par vérité » 13 Sep 2008, 20:45
La Vérité du 11 août 1944 titre: "Hitler s'effondre." et écrit :" Les Américains s'approchent de Paris. La classe ouvrière doit mettre à profit la situation et passer à l'action pour assurer elle-même sa libération contre le fascisme et la réaction, contre la terreur et la dictature, contre ses exploiteurs capitalistes." Et en France, comme en Italie ou en Allemagne, ils comptent sur l'émergence de comités d'usines se fédérant, se coordonnant à l'échelle nationale pour constituer un pouvoir politique ouvrier. Des comité d'usines se forment effectivement un peu partout, un comité inter-usine en regroupe une quarantaine dans la banlieue ouest de Paris. Mais, à Moscou, en novembre 1944, Staline mandate Thorez pour les dissoudre ainsi que les milices ouvrières patriotiques, constituées pour l'essentiel de militants communistes; de Gaulle intègre les forces françaises de l'intérieur (FFI) dans l'armée. Le petit millier de Trotskystes est bien trop faible et trop isolé dans ce mouvement même pour empêcher cette dissolution.
En France, les énormes difficultés du ravitaillement (rationné jusqu'en 1947) et du logement dissipant vite l'euphorie de la "libération". Le sociologue Jean Duvignaud, alors membre du PC, note dans ses souvenirs: "La France "libérée" c'est la boue, la faim, le charbon qu'on vole ou qu'on achète au prix du cognac, le "pétainisme" qui a troqué son masque pour celui de la victoire (...) La "libération" a été une fête, et puis on est retombé dans le tout venant de la vie quotidienne. (...) Thorez dès son retour de Russie n'a pas été en reste; il a désarmé les milices patriotiques, qui étaient l'émanation des mouvements, il a hurlé - je l'ai entendu - "Retroussez vos manches!"".
Hors les mots d'ordre anti-capitalistes du PCI recoupent les aspirations de nombreux résistants communistes regroupés dans les FTP ou et FFI. Ainsi le bulletin d'août 1945 de l'Action Ouvrière du Languedoc dirigée par des FFI communistes de l'Hérault, lance les mots d'ordre suivants: " à bas l'union sacrée avec la bourgeoise! contrôle ouvrier sur la production! vive la lutte des peuples coloniaux pour leur émancipation! à bas le gouvernement bourgeois, larbin des TRUSTS! vive le gouvernement ouvrier et paysan!" Cette convergence de points de vue pousse les dirigeants du PCF à accentuer leur dénonciation des Trotskystes; ils craignent une entente entre ces derniers et leurs propres militants qui aspirent à la prise du pouvoir que Staline interdit rigoureusement au PCF.(...)
Persuadé que la crise sociale provoquée par l'écrasement du nazisme et l'effondrement de lEtat va répéter de processus de 1917, les Trotskystes français pensent pour leur part que le schéma de la révolution russe va se répéter. Aussi publie-t-il différents journaux sous le titre générique de soviet: le soviet de l'IT (industriel du téléphone), le soviet de la Lorraine, le soviet de Panhard. La direction du PCI affirme alors:" la montée révolutionnaire ne s'arrêtera pas à la phase de reconstruction des syndicats, mais ira d'emblée aux organisations autonomes: comités, soviets, qui dépasseront de loin en pouvoir d'attraction, les appareils bureaucratiques que les social traîtres essaieront de reconstruire pour endiguer le mouvement des masses." Hors la CGT reconstruite dans la clandestinité se développe à une vitesse foudroyante et rassemble en quelques mois plus de trois millions de travailleurs. (..)
Pourtant la situation de 1945 ne répète pas celle de 1917: cette année là, en Russie, le rejet de la guerre rejoignait la volonté paysanne de s'approprier la terre et l'aspiration croissante chez les ouvriers, les soldats et les paysans d'instaurer le pouvoir des soviets, organisations de masse, soumises au contrôle permanent de leur base, mais "inventés" à Petrograd par les responsables politiques des trois partis "socialistes" (les socialistes-révolutionnaires, les Mencheviks et les Bolcheviks).
Hors en 1944-45, les PC (et socialistes) ne veulent pas de ces organismes autonomes (comités ouvriers, conseils ouvriers) et s'y opposent là où ils s'ébauchent. Staline a convoqué Thorez en 1944 et l'a chapitré à ce sujet. Le dirigeant français a transcrit la leçon en sa formule fameuse : "un seul Etat, une seule armée, une seule police" - ceux de Vichy superficiellement épurés. Le PC auréolé par la victoire de l'URSS, à qui des millions d'hommes attribuent l'écrasement du nazisme a la force d'en empêcher l'émergence là où ils tentent de se former. Les PC en tirent partout profit pour contrôler dans plusieurs pays ( en France et en Italie notamment) la majorité de la classe ouvrière sur laquelle la propagande trotskyste n'a guère d'influence. Thorez, faisant de la reconstruction économique la tâche prioritaire des travailleurs, proclame : "Produire d'abord" et déclare en mai 1945 : " La grève est un scandale, une honte" car elle entrave la "reconstruction nationale".(...)
En janvier 1945 les dirigeants de la IVème Internationale prononce un pronostic pessimiste sur les possibilités de rétablissement du capitalisme et optimiste sur les perspectives politiques qui s'ouvrent à eux. Ils affirment :" Un chaos indescriptible règne dans tous les pays "libérés" sans aucune perspective d'amélioration prochaine (...). Une ère "démocratique" intermédiaire relativement longue jusqu'au triomphe décisif soit de la révolution socialiste, soit, à nouveau, du fascisme s'avère impossible." Ainsi l'effondrement du nazisme devait déboucher, à brève échéance sur le pouvoir des conseils ouvriers (soviets) soit sur une nouvelle ère fasciste.
Le Trotskysme et les Trotskystes de Jean Jacques MARIE.