(com_71 @ samedi 20 février 2010 à 12:49 a écrit :si tu relis le texte de lénine, il dit "se rapprocher du parti", pas en être membre
Bonjour Com-71,
Tu te rassures à bon compte. Il ne s'agissait pas seulement pour Lénine de laisser se rapprocher du parti les simples ouvriers et paysans illettrés écrasés par la propagande de l'Eglise orthodoxe russe ou par les imams et rabbins des peuples asservis sous le joug de l'autocratie tsariste, mais bien de les intégrer dans les cellules du parti.
Et pas seulement eux (ou elles, babouchki prolétaires des prolétaires, avec leur fichu sur la tête, dont Gorki a fait l'héroïne de
La Mère), mais aussi des intellectuels de haute volée, tel Anatoli Lounatcharski, que j'ai cité, déiste prosélyte, tenant d'une sorte de tolstoïsme qu'il nommait «la construction de Dieu», syncrétisme selon lui de la spiritualité utopique du paradis chrétien et du matérialisme socialiste. C'est eu égard à son «esprit de tolérance» que Lénine le propose comme commissaire du peuple à l'Instruction publique et à la Culture en novembre 1917. Il y mènera à bien l'alphabétisation de la quasi-totalité de la population à l'issue de son départ du commissariat en 1929.
Et que dire de Jules Humbert-Droz, théologien et pasteur suisse, militant socialiste réfractaire au service militaire en 1916, fondateur du Parti communiste de Suisse en 1921, que Lénine (encore lui, décidément…) proposa de nommer au secrétariat de l'Internationale communiste en 1921? De ce parcours étonnant, Humbert-Droz, qui rompit avec le stalinisme en 1927, dira dans ses mémoires :
«Bien qu'ayant toujours exercé cette liberté de jugement et cet esprit critique envers moi-même, j'ai reconnu la nécessité d'être toujours engagé dans l'Eglise, dans le Parti socialiste et dans l'Internationale communiste» (Jules Humbert-Droz,
Mon évolution du tolstoïsme au communisme, 1891-1921, A la Braconnière, Neuchâtel, 1969, p. 9).
Mais là n'est pas l'essentiel. Lénine se convainc au feu de l'actualité de la révolution de 1905 que seule la généralisation des libertés publiques, de toutes les libertés, y compris religieuses, peut débarrasser le prolétariat de ses superstitions. Rien de paradoxal ici, pour qui veut bien raisonner dialectiquement : interdisez un culte, vous créerez des fanatiques ; autorisez-le, vous créerez des agnostiques. Ou, pour reprendre la formule du philosophe marxiste Ernst Bloch :
«Le meilleur dans la religion, c'est qu'elle engendre des hérétiques.»C'est pourquoi, dans le décret du Soviet des commissaires du peuple du 23 janvier 1918 portant sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat que Lénine a lui-même rédigé, on lit à l'article 3 :
«Tout citoyen est libre de professer le culte de son choix ou de n’en professer aucun. Toutes les privations de droits provenant de la pratique ou de la non-pratique d’un culte, sont déclarées nulles et non avenues.»«Libre de professer» dit bien qu'il ne s'agit pas de «tolérer» mais de garantir la liberté des croyants et des non-croyants, les athées, d'exprimer leurs convictions religieuses ou agnostiques… Mais il n'y a là rien d'étonnant pour quiconque est familiarisé avec la théorie de Trotsky de la révolution permanente et connaît les
Thèses d'avril (1917) de Lénine, qu'il revient au prolétariat de réaliser les tâches démocratiques laissées en jachère par la révolution bourgeoise accoucheuse de républiques et monarchies constitutionnelles, garantes de la domination du capital sur le travail, incapables de mener au bout le processus d'émancipation de l'humanité.
Là sont des faits historiques, Lannig et Zappa, qu'il faut certes appréhender dans leur contexte, mais dont les fondements politiques ont valeur universelle pour tout marxiste révolutionnaire qui veut s'orienter aujourd'hui dans cette campagne islamophobe de la bourgeoisie française ouverte par Chirac en 2004 avec la loi d'interdiction du foulard islamique dans les écoles publiques.
Si, comme je le suppose, la prochaine étape est une loi d'interdiction du même symbole religieux dans les enceintes des institutions de la république bourgeoise française, deux camarades de LO, Roland Szpirko, à Creil, et Chantal Gomez, à Echirolles, seront au cœur de l'affrontement qui visera à «convaincre» Maïmouna M'Baye et Besma Mechta de retirer leur foulard ou de se démettre.
La dénonciation abstraite du foulard islamique comme symbole de l'oppression des femmes ne servira de rien dans la situation concrète…
Bien à vous.