Jean-Marc Raynaud et Thyde Rosell en garde àvue
> > Fait d’hiver
> > Oui, nous avons hébergé un « terroriste »
> > … de trois ans !
> > Quand vous lirez ces lignes, nous serons en prison. Pour quelques jours.
> > Quelques semaines. Quelques mois. Quelques……
> > Notre « crime » ?
> > Avoir fondé et animé une école libertaire. Bonaventure. Y avoir accueilli, sans
> > formalité, des enfants de tous horizons (même des mômes de cathos, c’est dire).
> > Et nous être pris d’affection pour un petit bout en perdition au point de
> > l’avoir accueilli chez nous pendant deux ans et demi.
> > De cela, qui remonte maintenant à plusieurs années, on nous fait aujourd’hui
> > reproche.
> > Pourquoi ?
> > Tout simplement parce que le petit bout en question s’est révélé être le fils
> > d’un couple de militant d’ETA arrêté il y a quelques semaines.
> > Est-t-il besoin de le préciser, nous ignorions ce détail.
> > Est-t-il également besoin de préciser (les parents s’étant présentés à nous
> > comme ayant des problèmes de « papiers »(1), nous avions quelques doutes sur
> > les véritables motivations de la demande de scolarisation et d’accueil qui nous
> > était faite. Est-il, enfin, besoin de préciser : nous assumons pleinement le
> > fait de scolariser, d’éduquer et d’accueillir tous les petits bouts du monde en
> > détresse sans nous enquérir de l’identité ou des motivations de leurs parents.
> > Cékomça !
> > Parce que nous pensons que les enfants ne sont pas responsables de leurs
> > parents(2), seul nous importera toujours leur regard noyé de brume.
> > Car, enfin, quoi ?
> > Une école libertaire pourrait-t-elle ne pas être une terre d’asile sans perdre
> > son « âme » ?
> > Des libertaires qui n’ouvriraient pas en grand leur porte et leur cœur à des
> > enfants en détresse d’instruction, d’éducation et d’amour, pourraient-t-ils
> > être autre chose que des gribouilles ?
> > On s’en doute, ce genre de discours est complètement incompréhensible pour les
> > Autorités comme pour le citoyen lambda.
> > Pour tout ce petit monde, on n’accueille pas pendant deux ans et demi (et
> > ensuite, de temps en temps, pendant les vacances), un môme de terroristes sans
> > faire, plus ou moins partie de la confrérie.
> > A quoi bon, donc, leur expliquer, en plus, que les luttes de libération
> > nationale visant à instaurer un nouvel Etat, avec de nouveaux patrons et de
> > nouveaux maîtres, ne sont pas vraiment la tasse de thé des anarchistes. Que le
> > mythe d’une soit disant lutte armée opposant quelques frondes à des missiles
> > Tomahawk confine, pour nous, au grotesque. Que l’assassinat à la petite semaine
> > de quelques seconds couteaux, fussent-ils flics ou militaires, est pour les
> > anarchistes , une véritable insulte à la morale universelle et à l’intelligence
> > politique. Et que, pour ces raisons, il est tout simplement impensable que nous
> > puissions fricoter avec certaines conceptions d’une révolte à laquelle, par
> > ailleurs, nous ne contestons pas une certaine légitimité.
> > Si on ajoute à cela que l’air du temps est à la criminalisation de tout
> > comportement un tant soit peu « dissident », il est donc clair que nous avons
> > le profil politico médiatique pour être mis au pilori.
> > C’est de bonne guerre. Sociale.
> > Reste que le monde sera toujours divisé en deux.
> > Avec, d’une côté, ceux qui, pendant la deuxième guerre mondiale, ont accueilli
> > les petits juifs et autres (les Israéliens les ont appelés « les juste »). Et,
> > de l’autre, ceux qui ont organisé (ou participé) à la Rafle du Vel d’Hiv et la
> > déportation de ces mêmes enfants.
> > Avec, d’un côté, ceux qui, chez nous, à l’Ile d’Oléron, ont organisé (ou
> > participé à) en 1941 le renvoi chez les fascistes espagnols d’une cinquantaine
> > d’enfants de républicains basques qui étaient venus, en bateau, après la
> > défaite, se réfugier au pays de la révolution et des droits de l’homme. Et, de
> > l’autre, de simples gens comme nous qui seront toujours terre d’asile pour tous
> > les enfants du monde.
> > Dans ces conditions, on voudra bien nous pardonner, à défaut d’avoir choisi le
> > chemin de l’honneur, d’avoir, du moins, refusé de prendre celui du déshonneur.
> > Etre libre ou se reposer, disait déjà un poète antique.
> > Telle est et sera toujours la question.
> > Alors oui, nous avons hébergé un « terroriste » de trois ans. Nous lui avons
> > appris à lire et à écrire. Nous lui avons même transmis nos valeurs de liberté,
> > d’égalité, d’autogestion et d’entre aide. Nous lui avons enseigné que les
> > charentais comme les basques, étaient avant tout des citoyens du monde. Et nous
> > l’avons simplement aimé comme un petit bout d’être humain en mal de tellement de
> > choses. Et nous persistons à ne pas avoir honte de tout cela.
> > On t’embrasse fort, la petite grenouille.
> > Garde bien tes petites mains serrées sur ces petites pierres de rêve auxquelles
> > tu t’accrochais quand tu avais le blues de papa-maman. Les histoires des grands
> > n’empêcheront pas toujours que tu puisses vivre la tienne sereinement.
> > Nous t’y aiderons de toutes nos forces et de tout notre cœur.
> > On t’aime.
> >
> > Le 20 octobre 2004.
> >
> > Jean-Marc Raynaud
> > Thyde Rosell
> >
> >
> > (1) En septembre 2004, l’Inspection Académiques de Rennes, sur demande de la
> > police de l’air et des frontières a envoyé aux directeurs(trices) de l’écoles
> > un courrier pour retrouver la présence d’un enfant, sans mentionner le motif de
> > la recherche. Un directeur a répondu. Et c’est ainsi qu’un enfant de sans
> > papiers s’est retrouvé en centre de rétention.
> > En octobre 2004, l’Inspection Académique de La Rochelle, sans davantage
> > mentionner de motif, a carrément relayé un message de la police recherchant
> > notre petit protégé. Et là encore, il y eut une réponse. D’où notre situation
> > présente.
> > (2) La chartre de Bonaventure commence par : Qu’ils soient le « fruit » du
> > hasard, de l’habitude, de l’erreur, de l’ignorance ou de l’amour, les enfants
> > ne choisissent jamais de vivre. Dans ces conditions…
> >