C'est une discussion d'étiquettes. Le problème, c'est qu'on définit très mal dans ce débat les caractéristiques absolues du socialisme.
L'analogie de Caupo reprise par Byrrh, d'un enfant en mauvaise santé, mais enfant quand même, ne me convient pas du tout. On n'accouche pas du socialisme, et de la même façon, le capitalisme n'a pas été bêtement l'enfant des révolutions bourgeoises.
Je vais reprendre l'accusation de Caupo, excusez m'en, mais c'est à mon gout quelques traits de son analyse qui sont erronés et figés dans le temps. Le socialisme ne nait pas plus en 1917 que le capitalisme n'apparait en 1789 avec le pouvoir de la bourgeoisie. Tout est processus. Octobre marque l'avènement d'un état ouvrier, de la même façon que la république fait naitre, avec des soubresauts, un état bourgeois, c'est à dire un état où le pouvoir appartient à une classe sociale donnée. Mais il est important de ne pas confondre le mode de production avec la détention du pouvoir politique, même si les liens sont évidemment étroits. La dictature du prolétariat sous la forme du communisme de guerre ne saurait être l'accomplissement net d'un nouveau mode de production, mais simplement l'irruption politique de la classe ouvrière, dans l'optique de construire le socialisme, mode de production répondant à ses intérêts. C'est la naissance d'une ambition, la marche vers sa concrétisation, la classe ouvrière construisant sa libération, à travers son régime politique qui doit modeler ensuite la société et donc, les rapports économiques de production. C'est un processus différent de celui que le capitalisme a connu :
- Le capitalisme a cette particularité historique que l'infrastructure économique est apparue avant que la superstructure politique ad hoc n'existe. Le commerce international et même la bourgeoisie en tant que classe sociale ont existé avant même que ce pouvoir économique ne se traduise en pouvoir politique (bien sûr, le pouvoir politique bourgeois permet par la suite un développement démultiplié). Les révolutions bourgeoises servirent ensuite de coup de balai des vestiges du féodalisme, gràce à l'impulsion d'une colère populaire face aux inégalités féodales. Ce n'est pourtant pas l'état républicain qui invente le salariat, même s'il modèle le servage, jusqu'à en faire un concept caduque, et détruit les privilèges nobiliaux.
- A l'inverse, le socialisme ne saurait être la conséquence de l'apparition d'une nouvelle classe sociale dont les intérêts seraient contraires à l'ordre établi. La classe ouvrière, nemesis de la bourgeoisie, apparait en même temps que les capitalistes et son intérêt matériel la place déjà en fossoyeur futur de ses exploiteurs. Les prolétaires sont d'ores et déjà investis, par leur place dans le mode de production, de la mission de construire le socialisme ; il ne s'agit pas d'attendre des progrès du commerce l'émergence d'une nouvelle classe (un néo-Stalinien comme Vassilis Doukakis prétend que le socialisme sera l'oeuvre d'une classe moyenne, de la même façon que la bourgeoisie a été l'arbitre de l'opposition seigneur / serf). Il faudra aux prolos prendre le contrôle de la superstructure politique pour ensuite modifier l'infrastructure économique.
Pour moi, il ne saurait y avoir de socialisme sans conseil ouvrier. C'est encore plus basique que la planification, que la bureaucratie a pu aussi reprendre à son compte, à son intérêt même, comme Caupo l'explique très bien avec la politique Stalinienne dès 1929. Les soviets, la caste bureaucrate les a étouffé en même temps qu'elle s'est approprié le pouvoir au sein du parti bolchevik, c'est à dire au long d'un processus difficile à dater mais qui se fait remarquer par des éléments essentiels successifs (Staline secrétaire du parti et la concentration du pouvoir, démantellement de l'opposition).
Ainsi on peut parler d'état pré-socialiste lorsqu'Octobre a construit un régime politique basé sur les conseils ouvriers, mais sitôt que leur expression est mise sous silence, le qualificatif socialiste ne correspond plus. Et c'est là que l'analyse de Trotsky sur la dégénerescence bureaucratique est essentielle, expliquant son rôle de gangrène sur un corps alors mutant.
Le stalinisme n'est pas au socialisme ce que le fascisme est au capitalisme. Le fascisme ne repense pas les rapports de classe au sein du mode de production capitaliste, il les conserve ; en revanche, le stalinisme est la mort du pouvoir ouvrier, de ses conseils, sur le mode de production. Il appartenait dès lors aux bureaucrates de se donner l'étiquette du socialisme, dans la mesure où la dynamique de la conscience ouvrière est effective. Nous, communistes, ne devons pas nous faire l'écho de cette imposture.
(cette question mériterait une bibliothèque complète, pas un court message ; y'a plein de termes à expliciter)