par eruditrotsk » 23 Fév 2005, 17:19
Quand on dit que "seul le prolétariat est une classe révolutionnaire", on veut dire que lorsque le prolétariat rentre en lutte et défend ses intérêts de classe, il est le seul - la seule classe sociale - qui ne soit pas attachée à la propriété privée des moyens de production, et donc qu'il n'est pas gêné de distribuer la terre aux paysans (au détriment des grands propriétaires terriens qui perdent leur rente), ni d'accorder l'indépendance aux colonies (au détriment des profiteurs de l'impérialisme). Alors si le prolétariat avait mené le jeu en Espagne, il aurait mis en avant ces mesures qui aurait miné l'armée de Franco (marocaine et... paysanne). Car si on donne aux paysans le "feu vert" légal pour partager les terres, on incite les paysans sous l'uniforme à rentrer au village pour aider sa famille à s'en découper un morceau. Mëme chose pour le tirailleur marocain. On ne peut pas dire évidemment jusqu'à quel point cela aurait été, mais en tout cas c'était la seule politique juste. Dans les grandes lignes c'était la traduction, en termes "espagnoles", de la politique des bolcheviks en Russie en 1917. (A titre indicatif, en Russie, la paysannerie russe s'était emparé du quart des terres avant octobre 17, le reste s'est fait après la publication du décret gouvernemental l'autorisant).
Mais dans l'Espagne "républicaine", les relations politiques entre les différents partis ouvriers étaient telles que les représentants du POUM filaient le train à la CNT qui, elle, acceptait de remettre en selle les politiciens bourgeois. Le PC vivait sa vie mais menait le même jeu. Et donc le gouvernement né du rejet du putsch de Franco dans la partie restée républicaine de l'Espagne était justement cautionné par les partis qui auraient dû essayer de décrédibiliser. Dans une période de vide politique de l'Etat, au lieu de tout faire pour l'achever et le remplacer définitivement par le pouvoir des ouvriers et des paysans, ils redonnaient du crédit à des politiciens disqualifiés qui allaient tout faire pour rétablir la domination de la bourgeoisie, ce qui signifiait dans le contexte de l'époque... ouvrir la porte à Franco.
Il ne faut pas non plus trop grandir l'importance des oppositions à la politique de la CNT. Elles ont existé. Les "Amis de Durutti" en sont une expression tout à fait estimable, mais très minoritaire. Le drame des militants de la CNT c'est qu'ils ont suivi globalement leurs dirigeants qui n'avaient aucune clé pour ouvrir une voie de sortie au prolétariat. Les plus "théoriciens" parmi eux estimaient que l'Etat bougeois étant aboli, la question était réglée... et ils ont ainsi aidé, consciemment ou non, à rétablir l'ancien appareil d'Etat bourgeois. Quand le piège s'est refermé sur les militants anarchistes (et poumistes), il était trop tard.
Cette tragédie du prolétariat espagnol (qui a aussi oblitéré une issue révolutionnaire, avant la Deuxième Guerre mondiale, pour l'ensemble du prolétariat d'Europe de l'époque) mérite qu'on l'étudie avec soin et qu'on en parle avec circonspection.
De ce point de vue, les livres cités par le premier intervenant de ce forum, passent pour l'essentiel à côté du problème (quand ils ne sont pas là pour le masquer). Il vaut mieux, pour une meilleure connaissance du sujet regarder du côté d'auteurs comme Trotsky (La révolution espagnole), Felix Morrow (Révolution et contre-révolution en Espagne), Bolloten (le titre m'échappe) ou Brennan (le Labyrinthe espagnol).
Pour ceux qui lisent l'espagnol, il y a un site "ultra-gauche" qui a mis en ligne beaucoup de choses instéressante sur les prises de position de l'extrême-gauche de l'époque : Balance. Notamment les "Amis de Durutti" mais pas seulement.
Tout à fait recommandable, mais malheureusement seulement en espagnol, on peut lire l'ouvrage de G.Munis (militant trotskyste espagnol de cette époque) sur la révolution espagnole, récemment réédité en Espagne ("jalones de derrota, promessa de victoria", editions Munoz).