus souvent manifeste sous forme de bagage culturel (en particulier dans l’écriture) ; les idées sont ici l’apparence historique de la vie des hommes. Mais elles sont autre chose que la pensée au sens psychologue ou biologique, comme élément « substantiel » de la nature humaine. Le monde des idées, dit Marx, n’est pas une traduction simple du monde matériel ; il est une traduction de ce monde dans l’esprit humain, c'est-à-dire dans autre chose que lui-même. Bien qu’il y ait ici, comme chez Engels, une implication directe entre l’idéologie et la pensée, il y a néanmoins une dualité persistante entre cette pensée et le monde matériel, dualité sur laquelle l’intervention de la « praxis » est loin de faire toute la lumière nécessaire.

Ces limitations historiques du développement de la pensée de Marx-Engels n’autorisent cependant pas ce dévergondage idéaliste qui s’est remis à foisonner sans retenue autour des sciences modernes de la nature. Au contraire, dans leur prudence remarquable, elles permettent de poser en pleine lumière un problème qui restait jusqu’ici obscur même dans ses données méthodologiques : celui de l’intervention de l’être humain, comme objet dans l’activité de la nature, à savoir son comportement. Ce problème définit précisément l’objet de la psychologie.

Contrairement à l’opinion courante, ce sont les concepts nouveaux de la physique mathématique qui constituent l’argument le plus puissant pour la constitution d’une science du comportement débarrassée de toute implication métaphysique et de toute ontologie subjectiviste. Et ce rapprochement conduit à son tour à la destruction de toute l’ancienne « théorie de la connaissance », sorte de lieux de rencontre mystérieux entre l’homme et l’univers, et à son remplacement par une exploration méthodique de formes particulières d’actions réciproques sans discontinuité entre les objets plus ou moins privilégiés, entre systèmes de références variables. Ce qui ressort des efforts combinés de la physique nouvelle et du béhaviorisme (science du comportement), ce n’est pas une subjectivation de l’univers et un retour aux postures berkeleyen ou kantiens, mais un progrès nouveau dans l’objectivation croissante de tous les existants. En ce sens, c’est le matérialisme dialectique qui triomphe. Non plus sous la forme d’une élucidation totale immédiate des relations dont il s’agit, c'est-à-dire d’une philosophie, mais d’une conquête progressive et vérifiée par des critères de cohérence croissante. Le vieux dualisme métaphysique a reçu le coup de grâce et se trouve dépassé par une conception infiniment plus riche de la diversification des comportements,  au lieu de revenir au monisme monocorde qui s’accorde de moins en moins avec les faits.

Cela revient à dire qu’il existe entre les événements physiques et les événements humains une concordance variée qui s’exprime dans un domaine propre, qui est celui de la psychologie"

Naville, pour résumer, pointe dans la citation de Marx un indice des "limitations historiques du développement de la pensée de Marx-Engels", lui reprochant de séparer encore l'esprit humain du monde matériel. Mais pour suggérer ensuite qu'une psychologie béhaviorisme pourrait contribuer à dépasser ces "limitations" et faire progresser le matérialisme dialectique...
Y en a-t-il parmi vous qui pourraient m'éclairer sur ce rapport, auquel on le sait Naville tenait bcp, entre matérialisme et psychologie ? Qu'est-ce que ça a donné par la suite ? Naville a-t-il été ouvertement critiqué par d'autres marxistes ?
piemme
 
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Message par Gaby » 28 Juin 2006, 18:31

(othar @ jeudi 2 septembre 2004 à 22:36 a écrit :
(logan @ jeudi 2 septembre 2004 à 21:49 a écrit : Merci pour les renseignements
Vous avez lu quelques un de ses textes?

J'ai lu "Trotsky vivant" mais je m'en rappelle plus! :cry:
En plus maintenant que je m'en rends compte, j'arrive pas à remettre la main dessus... :cry: :cry:
Je l'ai acheté à la fête de LO, c'est intéressant comme complément à une vraie biographie de Trotsky. Comme les copains le disent, Naville s'intéressait à la psychologie et ce bouquin le reflète un peu. Il y a quelques citations classiques de Trotsky, mais surtout pas mal de souvenirs personnels et un recueil des impressions de ceux qui ont connu Trotsky. Naville aborde au passage quelques questions plus directement politiques, comme le rôle de la direction de la révolution russe ou des polémiques menées par Léon sur différents sujets. Ca se lit très vite et c'est plaisant pour quelqu'un qui a déjà des repères historiques. Sinon c'est incompréhensible et superficiel.
Gaby
 
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Message par piemme » 02 Juil 2006, 12:26

Bon, j'ai pas eu bcp de chance avec mon précédent cheveu sur la soupe. Peut-être celui-ci inspirera davantage.
Je poursuis épisodiquement ma lecture de "Psychologie, marxisme, matérialisme" (1945), et dans un § intitulé "le matérialisme dialectique", Naville a ces mots qui me laissent plus que songeur :
D'abord, mais pas de pb à ça, il revient sur Hegel et l'hégélianisme. Il explique ceci :
a écrit :"le devenir s’y accomplit intégralement dans le savoir absolu. Le mouvement dialectique trouve son origine, sa source, dans la théorie de l’aliénation, dans l’opposition interne de la conscience déchirée par sa participation à l’être, à la négativité, mais il trouve aussi son accomplissement, et par conséquent sa fin, dans l’intégration méthodique de savoir absolu"
Bref, le devenir est enfermé dans une sorte "d'accomplissement de l'esprit". Ceci pour résumer.
Bien sûr, Marx va, comme on sait, remettre tout ça "sur ses pieds" : "Hegel avait fait de l’homme l’homme de la conscience au lieu de faire de la conscience la conscience de l’homme réel, vivant dans le monde réel" (p. 168). Là où Hegel "ne met fin au drame du monde moderne que dans et par la philosophie", Marx donc, quant à lui -- et en passant par Feuerbach --, revient sur terre : "on sortait du cercle de la réalisation de l’Idée et l’on retrouvait l’homme réel et concret".
Ensuite, à propos de Feuerbach, Naville insiste pour relativiser son apport (ses mérites sont, dit-il, "minces") : somme toute, dit-il, Feuerbach n'a guère fait que renouer "la tradition interrompue du matérialisme Diderot-d’Holbach", c'est-à-dire, explique Naville, montrer que la philo n'est que "la systématisation de la philosophie" et que
a écrit :"le vrai matérialiste doit se fonder sur les sciences réelles et partir du positif absolu, de la nature de l’homme vivant, sensible, réel et non de la négation de la négation".
:hum: Naville précise :
a écrit :"au fond, ce que Marx admire chez lui, c'est précisément ce qui faisait la grande forces des Encyclopédistes de gauche"
a écrit :"toutes les questions que Feuerbach pose, et qu'il a suscitées chez ses admirateurs, sont des questions que le XVIIIe matérialiste avait déjà posées, mais qu'il fallait reprendre avec un nouveau matériel scientifique"
Bref, Feuerbach se contente de remettre le matérialisme au goût du jour, "par-dessus Kant, Fichte et Hegel", qui plus est "à l'époque d'un prodigieux progrès des sciences et des techniques", mais, qu'on se le dise, "l'homme selon Diderot apparaît bien plus près du matérialisme dialectique que l'homme selon Feuerbach"... Du coup, on se demande un peu pourquoi Marx et Engels font si grand cas de Feuerbach...
On le comprend mieux ensuite :
a écrit :"la grande action de Feuerbach, c'est [...] d'avoir opposé à la négation de la négation, qui prétendait (on comprend : chez Hegel) être le positif absolu, le principe reposant sur lui-même et positivement fondé sur lui-même"
Naville curieusement ajoute :
a écrit :"Marx y renonce explicitement à la négation de la négation, après Feuerbach, comme fondement de la positivité des processus naturels. Il le remplace par une réalité fondée sur elle-même, c-à-d telle qu'elle apparaît directement à la perception et à l'action et telle que la découvrent les sciences et les techniques. C'est un point capital, qui montre que Marx dut revenir en arrière pour réinterpréter ultérieurement  les formes de la dialectique" (p. 169)
D'où donc Naville sort-il ce truc ?
Faut-dire, un peu plus loin, il explique que chez Marx et Engels,
a écrit :"la dialectique hégélienne est en partie niée absolument, abandonnée au passé, et non absorbée et rénovée"...
Et qu'il ne parle plus vraiment de "matérialisme dialectique" mais de ... "réalisme dialectique" ! :hum:
piemme
 
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