a écrit :Venezuela : radicaliser la révolution
Le processus révolutionnaire au Venezuela est à une nouvelle croisée des chemins. Alors que l’affrontement des « chavistes » avec la droite pro-impérialiste et putschiste a dominé les années 2001 à 2004, leurs victoires lors du référendum du 15 août et des élections régionales du 31 octobre leur donnent de nouvelles responsabilités. Mais maintenant que l’opposition a été définitivement battue dans les urnes, les débats fondamentaux se situent au sein même du « chavisme ».
par Edouard Diago
30 novembre 2004
Après la défaite de l’opposition lors du référendum du 15 août dernier - au cours duquel les forces appuyant Chávez ont obtenu six millions de voix, soit deux millions de plus que lors de son élection -, les élections régionales du 31 octobre ont marqué la fin d’une étape. En infligeant une neuvième défaite électorale à la droite alliée aux États-Unis, la « révolution bolivarienne » s’est installée à tous les postes de contrôle des institutions de la démocratie représentative. Les deux prochaines années, qui précèdent la prochaine élection présidentielle, vont être déterminantes : soit le processus se radicalise, soit c’est la normalisation qui guette cette expérience politique. Les élections régionales (gouverneurs et maires) ont révélé plusieurs choses. En premier lieu l’opposition organisée politiquement est balayée de la carte électorale et ne réussit à sauver que deux États sur vingt-deux et environ un cinquième des mairies. Elle est obligée de tirer un bilan très négatif de deux années d’une unité de façade dans le cadre de la Coordination démocratique et révèle au grand jour son extrême division : une partie boycottait les élections pendant que l’autre cherchait à sauver quelques parcelles de pouvoir pour continuer à déstabiliser le Venezuela. À l’échelle du pays, les forces « chavistes » ont obtenu entre 60 et 65 % des suffrages exprimés. Pourtant, ces chiffres occultent une réalité moins flatteuse. Entre le référendum ratifiant Chávez et les élections régionales, plus de deux millions d’électeurs pro-Chávez ne se sont pas déplacés : le soutien massif dont dispose le président ne se reporte pas automatiquement sur les cadres intermédiaires. Pire, l’opposition gagne l’État de Zulia, frontalier de la Colombie et producteur de 75 % du pétrole, alors que le « non » à la révocation de Chávez l’avait emporté en août. C’est dans un climat de défiance palpable envers les structures intermédiaires et, en particulier, les partis politiques, que se sont déroulées les élections. Il aura fallu que Chávez se déplace dans chacun des 22 États pour assurer la victoire des candidats bolivariens.
Climat de défiance
Au printemps dernier, le commando Ayacucho, qui regroupe les partis de la coalition majoritaire, avait été chargé de mener deux batailles : la lutte contre la récolte de signatures menant au référendum révocatoire du président et la collecte de celles devant aboutir aux référendums contre les députés de l’opposition. Aucune des deux missions n’a été remplie. Pire, des milliers de signatures contre les députés de l’opposition ont été « égarées », dont celle de Chávez lui-même ! Suspecté par les bases de collusion avec l’ennemi, le comando Ayacucho avait été démis de ses fonctions au milieu des huées de milliers de militants « bolivariens » et remplacé par le comando Maisanta, qui fait la part belle aux bases populaires au détriment des partis. Mais le comando Ayacucho avait eu le temps de se répartir les candidatures pour les élections régionales à venir, sans passer par les procédures démocratiques que la Constitution impose et que les bases populaires réclamaient. Le divorce a été consommé à cette occasion entre une base populaire très mobilisée en défense du président et de la Constitution et des partis plus prompts à se répartir les postes qu’à mener les batailles politiques décisives. Parmi ces candidatures, certaines étaient franchement rejetées par les unités de bataille électorale (structures créées ad hoc pour la campagne du « non » à la révocation de Chávez), comme celle d’Alberto Gutierrez, dans l’État de Zulia, dont tout le monde s’accorde à dire que sa désignation malgré tout comme candidat est la première explication du succès de l’opposition. C’est dans ce climat que Chávez a fait du thème de la « révolution dans la révolution » son principal slogan de campagne, espérant ainsi être en phase avec les aspirations populaires et promouvoir la seconde phase de la révolution bolivarienne.
L’opposition disparue, tous les pouvoirs sont désormais aux mains des partisans de la révolution bolivarienne. Le bloc au pouvoir n’a plus d’excuse pour justifier les difficultés à gouverner le pays. Le projet politique doit se préciser et la Constitution-programme doit être mise en œuvre. Les débats s’ouvrent désormais au sein du bloc au pouvoir et l’opposition attend avec délectation les premières fractures au sein des bolivariens. Ainsi, le 12 octobre dernier, quelques centaines de militants ont renversé la statue de Christophe Colomb pour célébrer la Journée de résistance indigène, date anniversaire de l’arrivée des Européens en Amérique. La police de la mairie bolivarienne de Caracas a immédiatement arrêté trois personnes, première action de répression des forces bolivariennes contre des militants du même camp depuis 1998. Cet événement a suscité une polémique d’autant plus vive que de nombreux acteurs du coup d’État d’avril 2002 sont toujours en liberté. Chávez a condamné l’action, tandis que certains secteurs de la gauche réclament la libération des militants emprisonnés. Apparemment anecdotique, cette polémique recouvre de fait des questions plus centrales pour la « révolution bolivarienne ». Qui des institutions élues ou du peuple organisé possède la légitimité pour mener cette révolution ? Faut-il s’appuyer sur les institutions représentatives ou sur la mobilisation et les actions illégales pour mener à bien la « révolution dans la révolution » réclamée par Chávez et la base sociale bolivarienne ?
La révolution dans la révolution
Derrière le slogan, les enjeux sont gigantesques. Il s’agit, d’une part, de profiter de l’hégémonie politique pour accélérer les réformes structurelles : réforme agraire et lutte contre le latifundio, institutionnalisation des missions sociales par la transformation en service public de la santé de la mission Barrio adentro, menée en partenariat avec les médecins de l’État cubain [Cuba a envoyé plusieurs milliers de médecins volontaires au Venezuela, ndlr], le développement de l’éducation à tous les niveaux et de coopératives. D’autre part, l’objectif est de lutter frontalement contre la bureaucratie de l’appareil d’État et contre la corruption qui persiste dans les niveaux intermédiaires des administrations publiques. Pour mener à bien cette nouvelle étape de la révolution, Chávez fait appel à la mobilisation des masses pour dénoncer toute entrave à la mise en place des mesures édictées par le gouvernement central qui serait le fruit de la bureaucratie. D’autres secteurs plus à gauche interprètent la « révolution dans la révolution » comme une phase de radicalisation de la révolution qui s’en prendrait plus frontalement aux intérêts des États-Unis et de leurs alliés au Venezuela. Mais les signaux donnés par le gouvernement sont confus. Tout en insistant sur l’importance du secteur coopératif comme alternative au capitalisme, c’est le dialogue avec le patronat vénézuélien qui semble être la pierre de touche de la politique intérieure, alors que la base revendique des mesures concrètes en faveur de la classe ouvrière. Par exemple, est ainsi exigée la nationalisation sous contrôle ouvrier des usines fermées par leur propriétaire et occupées par les travailleurs. C’est le cas de Venepal (usine de papier) et de Constructora nacional de Valvulas (usine de valves à destination de l’industrie pétrolière), dans lesquelles le syndicat UNT, créé après le lock-out pétrolier de l’hiver 2002-2003, mène une bataille d’ampleur. Les responsables syndicaux apparaissent optimistes quant à une issue positive de ces revendications, mais le thème est resté jusque-là marginal dans la communication du gouvernement. Concernant les questions internationales, le discours oscille entre la conciliation avec Washington et la dénonciation de l’impérialisme. Or, derrière le discours conciliateur de Colin Powell de ces derniers mois, qui vise à endormir les plus combatifs, les États-Unis n’ont cessé de condamner le Venezuela sous des prétextes aussi nombreux que fallacieux (traite des Blanches, trafic de drogue, complicité avec les Farc colombiennes, etc.) et ils ont, pour la première fois depuis 1999, expressément demandé à leurs ambassades de « s’inquiéter des violations des droits de l’Homme au Venezuela ». L’arrivée de Condolezza Rice au Département d’État et ses récentes déclarations durcissant la politique des États-Unis vis-à-vis du Venezuela sont inquiétantes. Pour mener à bien les débats qui pointent, l’organisation d’une gauche de la révolution bolivarienne apparaît nécessaire, incluant les secteurs populaires, le syndicat UNT, les organisations multiples se situant sur le terrain de la lutte pour la radicalisation de la révolution, afin de proposer une voie face aux aspirations gestionnaires de la nouvelle bureaucratie vénézuélienne.
OIR, une expérience marxiste révolutionnaire
Opcion de izquierda revolucionaria (Option de gauche révolutionnaire) est un regroupement marxiste révolutionnaire qui aspire à unir l’essentiel des forces dispersées de l’ancien Parti socialiste des travailleurs (moréniste) avec de nouvelles équipes militantes syndicales telles que le Movimiento clasista - la Jornada dans l’industrie pétrolière. OIR se positionne de façon indépendante du gouvernement Chávez, mais indiscutablement dans le cadre du processus révolutionnaire. Actif dans la presse alternative (Aporrea.org), dans la lutte contre la dette extérieure (Red venezolana contra la deuda), dans le syndicalisme (ils représentent un tiers de la direction de la nouvelle centrale syndicale UNT), OIR a participé activement à la campagne pour le « non » en août dernier. Lors des dernières élections, elle a publié une déclaration électorale qui appelait à barrer la route aux candidats putschistes (la droite), à voter sans réserve pour les candidats chavistes s’affrontant à des candidats sortants de la droite, mais elle avait pointé son désaccord quant à l’absence de désignation démocratique des candidats et son rejet d’un certain nombre de candidats « chavistes » s’étant distingué par leur politique antisociale ou antiouvrière. Dans un des États du pays, ils ont présenté des candidats qui ont recueilli pour certains 5% des voix de leur circonscription.