par Matrok » 14 Déc 2008, 19:13
Remarque à Jul sur Chostakovitch : le qualifier de "réactionnaire" c'est ne rien connaître aux conditions dans lesquelles il composait en Union Soviétique. Comme je l'ai déjà signalé au sujet de l'opéra, le monde musical russe a toujours été extrêmement conservateur, et cet académisme oppressant a commencé avant la Révolution d'Octobre. Des musiciens comme Prokofiev ou Stravinsky ont du s'exiler en Europe Occidentale vu l'incompréhension et l'hostilité que leur musique suscitait en Russie. Ce n'était pas gagné non plus pour eux à Paris ceci dit, mais il y avait une frange de la bourgeoisie intellectuelle qui était prête à défendre bec et ongles cette musique moderne contre la réaction de conservatoire.
Le développement de l'atonalité s'est fait principalement en Autriche et en Allemagne, avec les trois viennois Schönberg / Berg / Webern notamment, et ça a commencé avant la première guerre mondiale. Mais ça n'a pas vraiment passé les frontières du monde germanique à cette époque. Il y a bien eu des compositeurs qui ont aussi développé un langage atonal, comme par exemple Scriabin en Russie (c'était même plus tôt), ou plus tard et indépendament Ives aux Etats-Unis, mais ce sont des outsiders. On ne peut donc pas vraiment reprocher à un compositeur de la génération de Chostakovitch de n'avoir pas été atonaliste, les autres compositeurs non-allemands de sa génération ne l'étaient pas non plus !
La Révolution d'Octobre, on le dit souvent, a permis un relachement des pressions académiques et a donc entraîné un certain éclatement artistique. Bon, mais un phénomène similaire a eu lieu dans le reste de l'Europe avec le mouvement Dada, puis le surréalisme. Ensuite, avec l'arrivée de Staline au pouvoir, les œuvres artistiques sont soumises à une critique féroce si elles ne sont pas académiques. Pour Chostakovitch, on y vient, ses premières oeuvres comme ses trois premières symphonies, son opéra bouffe "Le Nez", etc... ont été plutôt bien acceptées, mais son opéra "Lady Macbeth de Mzensk", jugé pornographique, et sa quatrième symphonie, jugée pessimiste, lui ont valu de sérieuses menaces de la part du pouvoir stalinien. Dès lors Chostakovitch n'était pas libre de composer ce qu'il voulait ! Il faut donc analyser sa musique assez attentivement avant de dire que c'est académique et donc réactionnaire. Les innovations, les défis à la censure, il y en a, mais camouflées, ou reléguées dans sa musique de chambre qui était moins surveillée.
Par ailleurs, académique ou pas, la création de la symphonie n°7 "Leningrad" en plein siège de la ville, simultanément à Leningrad même par un orchestre réuni dans des conditions inimaginables, et à New-York grâce à un microfilm de la partition passé clandestinement, c'était quand même un défi à la barbarie nazie, et critiquer une telle œuvre en disant "c'est réactionnaire", franchement il faut ne rien savoir ou ne rien comprendre pour s'en tenir à un tel jugement hors du temps ! Par ailleurs Toute la musique "classique" des années 40 est stylistiquement en régression par rapport à celle des années 20/30, et c'est plutôt moins vrai pour Chostakovitch que, par exemple, pour Stravinsky, Schönberg ou Bartok. La preuve en est l'autre symphonie de guerre de Chostakovitch, la 8ème, l'une de ses œuvres les plus fulgurantes.
Tu dis apprécier la symphonie n° 13 "Babi Yar". Et bien justement elle date de cette courte période ou l'étau s'est réellement un peu déserré, sous Khrouchtchev. Mais bon, ça se ressent plus dans les textes mis en musique que dans la musique elle-même qui est en fait dans la continuité de ce qu'il composait avant. Son œuvre la plus radicale, c'est plutôt la suivante, la 14ème symphonie, qui est en fait une suite de chants accompagnés par un orchestre de chambre.