Je ne parle pas des salariés de son propre groupe qui se font virer comme des malpropres, voir le post de Melusine ici: http://forumlo.cjb.net/index.php?showtopic...ndpost&p=123653
a écrit :L'éditorial du "Monde 2" par Edwy Plenel
Sur une lettre anonyme
LE MONDE | 26.01.05 | 14h15 • MIS A JOUR LE 26.01.05 | 17h14
Le "Monsieur X" est un scandale trop peu commenté. Un méfait que nos silences risquent de rendre sans importance. Une vilenie dont toute indifférence nous rend complice. C'est donc une lettre anonyme. Qui plus est une lettre anonyme publique, éditée, imprimée, diffusée, vendue en librairie, promue dans certains médias. Une lettre anonyme à Lionel Jospin dont le titre dit bien tout le mal qu'elle veut à l'ancien premier ministre et grand vaincu de la présidentielle de 2002 : Au secours ! Lionel revient ! (Privé, 14 €).
On s'en veut presque de devoir, ici, suivre les règles maison et, en donnant ces références, de sembler inciter à l'achat. Après tout, pourquoi y revenir ? La lâcheté du geste et la médiocrité du propos ne suffisent-elles pas à discréditer les auteurs-comploteurs de ce libelle qui cumule toutes les infamies du genre ? Non. En laissant faire, on s'habitue à l'inacceptable. On a beau jeu de s'alarmer vertueusement des provocations récurrentes de Jean-Marie Le Pen quand, dans le même mouvement, on s'amuse, les minimisant, de procédés qui témoignent de la banalisation des méthodes de l'extrême droite dans notre société.
UN RÊVE DE DOMINATION
En démocratie, la politique est publique. C'est l'essence même de ce système politique, son exigence et son espérance, l'horizon qui la caractérise et la fonde, l'anime et la légitime. C'est à la fois son risque et son défi. Quand la politique devient secrète, opaque et obscure, c'est que la démocratie est malade. Les réseaux cachés, les alliances inavouables, les pactes occultes, toutes ces tentations, qui sont loin d'être absentes de notre vie politique, disent un rêve de domination : échapper au contrôle citoyen, au débat contradictoire, à l'affrontement public. Faire ses coups en douce, entre gens du même monde - du même "milieu" plutôt, tant ces dérives ne sont pas sans rapport avec les mœurs maffieuses d'un monde gangrené par un trop-plein d'argent, tout d'avidité et de rapacité.
En politique, l'anonymat est un déni de démocratie. S'en prendre à l'action de Lionel Jospin, combattre son éventuel retour, réfuter son bilan et critiquer son échec, tout cela est légitime. A condition d'être signé, revendiqué, assumé. Mais le fait de ne pas avoir eu ce courage n'est pas sans rapport avec le contenu même de l'opuscule. On y trouve un condensé de ce qui mine notre vie publique : l'attaque des personnes plutôt que la réfutation des idées. Ce livre qui fait commerce de son anonymat est un texte vide où la politique se néantise. Lionel Jospin n'y est pas mis en cause pour ses actes, à partir de faits ou sur la foi d'arguments. Non, il est attaqué à raison de sa personne. Plus exactement de sa psychologie. "Monsieur X" est une réincarnation en politique du docteur Knock de Jules Romains, immortalisé par Louis Jouvet. Son ordonnance est écrite avec l'autorité des imposteurs : "Prendre le pouvoir par désespoir, voilà ton projet véritable. Il est plus nihiliste que véritablement trotskiste. Mû par un pareil profil psychologique, tu nous assures, en ce qui nous concerne, une nouvelle débâcle."
ÉTATS D'ÂME ET BASSES IRONIES
Ce pourrait être drôle si ce n'était pitoyable. Cette psychologisation de bas étage est le degré zéro de la politique. Elle infantilise, démoralise, démobilise. Plus de collectif, que de l'individuel. Plus de grandes idées, que des états d'âme. Foin des hautes visions, place aux basses ironies. C'est le regard d'une coterie revenue de tout sans être allée nulle part. D'un petit monde qui fait le malin mais ne risque jamais rien. En l'espèce, on lui accordera une certaine cohérence : les promoteurs de la nouvelle maison d'édition qui tente de se faire un nom avec ce "Monsieur X" l'ont baptisée "Privé". Façon de dire à quoi, pour eux, se réduit la chose publique, à de misérables petits tas de secrets, miettes de personnalités et morceaux d'individualités. Et d'indiquer aussi quelle frontière ils entendent allègrement franchir, cette séparation du public et du privé qui délimite pourtant l'espace de la démocratie.
Ils sont à l'image de nos temps de confusion, d'abandon et de renoncement : ils ne savent même pas ce qu'ils font. Car c'est en temps de dictature que les lettres anonymes font la loi et que la violation du privé est la norme. De plus, loin de subvertir, ce libelle participe au conformisme ambiant, notamment par sa sacralisation de l'enjeu présidentiel, cette obsession française de la souveraineté que décortique et démonte un livre autrement savoureux, L'Echec en politique, de l'anthropologue Marc Abélès (Circé, 13,50 €). Revisitant, au travers des exemples de François Mitterrand et de Jacques Chirac, l'intrication du pouvoir et de la mort, il suggère que Lionel Jospin, refusant cette alternative déprimante, a pris le parti du tiers exclu : la vie.